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se disculper, soit pour donner des conseils ou pour adresser des demandes à l'empereur Philippe, soit pour raviver la ferveur des chrétiens, surtout afin qu'ils ne manquassent pas d'assister le dimanche et le vendredi à la lecture et à l'explication des textes sacrés. Le gouverneur de l'Arabie, et Mammée, mère de l'empereur Alexandre, voulurent l'entendre traiter de l'âme, et une foule de disciples était avec lui du matin au soir. Plein de bienveillance envers eux, il étudiait leur caractère, et, après les avoir habitués au raisonnement pratique, il les mettait à la logique, les accoutumant à ne pas accepter ou à ne pas réfuter les preuves au hasard, à ne pas s'arrêter à l'apparence, à ne pas s'effrayer de ce qui a l'aspect d'un paradoxe il les instruisait aussi dans les mathématiques, leur enseignait la morale, ne voulant pas qu'elle se perdit en vains discours, en définitions et en distinctions superflues, mais qu'elle portât à méditer sur soi-même en déracinant les vices, en fortifiant la raison, en engendrant la vertu. En dernier lieu venait la théologie, pour l'étude de laquelle il leur donnait à lire tout ce qu'avaient écrit les poëtes et les philosophes grecs et barbares, excepté ceux-là seulement qui niaient Dieu et la Providence, persuadé qu'il est nécessaire de connaître le fort et le faible pour se préserver des préjugés, de ne se soumettre à l'autorité d'aucun philosophe en particulier, mais à Dieu et aux prophètes. C'est là ce que nous apprend Grégoire Thaumaturge, le plus célèbre de ses disciples.

L'ouvrage d'Origène qui produisit les résultats les plus utiles est son écrit contre l'épicurien Celse, qui, au temps d'Adrien, avait composé un Discours sur la vérité, par lequel il combattait les juifs et les chretiens; il se vantait d'avoir lu leurs livres, dans lesquels il puisait des motifs de dédain et de calomnies; ce en quoi il fut misérablement copié par les prétendus philosophes du dixhuitième siècle. Origène confirme la religion moins à l'aide d'arguments que par des faits, en discutant sur les prophéties, sur les miracles de Jésus-Christ, que Celse ne niait pas, mais qu'il attribuait à la magie, et sur ceux qui se renouvelaient fréquemment dans l'Église. Il lui opposait notamment le changement des mœurs, la continence, le zèle pour la conversion d'autrui.

De même que l'école d'Alexandrie avait visé à absorber le christianisme dans sa philosophie universelle, ce Leibnitz des premiers siècles prétendit adapter le platonisme à la religion chrétienne. Il chercha un double sens dans les récits évangéliques, en leur en

supposant un mystique; il voulait qu'ils continssent deux vérités à la fois, l'une historique, l'autre morale, premier pas vers l'école protestante des modernes exégètes de l'Allemagne.

En voyageant dans l'Achaïe pour apaiser des hérésies, il fut ordonné prêtre; mais lorsqu'on apprit qu'il était eunuque, et dès lors exclu des ordres sacrés par les canons, une grande rumeur s'éleva parmi les fidèles. Ce motif, et aussi quelques erreurs disséminées dans ses écrits, déterminèrent Démétrius, évêque d'Alexandrie, à lui faire, au nom d'un concile, défense d'enseigner et de demeurer dans cette ville; il le déclara même déposé, puis excommunié.

Origène se fourvoya notamment dans un traité Des principes (περì άρxv), dans lequel, niant la dualité du principe des choses, il soutient que Dieu est bon et immuable, les créatures libres, et capables du bien comme du mal; mais il va trop loin dans les conséquences, en prétendant que l'inégalité des créatures provient de leur mérite. Dieu, créateur nécessaire parce qu'il est tout-puissant, seigneur et maître, dut de toute éternité créer des êtres qui lui obéissent; et il produisit d'abord quelque chose de passif qui fut le sujet des formes, c'est-à-dire la matière. Dans l'origine les esprits vécurent de la vie divine, comme intelligences parfaites; puis ayant faibli dans la charité, quelques-uns abusèrent de la liberté, et leur essence s'épaissit; ce qui les fit tomber à l'état d'âmes emprisonnées dans des corps divers, proportionnés à leur démérite. Les moins coupables animèrent les planètes, d'autres les anges, d'autres les hommes; d'où suit que la création entière est une grande chute, dont elle tend à se relever en passant par différents états, jusqu'à ce que la matière elle-même subisse une transformation glorieuse. Les peines n'ayant d'autre but que la correction de celui à qui elles sont appliquées, il en résulte la négation de l'éternité du châtiment.

