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Urbain V la troisième. Ce fut ainsi que les signes augmentèrent à mesure que décroissait la réalité.

L'anneau, qui distinguait les chevaliers romains, dut être adopté promptement comme signe de dignité ecclésiastique. Le bâton pastoral, figure de la houlette avec laquelle le pasteur conduit son troupeau, remonte aux premiers temps; il était de bois et en forme de béquille, comme les prélats grecs l'ont conservé; ou bien recourbé par le haut, poli au milieu et pointu par le bas (1).

Le pallium, ornement dans le genre des chasubles modernes, fut réduit, comme signe distinctif des archevêques, à une bande sur laquelle sont tracées des croix. Peut-être aussi que l'étole représente le surtout appelé stola, ou bien l'orarium; le mouchoir blanc dont on s'entourait le cou afin que la sueur ne souillât pas le vêtement, fut conservé dans les fonctions sacrées; le manipule vient de la serviette que portait au bras celui qui servait à la sainte table. La dalmatique est l'ancienne penula, avec une espèce de poche carrée; elle était fermée entièrement en rond. Quand on substitua au lin le fil d'or, et qu'elle fut chargée de pierres précieuses et de broderies, elle devint pesante pour le prêtre, qui la tenait relevée sur son bras: on la fendit donc sur les côtés, et on en forma la chasuble. L'usage qui subsiste encore de la soutenir quand le prêtre élève l'hostie, est un reste inutile du service que l'acolyte rendait alors par nécessité.

Voilà donc l'Église organisée en monarchie élective et représentative, réunissant à l'obéissance absolue due au chef choisi parmi le peuple, la liberté et l'égalité. Aucun autre culte au monde ne sut créer une monarchie ordonnée de manière à pouvoir se développer indéfiniment, tout en restant subordonnée à une magistrature suprême, et infaillible en droit comme en fait. Prince et sujet, indivi dus et assemblées n'y sont soumis qu'à la loi de Dieu, promulguée et interprétée par l'Église, à laquelle le Christ a dit : Qui vous écoute m'écoute; conduisez mes brebis au pâturage; ce que vous délierez sera délié, ce que vous lierez sera lié : d'où suit que l'autorité

(1) In baculi forma, præsul, datur hæc tibi norma :

Attrahe ver primum, medio rege, punge per imum.
Attrahe peccantes, rege justos, punge vagantes.
Attrahe, sustenta, stimula, vaga, morbida, lenta.

Gloss., in cap. un. de Sacra Unct.

et l'obéissance sont également ennoblies. La puissance morale des pontifes, si efficace dans le moyen âge, se réduit à une négation protectrice, à un contrepoids qui suffit pour empêcher que la justice et la morale ne soient foulées aux pieds. Le pontife, magistrat pacifique et désarmé, prononce, comme préteur, selon l'équité sur les différends suscités par l'intérêt ou l'ambition; comme censeur, il réprimande ceux qui se montrent injustes et violents; comme tribun, il proteste en faveur des opprimés.

Ses ministres, distingués absolument de ceux de l'ordre temporel, sont forcés d'enseigner une doctrine résumée en symboles connus de tous et exposés aux regards du prêtre, du laïque, de l'incrédule, ce qui repousse et les exclusions des castes orientales et les fluctuations des réformés modernes.

En's'approchant du souverain, le prêtre lui rappelle les principes de l'égalité, et la préférence qui est due aux pauvres; en s'approchant du peuple comme ministre de la monarchie de l'Église, il lui prêche la sujétion raisonnée. Quand elle imposa le célibat, l'Église se prépara une milice prête à porter au premier signe la vérité jusqu'aux extrémités de la terre, à s'exposer à la contagion, à veiller près du lit du moribond, au grabat du prisonnier, sans être retenue par le sentiment, d'autant plus fort qu'il est légitime, de l'amour conjugal et de la paternité. Le sort des enfants, l'espérance de les 'placer, ne rendra pas le prêtre esclave de ce même pouvoir aux exigences abusives duquel il doit résister. L'idée d'assurer à sa famille l'autorité et les bénéfices ecclésiastiques ne pourra l'amener, dans les temps même les plus barbares, à vouloir les rendre héréditaires, et à substituer les castes orientales à l'égalité chrétienne. Sans le célibat, les papes et les évêques feudataires auraient réduit l'Italie et le monde, dès l'an 1000, à l'esclavage sacerdotal; c'est par cette mesure vigoureuse et prévoyante que le christianisme a pu régénérer l'homme et la société.

