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L'intelligence embrasse les idées de tout contingent; et comme celles-ci sont à la fois l'intelligence et son objet, elles deviennent identiques avec les réalités, le connaissant est identifié avec le connu (1). Mais attendu qu'elles existent dans l'intelligence comme dans un sujet, il y a une différence entre la forme et la matière; celle-ci étant l'intelligence, celle-là les idées.

L'âme dans son activité plastique tend irrésistiblement à produire au dehors les idées, et les idées produites sont les âmes (2). Mais celles-ci ne pouvant exister que dans un sujet, il faut que l'âme, en produisant les formes (cidos, μoppǹ), produise aussi la matière. Cette dernière dérive donc directement du monde intellectuel, puisque les philosophes dont nous parlons enseignent d'une manière vague et obscure que l'âme participe, dans une mesure determinée, de la lumière infinie de l'intelligence, aux limites de laquelle elle aperçoit les ténèbres; et comme elle ne souffre autour de soi nulle chose qui ne soit empreinte d'une pensée, elle applique des formes aux objets, pour qu'ils deviennent le séjour des idées. La matière, sujet indéterminé, dépourvue de toutes qualités, et simplement susceptible de recevoir ces idées, passe, dès qu'elle les a reçues, de la faculté à l'acte, d'où résulte le composé, c'est-à-dire le corps.

L'univers sensible n'est donc que la grande âme qui donne la forme à la matière au moyen des idées : il est éternel, parce que l'âme n'a jamais pu rester inactive. L'intelligence et l'âme concourent à le produire, la première sujet des idées, l'autre principe du `mouvement, et, réunies, elles constituent le monde, ensemble des idées douées par l'âme d'activité et de vie. Ce principe immédiat des choses se particularise dans les divers phénomènes ; car il y a autant de raisons séminales dans le monde qu'il y a d'idées dans l'intelligence.

(1) Gott. Gul. GERLACH a recherché en quoi cette doctrine diffère de celle de Schelling dans l'ouvrage intitulé De differentia quæ inter Plotini et Schellingii doctrinam de numine summo intercedit. Wittemberg, 1811.

(2) Les idées sont appelées par Plotin dieux intelligibles, dans un passage qu'il est utile de rapporter comme explication de la doctrine pythagoricienne : Γενόμενον δὲ ἤδη τὰ ὄντα σὺν αὐτῷ γεννήσαι, πᾶν μὲν τῶν ἰδεῶν κάλλον, πάντας dè fcoùs vontoùs lequel Dieu engendré engendra avec lui tous les étres, toute la beauté des idées, tous les dieux intelligibles. C'est pourquoi Vico soutient que les anciens Latins appelaient dii immortales les essences des choses, c'est-à-dire, les idées.

La nécessité règle le monde, et de même que la grande âme ne pouvait cesser de le produire, les âmes qui en émanent opèrent comme elle par l'impulsion de leur propre essence, dont l'action est leur volonté (1). Le monde intellectuel et le monde sensible n'en formant qu'un seul, soit en eux-mêmes, soit en leur image, l'un opère parallèlement à l'autre, et l'un explique' l'autre à qui sait l'interroger par la magie et l'astrologie.

Le monde en conséquence ne peut être que bon; le mal est l'inégalité des âmes et la manifestation de cette inégalité. C'est là une fatalité et un optimisme funestes à la morale; au reste, les Alexandrins essayèrent de se soustraire aux conséquences du principe, en disant que le libre arbitre peut triompher du mal moral.

Toutes les parties du monde sensible comprennent des âmes, c'est-à-dire des idées produites, mais de classes différentes : en premier lieu se trouvent les dieux intellectuels, libres de passions, qui contemplent des idées non produites, et gouvernent le ciel et les astres; viennent ensuite les éons, puis les démons, qui dirigent, ceux-là les forces créatrices de l'univers, ceux-ci les forces vitales et les choses humaines; enfin ce sont les hommes, et plus bas les âmes des bêtes, des plantes, et du reste de la nature.