Ces erreurs, dont il revint peut-être, furent plus tard reproduites par les ariens, qui ne manquèrent pas d'appuyer d'une telle autorité leurs subtilités nouvelles, et elles furent alors tour à tour soutenues et réfutées. Cet homme d'une vie irréprochable, et qui crut toujours à la puissance de la raison, fut révéré par ses contemporains, qui voyaient en lui presque un nouveau Platon. L'Église le considère comme l'un de ses plus illustres docteurs, et saint Jérôme n'hésita pas à le nommer le plus grand maître des Églises, après les apôtres; disant qu'il serait prêt à prendre à sa charge

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les erreurs qu'on lui imputait, pourvu qu'il en eût aussi le savoir. On aura pu remarquer une différence entre les Pères latins et les Pères grecs; car, bien que l'Orient eût transmis à l'Occident une grande partie de sa culture intellectuelle, et reçu de lui ses lois et son gouvernement, ils différaient néanmoins de caractère, de mœurs et de croyance. Ils se servaient de deux langues officielles, dont chacune avait sa littérature propre; ils adoraient les mêmes dieux, mais d'une façon différente. Les personnes éclairées entendaient donc prêcher le christianisme sous l'influence d'idées tout autres à Rome qu'à Nicomédie et à Alexandrie; il fut aussi combattu dans ces diverses contrées avec des armes différentes. La langue avait été cause en partie que la métaphysique et la philosophie sublime n'avaient jamais prospéré à Rome; tandis que la saine intelligence et l'esprit pratique s'y déployèrent au plus haut degré dans la législation. Les apologistes latins n'offrent donc pas un grand appareil d'esprit, ils conservent quelque chose de la fierté romaine; roides, opiniâtres, ils dédaignent de s'abaisser, de transiger avec l'ennemi, d'employer même contre lui d'autres armes que les leurs propres aussi négligent-ils les ornements de l'éloquence, les ressources de la logique, les réminiscences d'une littérature qu'ils haïssent. La culture intellectuelle était encore florissante en Grèce quand le christianisme apparut, ce qui fit qu'il y rencontra une résistance énergique. Plusieurs des Pères grecs avaient, comme saint Clément, passé d'une philosophie à l'autre, en cherchant un but à la vie, une règle aux actions, jusqu'au moment où ils s'étaient approchés du christianisme dans la même intention; il avait rempli leur attente, et ils étaient descendus dans la lice, ceints, comme David, de l'épée du géant.

L'ennemi même que les uns et les autres avaient à combattre était différent. Rome, pour qui la religion et l'État sont une même chose, ne sait condamner rigoureusement le christianisme qu'en le déclarant ennemi du genre humain, c'est-à-dire de l'empire; son génie légal décrète et tue, il ne discute pas; les apologistes, de leur côté, opposent rigueur à rigueur; ils se contentent d'exposer le dogme et de s'attacher à la lettre écrite. Les Grecs, au contraire, se sont vu arracher les institutions de leurs ancêtres, et on ne leur a laissé de leur ancienne gloire que les souvenirs; le goût de la discussion et des subtilités s'est enraciné et comme naturalisé chez eux, ce qui fait qu'ennuyés de ressasser les vieilles questions

sophistiques et métaphysiques, ils se jettent avec avidité sur ce qui leur offre une pâture nouvelle, un aliment plus vital. Mais les rhéteurs et les sophistes, aveuglément attachés aux doctrines de l'école, considèrent les chrétiens comme des novateurs insensés ou dangereux, qui, rejetant les idées les plus unanimement admises, et méconnaissant l'autorité de la tradition, plongent la conscience humaine dans l'incertitude. Ainsi, tandis qu'à Rome les magistrats envoyaient à la mort, les savants de la Grèce examinaient, discutaient; ce qui obligeait les apologistes d'entrer dans des détails minutieux, d'accepter l'objection captieuse, de battre en brèche les subtilités paradoxales. Sentant tout ce que la liberté de la parole a de puissance, ils demandaient seulement que la force n'intervînt pas dans la discussion de la vérité.