CHAPITRE XXIX.

SYNCRÉTISME RELIGIEUX (I).

Bien que l'empire continuât à rester uni, on pouvait déjà

(1) Evyxpýtioμos indiqua d'abord la confédération des différents peuples de la Crète il fut appliqué ensuite à la réunion des différentes sectes. Qui fera une fois l'histoire des mots?

T. V.

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pressentir cette division que Constantin d'abord, puis la guerre, fit éclater entre le Grec, le Latin et le Barbare. Ce dernier n'avait d'action sur les autres que par la force; le champ de la pensée se trouvait disputé entre l'Orient et l'Occident, et nous avons déjà dit de quelles armes différentes ces deux mondes faisaient usage (1). En Orient, où l'on se tuait moins et où l'on discutait davantage, le christianisme se répandit avec rapidité; mais en même temps naquirent les doutes, les innovations, et cette série de dissentiments prompts à éclore de toute vérité dès qu'elle est jetée au milieu des hommes; ici-bas, en effet, elle peut être obscurcie par des amis comme par des ennemis, et par les moyens mêmes dont l'homme est obligé de se servir pour la propager, c'est-à-dire, par la parole et par l'écriture. Voilà ce qui prépara une persécution nouvelle, parfois même sanglante, à l'épouse du Christ, qui, sûre désormais de la constance de ses martyrs, dut redouter la séduction de l'erreur, et se mettre en peine pour conserver dans l'intégrité apostolique ce vaste symbole de la révélation, dont chaque partie, chaque parole correspond à l'ensemble.

La vérité, ce but de la philosophie, est aussi celui du christianisme, non plus comme simple lumière naturelle de l'esprit, mais comme clarté complète, absolue, efficace. Étant donc d'accord sur le but, la philosophie et le christianisme peuvent différer quant aux moyens d'y atteindre. L'intelligence humaine, dans le sentiment de sa haute dignité, dans la joie d'exercer son activité s'élever aux régions sublimes d'où émane toute existence, pour dévoiler les mystères de la vie, s'indigne quand on veut lui imposer de croire ce qu'elle estime pouvoir découvrir par ses propres forces; et quand elle voit assigner une source suprême à toutes les connaissances, elle se vante de suffire à séparer la lumière des ténèbres, à faire la part du bien et du mal par son libre jugement.

pour

et

De là les entraves apportées à toute vérité et plus encore au christianisme, qui, n'étant pas borné à un temps et à une nation, mais accomplissant de peuple en peuple l'éducation universelle, dut rencontrer les plus grandes résistances au dehors, les plus grandes agitations au dedans. Dieu révèle la vérité par son Christ; mais il en est qui le méconnaissent, il en est qui ne voient rien de mieux en lui qu'un de ces sages apparus de temps à autre pour

(1) Voyez ci-dessus, page 532.

apporter quelque nouvel éclaircissement à l'insoluble problème de l'humanité. D'autres le considèrent bien comme la voie, la vérité et la vie, mais dans la mesure de leur jugement, de leur volonté propre, et en tant seulement que peut l'admettre l'intelligence humaine : ainsi plus cette institution splendide grandit et s'étend, plus leur l'orgueil s'ingénie à vouloir y trouver un côté faible, et à saper les bases de l'édifice qui s'élève jusqu'au ciel. D'autres encore, faisant trop attention aux formes extérieures, telles que le service divin et la constitution hiérarchique, et s'en tenant aux expressions littérales ou aux simples actes du divin fondateur, s'érigent en censeurs des cérémonies et du gouvernement de l'Église; leur zèle s'enflamme, et ils s'égarent jusqu'à devenir les ennemis du dogme.