Les âmes du monde intellectuel prennent un corps seulement à leur entrée dans le monde terrestre. Au moment où l'une d'elles assume la charge humaine, elle laisse, bien qu'indivisible, une parcelle de soi-même dans le monde supérieur; elle est présente tout entière dans chaque partie du corps, ou plutôt le corps est en elle; et chaque fois que les objets extérieurs font impression sur lui, l'âme n'en est point affectée, mais elle y porte attention comme à une chose en dehors d'elle.

Éloignées de Dieu par le développement de la création, les âmes tendent à retourner à lui; mais celles qui, abusant des sens, descendent même au-dessous de la vie sensitive, renaîtront après la mort sous la forme de bêtes: celles qui auront vécu humainement reprendront des corps humains; il leur faudra avoir cultivé en elles-mêmes la vie divine pour rentrer en Dieu.

Les secours supérieurs doivent concourir à cette vie divine avec les efforts humains qui, relativement à l'intelligence et à la volonté, produisent la science et la vertu. La science, s'appuyant sur les

(1) Premier germe du spinosisme et de la Théodicée de Leibnitz.

procédés logiques à l'aide desquels l'homme combine les idées, reste nécessairement imparfaite, Dieu étant supérieur à toute formule. C'est seulement par voie d'intuition immédiate (Tapoυoía) qu'il est possible d'acquérir la science parfaite, car on peut la dire une présence intime de Dieu dans l'âme, placée au même état où elle se trouvait avant de descendre dans le monde intellectuel.

Il en est de même des vertus, dont quelques-unes ne sont qu'une préparation aux vertus divines; telles sont les vertus physiques, morales, politiques, théorétiques, autrement celles qui regardent le perfectionnement du corps, les devoirs de l'homme et du citoyen, qui détachent des affections corporelles et contemplent l'âme pour elle-même. Les vertus divines rendent celui qui les possède capable de converser avec les dieux, de les évoquer, et de commander aux démons; et même, à un degré sublime, elles transforment l'homme en dieu.

Le secours des dieux, nécessaire pour donner de l'énergie à tout acte humain, s'obtient ou par la prière, mouvement imprimé à l'âme pour l'élever jusqu'à eux, ou par les symboles, et les rites extérieurs; et plus ils représentent au vif les choses divines, plus ils font violence aux divinités. De là les sacrifices, la divination, l'idolâtrie et tout le culte païen. Celui qui ne parvient pas par ces moyens à s'identifier avec l'essence divine, doit se traîner dans la voie des transformations.

Nous retrouvons ici les antiques maximes de l'Inde, de même qu'on pourra reconnaître celles d'Aristote dans les travaux sur la logique, comme instrument de connaissance, et l'inspiration orientale dans la recherche de la science par l'illumination et par l'intuition. Les Alexandrins rendaient hommage à toutes les religions mensongères, en soutenant le culte des astres, des éléments, des démons, des éons, et par leur doctrine des idées personnifiées en dieux, en hommes et autres êtres. Ils empruntèrent au christianisme une idée plus exacte de la trinité, de la création, et jusqu'à la nécessité de la médiation à l'aide de rites symboliques, qui étaient, pour ainsi dire, les canaux de la grâce divine (1); Pro

(1) En ce qui concerne la doctrine dont nous venons de parler, Jamblique éclaircit particulièrement la partie théosophique et liturgique; Plotin, la métaphysique; Porphyre, la logique. Le passage d'Olympiodore que nous avons cité page 569 du 1er volume est remarquable en ce qui touche les expiations.

clus plaça même la foi ( níoriç) au-dessus de la science, comme l'union la plus parfaite avec le Bien, avec l'Un.

L'école alexandrine fut donc un progrès en ce qu'elle reconnut et détermina les éléments péripatéticiens qui se trouvent dans la doctrine de Platon, et les fondit avec celle-ci après les avoir épurés, c'est-à-dire en les élevant à l'absolu dans lequel se réconcilient le possible et l'actuel, l'unité, principe suprême de Platon, avec la variété, principe suprême du Stagyrite. Mais, comme on le voit, la puissance de l'être néoplatonique se réalise par une émanation perpétuelle et involontaire; le christianisme seul, religion de l'esprit et de la morale, produisit l'idée véritable de l'action libre du Créateur, en enseignant que l'être sort de son repos par lui-même, en changeant sa virtualité en vertu, son énergie en action

