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traditions empruntées à l'Asie. Les dégager et en tirer une philosophie épurée de tout ce qui pouvait être contraire aux dogmes, telle était l'intention des gnostiques, qui révéraient les doctrines évangéliques, mais sans les accepter dans leur simplicité native. Incapables de sentir le mérite de cette confiance positive par laquelle on arrive à la solution des problèmes les plus importants pour la morale humaine, ils supposèrent qu'il fallait un ordre philosophique, et que la science accessible à tous (exotérique) devait être différente de celle qui était réservée à un petit nombre (ésotérique). Tandis que la théosophie chrétienne, reconnaissant la foi pour un fait, résout les questions par l'autorité divine, de manière qu'elle ne discute pas le fond des doctrines, mais vérifie seulement leur exposition, leur concordance avec les textes et avec les interprétations légitimes, le gnosticisme substitue ou associe, à la révélation authentique, des révélations particulières, et en quelque façon naturelles ; il aspire à atteindre par ses propres forces une hauteur inaccessible à la raison, et non révélée à la foi ; il prétend donner le caractère et l'autorité de l'inspiration à ses investigations mystiques, à l'aide desquelles il résout les problèmes les plus élevés, comme l'origine du mal, la création, la rédemption, les rapports entre le monde in

tellectuel et le monde moral.

Considéré sous cet aspect, le gnosticisme est l'hérésie qui se reproduisit le plus généralement en Asie et en Europe, à différents intervalles, soit dans l'école renouvelée de Pythagore et de Platon, soit dans les écoles transcendantes du seizième siècle, qui associaient à leur mysticisme l'alchimie, l'astrologie et la magie.

Certains gnostiques foulaient tout à fait aux pieds les enseigne. ments apostoliques; d'autres disaient y avoir découvert par des moyens secrets la vérité sous la forme imparfaite ou altérée avec laquelle on la présente au vulgaire : d'autres encore révéraient les livres canoniques, sauf à les interpréter autrement que l'Église. La plupart étaient des gens instruits et riches de la Syrie et de l'Égypte qui, abandonnant au vulgaire et aux pauvres les humbles pratiques de l'Évangile, se figuraient qu'à eux était réservée la connaissance intime des mystères, et voulaient surpasser le chrisDoctrines tianisme en profondeur mystique. Ils s'accordaient à distinguer un Liques. monde supérieur, de pure lumière et d'immortelle félicité, et un autre de ténèbres, de misères, de mort. Il existe un être infini, invisible, père inconnu, abîme d'immense nuit (πpoùv, Bulòs),

CONTI Funes des

comme le Brahma indien et le Pyromis égyptien, qui, ne pouvant rester inactif, se répandit en émanations.

Les émanations supérieures, non créées, mais émises de l'abîme éternel et participant de l'essence divine, s'appellent éons ou êtres; ces êtres sont en nombres différents, et distribués par classes de sept, de huit, de dix, de douze, conformément aux nombres symboliques que nous avons trouvés dans presque toutes les théogonies et cosmogonies. Réunis à la substance, ils forment le plérome, ou la plénitude de l'intelligence. A mesure qu'ils s'éloignent de leur source, ils diminuent de perfection, jusqu'à la dernière émanation du plérome, qui est le Démiourgos, équilibre de lumière et d'ignorance, de force et de faiblesse, qui, sans l'ordre ou le concours du Père inconnu, produisit ce monde, ensemble si désordonné et si vicieux, qu'on ne saurait le croire l'œuvre de Dieu.

Les âmes y sont placées avec le fardeau de la matière, soit par l'effet d'un caprice du Démiourgos, soit qu'une première faute les ait dégradées. Le Démiourgos ne pourrait les régénérer. Il a fallu qu'une des sublimes puissances du plérome, la pensée divine, l'intelligence, l'esprit descendit personnellement jusqu'au dernier degré de la création, pour ramener l'homme au plérome. Cette puissance céleste est le Christ, qui réforme la conception défectueuse du Démiourgos, et anéantit sa création.

Mais comme la matière est perverse, le Christ n'en prit que les apparences; et tandis que la religion naturelle et celle de Moïse sont l'œuvre de Jéhovah, démiourgos imparfait, l'Evangile au contraire exprime l'intelligence du Père inconnu.