Le génie grec, spéculatif de sa nature, épris de tout ce qui est culture intellectuelle, proclame les services rendus par la philosophie; le génie romain, organisateur par essence, en signale les abus, et la déclare inhabile à fonder un ordre de choses réel; il vise à établir la société spirituelle et son gouvernement, par des institutions. C'est pour cela que les papes s'appliquent surtout à maintenir et à développer la constitution chrétienne, à modérer la vivacité des esprits, jusqu'à ce que tout ce qui se rattache à la foi soit complétement affermi.

Parfois les docteurs grecs et latins se montrent plus désireux d'abattre l'ennemi que de l'éclairer, ne se faisant pas faute d'employer des arguments et des faits que la critique repousse. Il n'est donc pas difficile, soit de découvrir dans leurs œuvres quelque partie faible, ou de tourner en ridicule l'insistance qu'ils mettent à renverser des objections puériles (1), soit de signaler les exagérations partiales auxquelles entraîne toute grande lutte de doctrines. Mais si l'on ne tient pas compte du genre d'ennemis qu'ils avaient à combattre, on pourra leur adresser bien plus de reproches encore, et surtout celui de faiblesse, quand ils se servent d'armes appropriées à leurs adversaires. Parmi ceux-ci, les uns, à la manière grec. que, niaient tout; d'autres, à l'orientale, se fondaient sur certaines traditions antiques, comme firent les protestants du seizième siècle, qui, par opposition aux catholiques, combattaient toute autorité, en même temps qu'ils prétendaient en établir une à leur usage.

(1) Minutins Félix s'occupe de démontrer qu'on impute faussement aux chrétiens d'adorer une tête d'âne.

Les Pères devaient donc prouver aux rationalistes grecs qu'il n'était pas possible, avec la philosophie indépendante, de parvenir à la vérité; aux orientalistes, que le christianisme, et non le paganisme, reposait sur l'autorité de la tradition. Il fallait donc avoir recours à un système d'argumentation différent: si l'on ne fait pas attention à ceux contre lesquels on s'en servit, il sera facile de dire que l'un ou l'autre était inopportun.

Mais la philosophie, qui envisage les choses sous leur aspect le plus large, voit les Pères de l'Église ouvrir la route à la société nouvelle, tout en se posant sur le terrain de l'ancienne. En combattant celle-ci, ils en révèlent les faiblesses et les secrets; ils montrent sur quelles bases chancelantes et contradictoires elle s'appuie: à l'hieroglyphe oriental ils substituent le rationalisme chrétien, qui, dans sa carrière majestueuse, embrasse tout, et n'avance rien sans le prouver; ils arrachent le voile aux oracles, aux initiations, et rendent manifeste l'ignorance de l'homme sur les vérités les plus nécessaires à sa conduite, les plus chères à son cœur, les plus douces à ses espérances.

Le triomphe leur resta. Depuis ce temps, les rois cessèrent de mettre à mort les chrétiens, mais ils ne cessèrent pas de les combattre; le vœu des gens de bien est encore la liberté de conscience, telle que Tertulien la demandait non pas pour le sénat seulement, pour une ville ou pour une nation, mais pour tout l'univers. Les questions débattues par eux sont tombées dans l'oubli, mais ils ont lutté pour nous, plèbe sans lois, sans force, sans divinité; pour que nous ne fussions plus esclaves dans les ergastules, ou la pâture des lions pour l'amusement du peuple roi, ou les jouets des sophismes des philosophes et des caprices insolents des dominateurs. Ils ont combattu pour que nous pussions avoir le sentiment de notre égalité et la proclamer comme un droit, jusqu'à ce que le temps l'ait

consacrée en fait.

311. 1er mars,

CHAPITRE XXVIII.

PAIX ET CONSTITUTION DE L'ÉGLISE.

La persécution commencée par Dioclétien durait depuis plusieurs années, quand Galérius, rappelé peut-être à de meilleurs sen

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