Cette idée s'obscurcit au moyen âge dans les mille détours de la dialectique, dans les disputes des réalistes et des nominaux, au sujet de ce qu'ils appelaient principe de l'individuation, lorsqu'ils cherchèrent à expliquer le rapport du général avec le particulier dans la réalité à laquelle aboutissent les deux principes. Plus tard l'école de Descartes retrancha le second principe, en ab sorbant la variété dans l'unité de la substance inactive. Enfin Leibnitz, rendant clair ce qui était apparu comme une lueur fugitive à l'empirisme de Campanella, perfectionna la pensée d'Aristote en disant que toute substance est active par son essence; qu'elle est la cause dont le phénomène est l'effet; qu'elle est une force dont l'existence consiste dans son développement. La puissance une fois conçue ainsi comme principe personnel (c'est là une idée qui appartient tout entière à Leibnitz), il en résulta la notion de la hiérarchie des êtres et de l'harmonie du monde. On n'en vit que mieux alors quelle avait été l'erreur d'Aristote, qui confondait l'être avec la simple forme.

Indépendamment du soin qu'elle prit d'associer la philosophie à la croyance nationale, et de la voie nouvelle qu'elle fraya à la raison, nous voulons parler de la voie de l'idéalisme mystique, l'école alexandrine fut aussi un progrès en extension; car elle amena les Romains et les Juifs à se familiariser avec les doctrines grecques et orientales, dont les Pères de l'Église eux-mêmes tirèrent parti pour la défense et l'éclaircissement du christianisme. Cette école manquant toutefois de bases solides, et n'étant qu'une transition du faux au vrai que l'on n'osait embrasser, elle ne devint

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jamais populaire. Elle perdit tout éclat après Proclus, bien qu'il comptât de nombreux disciples, parmi lesquels se trouvent les fameuses Hypatie, Sosipatra, Édésie, Asclépigénie. S'imprégnant de plus en plus d'idées orientales, qui se propageaient par le moyen des sociétés secrètes, elle adopta les rites magiques, qui non-seulement égaraient l'intelligence, mais conduisaient à des actes atroces. Nous nommerons parmi les néoplatoniciens le compilateur Jean Stobée, Simplicius de Cilicie, commentateur d'Aristote, et même Plutarque et Maxime de Tyr. Plutarque discuta des questions philosophiques dans son livre contre l'épicurien Colotès, dans le Banquet des sept sages, dans ses Traités sur le mot & écrit dans le temple de Delphes, sur les oracles, sur le destin, sur les questions platoniques, sur la procréation de l'âme, sur les contradictions des stoïciens. Il pose en principe que la matière est éternelle; Dieu en a formé les corps dans lesquels descendirent des âmes immatérielles, diverses dans les différents hommes, douées d'une lumière divine et de quelque reste des propriétés dont elles jouissaient avant d'y entrer. Versé dans la philosophie grecque et connaissant aussi celle de l'Orient, il choisissait parmi les différentes opinions; combattant les épicuriens et les stoïciens, il préférait les doctrines platoniciennes, sans adopter néanmoins aucun système; il était entravé surtout dans la liberté de sa pensée par les erreurs superstitieuses dont foisonnent tous ses écrits, surtout son traité d'Isis et ď'Osiris, dédié à la grande prêtresse de Delphes. Sous cette malheureuse influence, il veut trouver dans les mystères égyptiens un sens philosophique qui les justifie aux yeux de la raison; mais outre qu'il dénature l'idée originaire d'Isis et d'Osiris, il ne s'accorde pas avec lui-même, les considérant tantôt comme des qualités du Dieu unique, tantôt comme des symboles des forces de la nature, tantôt comme de simples idées.

Maxime de Tyr assigne pour but à la philosophie le bonheur ; il n'y a pas d'autre raison à ses yeux que le plaisir. Il reconnaît un seul Dieu, père de tous, et duquel dérive une série d'êtres qui, s'abaissant de degré en degré, unissent la divinité à la brute la plus infime.

Quant à Lucien, il tournait en ridicule théologiens et philosophes, et il se bornait à savoir de leurs différents systèmes ce qu'il en fallait pour les bafouer. Sa préférence se manifestait néanmoins pour les épicuriens quand il niait tout ce qui se trouvait en dehors

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