Ces gnostiques avaient pu esquisser d'après ces pensées une histoire de l'humanité en deux époques : durant la première elle avait suivi la loi du Démiourgos, et dans la seconde celle de Dieu. Les hommes eux-mêmes sont divisés en trois classes, selon le principe de vie dominant en eux; les uliques, dont la matière (űλŋ) est le principe, sont asservis au monde inférieur; les pneumatiques aspirent selon l'esprit (πvεμ¤) à rentrer dans le plérome; les psy· chiques s'élèvent jusqu'au Démiourgos par l'âme (Yʊxà), qui n'est ni esprit ni matière. Les Hébreux soumis au démiourgos Jéhovah furent psychiques; uliques les païens adonnés à la vie inférieure ; pneumatiques les vrais chrétiens (1).

(1) Théorie développée spécialement par Valentin.

Dualisme.

A quoi est donc destiné le genre humain? à s'élever de la vie ulique et de la vie psychique à la vie spirituelle ou divine. Le principe ulique est sujet à la mort, et peut-être ceux qui l'ont suivi durant toute leur existence tomberont-ils dans le néant; les psychiques obtiendront les récompenses imparfaites que peut décerner le Démiourgos; les pneumatiques obtiendront de rentrer dans le plérome éternel.

Les gnostiques s'accordent sur ces différents points; mais, abandonnés aux hallucinations de leur raison, il n'est pas surprenant qu'ils se soient divisés en plus de cinquante sectes, chacune ayant ses évêques et ses assemblées, ses docteurs, ses miracles et ses évangiles. Car si l'homme peut s'élever aux dogmes de l'existence et de l'unité de Dieu, mille questions se présentent à lui lorsqu'il vient à méditer sur la nature de l'Etre nécessaire, sur les attributs qui ne dérivent pas immédiatement de sa perfection suprême, sur les substances émanées de lui, les divers ordres d'esprits l'euchaînement supérieurs ou inférieurs, l'état primitif du monde, des causes et des effets, les types universels des idées, la réalité ou l'illusion, la transformation des choses. De là l'innombrable subdivision des gnostiques, les hommes d'imagination acceptant rarement d'autres guides que leurs propres pensées. Mais ce morcellement eut cela de bon, que cet amas de fictions métaphysiques qui se rattachaient à la mythologie scientifique et à la théologie poétique des Indiens, des Perses et des kabalistes, ne s'introduisit pas dans l'Église.

On peut classer les gnostiques, selon qu'ils se rapprochent davantage des maximes égyptiennes ou de celles des Perses, en deux familles principales : les pantheistes, comme Apelle, Valentin, Carpocrate, Epiphane; et les dualistes, comme Saturnin, Bardesane, Basilide (1).

Saturnin, qui vivait à Antioche sous Adrien, paraît avoir considéré, comme étant coéternel à Dieu, Satan, principe du mal, tout à la fois esprit et matière. Mais lequel de ces deux éléments précéda l'autre? Bardesane, d'Edesse, contemporain de Marc-Aurèle, répond que la matière constitue l'élément primitif du mal, et que Satan fut une manifestation spirituelle de celle-ci. De même que

(1) M. Matter, en nous donnant l'Histoire du gnosticisme, n'a pas pu se soustraire à cette admiration qui nous fait trouver beaux et importants les points sur lesquels nous avons porté une longue et persévérante attention.

l'abîme du bien (Butòc) engendra l'intelligence, et par elle une série d'émanations, d'aspects divers; de même l'abîme du mal, c'està-dire la matière, engendra Satan, et par lui une succession d'émanations analogues, en hostilité harmonique avec les premières; de telle sorte que l'univers fut la manifestation d'un double inconnu (1). Bardesane soutint ses doctrines avec fermeté; et menacé au nom de l'empereur Vérus, il répondit: Je ne crains pas la mort, et elle m'atteindrait encore quand même je céderais à l'empereur. Il composa cent cinquante hymnes, dont on loua l'expression poétique et la mélodie; la poésie était pour lui un moyen d'insinuer dans les esprits la partie extérieure de la gnose.