Ainsi, parmi les ennemis intérieurs de l'Église, les uns dirigèrent l'attaque contre les doctrines professées par elle comme les seules vraies; les autres, contre les formes extérieures. Mais comme tout changement essentiel dans la doctrine devait en produire un dans la forme extérieure, de même que toute tentative contre la forme devait s'appuyer sur la doctrine, les uns se confondirent aisément avec les autres. C'est pourquoi les dissidences, ainsi que l'ont répété plusieurs papes, se manifestèrent sous des faces diverses; mais au fond toutes se tinrent entre elles. Nous ne négligerons pas dorénavant de mentionner les diverses hérésies nées dans l'Église, attendu qu'elles représentent la série des idées qui durant dix-huit siècles ont donné le mouvement à l'humanité. De ce moment les spéculations philosophiques peuvent se diviser en deux grands rameaux. Les unes, soumettant la raison à la foi, adoptent le symbole chrétien; les autres le repoussent, et soumettent la foi au raisonnement. Nous commencerons donc avant tout par examiner les systèmes philosophiques qui s'écartent plus ou moins de la vérité selon leur manière de procéder: 1o en modifiant la tradition mosaïque; 2o en altérant le christianisme par les traditions orientales, et en dénaturant son véritable sens; 3o en lui opposant ce que la philosophie grecque avait de plus élevé, et en cherchant à mettre cette philosophie en opposition avec la religion naissante. Nous exposerons ensuite la doctrine des premiers Pères, en laissant à une science plus sublime le soin d'y chercher les preuves et le complément de la révélation.

Nous avons déjà remarqué que la pureté de la doctrine judaïque s'était altérée après la destruction du temple, peut-être par le

mélange des Hébreux avec les Orientaux ; que de là étaient nées trois sectes, dont les caractères, selon la division ordinaire de tout système religieux en décadence, peuvent se résumer en trois mots, attachement opiniâtre aux vieilles traditions, critique, mysticisme. On trouvait donc les pharisiens, asservis aux formes; les saducéens, n'admettant pour loi et pour croyance que ce qui était écrit dans les livres saints; les esséniens, adonnés à la vie Juifs alexan- ascétique (1). On peut considérer comme une autre école judaïque celle qui fut fondée à Alexandrie, et qui tendait à dépouiller la doctrine nationale de tout ce qu'elle avait de local, à la présenter sous des formes analogues à celles du monde grec. Elle l'exposait en effet dans la langue hellénique, et donnait carrière en même temps à la haine que portaient ses adeptes à leurs frères de Jérusalem, depuis l'érection du sanctuaire de Léontopolis par le grand prêtre Onias.

drins.

Philon.

Déjà, sous le règne du second Evergète, Aristobule avait introduit des innovations dans les doctrines judaïques. Prenant les faits particuliers de la Bible comme des allégories d'un sens mystérieux, il attribuait à Moïse des idées que les Grecs, à leur grand étonnement, trouvaient se rapporter identiquement à celles de leurs génies les plus sublimes (2). Non content de montrer que Platon avait puisé ses plus hautes inspirations dans le code sacré, il composa, sous le nom d'Orphée, de Linus, d'Homère, d'Hésiode, des hymnes remplis des doctrines judaïques (3), afin d'attester ainsi la priorité de celles-ci sur les systèmes philosophiques. Ses sectateurs, comme lui, prenaient de là occasion de comparer la profonde moralité des lois mosaïques avec la tendance immorale du paganisme; mais souvent ils faisaient fléchir les dogmes, afin d'attirer l'esprit des nations vers le mosaïsme.

Cette œuvre fut continuée par Philon, plus ingénieux et plus savant qu'Aristobule. Selon lui, la Bible, qui est la source de toutes les doctrines philosophiques et religieuses (4), a deux sens: un lit

(1) Voy. livre IV, c. 13.

(2) ORIGÈNE, c. Celse, IV, 4.

(3) EUSÈBE, Præp. evang., XIII, 12.

(4) Dans son traité, Que le Monde est corruptible, il insinue qu'Aristote a puisé au code hébreu : μήποτε εὐσεβέως, καὶ ὁσίως ἐπιστάμενος; et plus clairement dans le livre du Juge: τῶν παρ ̓ ἕλλεσιν ἔνιοι νομοθετῶν μεταγράψαντες ἐν, τῶν ἱεροτάτων Μωσέως στηλών, etc. Dans le traité, Que tout Homme probe est libre, il donne Zénon comme l'imitateur de Moise : ἔοικε δὲ ὁ Ζένων ὀρύσασθαι τὸν λόγον ὥσπερ ἀπὸ τῆς πηγῆς τῆς Ἰουδαίων νομοθεσίας.

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