Il s'occupa particulièrement de la question du destin, c'est-à-dire de celle de savoir si les choses de ce monde sont gouvernées par des décrets immuables, sans que les vœux et les efforts humains puissent rien changer à ce que décida une puissance aveugle, Comme il supposait que le monde n'avait pas été immédiatement créé par Dieu, il ne pouvait lui en attribuer le gouvernement; mais il lui donnait le beau nom de père, et il disait: Tout peut se faire avec le bon plaisir de Dieu; rien ne peut être évité de ce qu'il veut, attendu que nul ne saurait lutler contre sa volonté. Si quelqu'un peut lui résister, c'est par un effet de sa bonté, qui accorde à chacun ce qui est propre à sa nature et à sa volonté indépendante. C'est ainsi qu'il cherchait à concilier le libre arbitre avec l'astrologie, dans la supposition que l'homme extérieur était seul sujet à l'action du destin, tout en demeurant libre en ce qui touche l'existence rationnelle.

Basilide, Syrien comme Bardesane, enseignait dans Alexandrie. Il suppose l'éternité des deux principes, et ajoute que les émanations de l'esprit de ténèbres, éprises de la lumière, s'élèvent jusqu'au sein du plérome; contrairement à d'autres gnostiques, selon lesquels le plérome se précipite dans l'empire des ténèbres, il s'efforce d'expliquer dans un sens opposé le problème qui de tout temps a tourmenté l'esprit humain, à savoir la mystérieuse combinaison du bien et du mal, la coexistence du mal moral avec un

(1) Bardesane écrivit, sur les renseignements fournis par les ambassadeurs envoyés de l'Inde au chef de l'empire, des Commentaires sur l'Inde, dont il nous reste deux fragments. Il put donc déduire sa doctrine de celle de Kapila (voy. t. I, page 319), selon laquelle la matière, Prakriti, engendra l'intelligence, et commença par elle à se manifester.

Pantheistes. 136.

Dieu bon. Son plérome était, à la manière égyptienne, composé de trois cent soixante-cinq intelligences qu'il exprimait par le mot ABPAEAX, devenu symbole et signe de reconnaissance parmi ses disciples (1).

Il n'exagérait pas comme d'autres les maux de cette vie; il y voyait même une manifestation des idées divines, et il disait : Je ferais toute autre chose avant que d'accuser la Providence. Il donnait de celle-ci une définition ingénieuse, en la désignant comme une puissance qui pousse les choses à développer les forces qu'elles renferment naturellement (2); et il considérait la rédemption comme un moyen employé par cette Providence pour guider le genre humain vers un état supérieur à celui qu'il pouvait atteindre naturellement. S'il voit des maux ici-bas, il les envisage comme une épreuve, une expiation (oixovouía Tuv xxláрσεшv), affirmant que les doutes élevés par notre ignorance sur la justice de Dieu tomberaient si nous pouvions voir l'accord des causes et des effets.

Il fait servir à son système la doctrine de la métempsycose, modifiée à la manière des gnostiques; il l'étend aux nations entières, et l'emploie à expliquer leur degré de civilisation.

Mais comme, dans le dualisme, tout ce qui existe ne constitue que des formes de l'être bon ou de l'être mauvais, cette doctrine retombe dans le panthéisme : c'est là en effet qu'aboutit directement Valentin, en concevant la matière comme une émanation grossière, une forme de l'esprit, cu une illusion. Cet Égyptien, le plus célèbre parmi les gnostiques, reconnaissait une série d'éons. Le premier d'entre eux, selon lui, nommé préexistant (pоÙν), profondeur ineffable ( Butòs) (3), demeuré longtemps inconnu et dans le repos avec Ennoia, l'imagination, engendra d'elle Nous (l'intelligence), semblable à lui, qui devint le père de tous les êtres. Nous avait pour sœur Aletheia (la vérité). Ces deux couples formèrent un carré qui fut le fondement de toutes choses. Nous

(1) De là les pierres nommées Abraxas, célèbres alors et depuis.

(2) CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Stromat., liv. IV.

(3) IRÉNÉE, Adversus hæres, I, c. 1.

THÉODORET, Hæret. fab., I, c. 7.

Toujours et partout on retrouve les mêmes idées fondamentales de l'éternité et de l'incompréhensibilité de l'Étre suprême. C'est le Zervane-Akérène, Ensoph, le πατὴρ ἄγνωστος, le πατὴρ ἀνονόμαστος.

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