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une déesse? s'écrie-t-il; et il punit également ceux qui s'affligent et ceux qui se réjouissent. Il en fit autant lors de l'anniversaire de la bataille d'Actium: comme il descendait d'Auguste par sa mère et d'Antoine par son aïeule, la gaieté et la tristesse furent également coupables à ses yeux.

Il aima aussi le peuple à sa manière, lui donnant des spectacles et lui prodiguant les libéralités avec une magnificence inouïe. Il se plaignait de ce qu'aucune grande calamité ne venait lui fournir l'occasion de se montrer généreux. On le voit pourtant réunir au théâtre cette populace qu'il chérit, et faire enlever tout à coup le velarium, la laissant ainsi exposée à un soleil ardent. Une autre fois il lui jette de l'argent et des vivres, en y mêlant des lames bien affilées. Une autre fois encore il attend que le cirque soit bien rempli, et le fait tout à coup évacuer violemment; beaucoup de malheureux furent écrasés dans la foule. Alors la populace, mécontente, ne court plus en masse à ses spectacles, et il ferme les greniers publics pour la faire mourir de faim. Un jour que ses applaudissements n'étaient pas assez vifs à son gré, il s'écria : Plút aux dieux que le peuple romain n'eût qu'une seule tête, pour que je puisse l'abattre d'un coup!

Il est des moments où cet insensé roule dans son esprit de vastes projets. Il médite de transférer le siége de l'empire soit à Antium, soit à Alexandrie, dès qu'il aura immolé les principaux sénateurs et chevaliers, dont les noms sont déjà inscrits sur deux listes, l'une intitulée épée, l'autre poignard. Il se propose de couper l'isthme de Corinthe, de bâtir une ville sur la plus haute cime des Alpes. S'il se construit une maison de plaisance, c'est où la mer est profonde et orageuse, où la montagne est le plus escarpée; et il faut qu'il y ait des bains de parfums, des mets exquis, des perles à dissoudre dans les coupes de vin. Il côtoie la délicieuse Campanie dans des barques de cèdre, où des salons, des thermes, ont été ménagés, où serpentent des vignes, et dont les poupes rayonnent de pierres précieuses. Il ne veut, en un mot, rien que d'extraordinaire.

On lui avait dit qu'il serait roi quand il pourrait aller au galop sur le golfe de Baia, et il voulut le pouvoir. On réunit donc des vaisseaux et des barques en assez grand nombre pour former la longueur de quatre milles, et l'on étend sur ce pont flottant de la terre et du sable; on y plante des arbres, on y élève des hôtelle

ries, on y voit jusqu'à des ruisseaux. Cet insensé s'élance alors sur cette route au milieu d'une foule immense, puis il y fait faire durant la nuit une illumination splendide, et se vante de s'être promené sur la mer plus réellement que Xerxès, et d'avoir fait de la nuit le jour. Afin même que les supplices ne manquent pas au spectacle, il ordonne de saisir au hasard quelques-uns de ceux qui sont accourus, et de les précipiter dans les flots. Et durant ce temps Rome, privée des bâtiments employés à l'approvisionner de blés, se trouve affamée.

Caligula dépensa deux millions dans un repas; il dissipa dans une année cinq cent vingt-six millions amassés par Tibère. Pour rétablir ses finances, il mit des droits sur tout, en punissant la fraude de fortes amendes; puis, afin de multiplier les transgressions, il publia ses lois aussi secrètement que possible, et les fit afficher en caractères si petits qu'ils étaient illisibles. S'il lui naît une fille, il va quêtant des dons: au mois de janvier il veut qu'on lui donne des étrennes, et il les reçoit en personne, mesurant le dévouement par la générosité. Il va jusqu'à spéculer sur les profits d'une maison de prostitution exploitée pour son compte. Il se faisait en outre porter sur le testament des citoyens les plus riches, et leur envoyait, lorsqu'ils tardaient à mourir, quelque friandise de sa façon. Un jour qu'il jouait aux dés avec la chance contraire, il se fit apporter le cens de la province gauloise, désigna pour mourir quelques-uns des plus riches propriétaires; puis, se tournant vers ses compagnons : Vous me gagnez peu à peu, et moi je viens d'un coup de gagner cent cinquante millions.

Il fit apporter à Lyon une quantité de meubles, et les fit vendre à l'encan, présidant lui-même aux enchères et vantant chaque article. Ceci, disait-il, fut à Germanicus mon père; cela m'est venu d'Agrippa. Ce vase égyptien a appartenu à Antoine, et Auguste l'a gagné à Actium. La conclusion était une mise à prix énorme. Il en agit de même pour les biens-fonds, dont les nombreuses confiscations avaient fait baisser la valeur : il se mit à les vendre lui-même, en fixant le prix et en désignant l'acheteur. Il en résulta que plus d'un fut réduit à l'aumône par ces acquisitions forcées, et que d'autres n'échappèrent à leur ruine qu'en se tuant. Quand tout plie devant les caprices de ce fou, une seule nation ose résister. Alexandrie renfermait un grand nombre d'Hébreux; ils y vivaient en assez mauvaise intelligence avec les autres ha

des Hébreux.

bitants; ceux-ci prirent occasion de l'ordre qui enjoignait d'adorer Caïus, pour violer les synagogues et y porter des statues. Les Députation Hébreux avaient toujours trouvé les Romains tolérants envers eux; à tel point que les légions, lorsqu'elles entraient dans Jérusalem, ôtaient de leurs enseignes l'image de l'empereur, pour ne pas blesser un peuple qui avait horreur des idoles. A ce moment, au contraire, le gouverneur romain d'Alexandrie favorisait les insultes, les avanies, les assassinats dirigés contre les Juifs; ce qui les décida à députer vers Caïus leurs meilleurs orateurs.

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On voulait aussi souiller le temple de Jérusalem en y plaçant le simulacre de Caïus; et les Hébreux, revêtus du cilice, la tête couverte de cendres, avaient recours aux prières pour détourner une telle profanation. Voulez-vous résister au prince? disaient les gens prudents; ne voyez-vous pas combien vous éles faibles, et lui puissant? Nous ne voulons point combattre, répondaient-ils, mais nous mourrons plutôt que de violer nos lois; et ils se prosternaient sur la terre (1). Touché de leur affliction, Pétronius, gouverneur de Syrie, hésitait, rassemblait des troupes, faisait traîner en longueur le travail de la statue, et écrivait à Caligula pour lui demander des instructions. Celui-ci, excité par les ennemis des Juifs, voulait leur faire la guerre, porter sa statue à Jérusalem, et inscrire sur le temple: A l'illustre Caïus, nouveau Jupiter.

Les députés hébreux furent introduits près de l'empereur, dans la maison de plaisance de Mécène. Il leur fit des reproches comme à des ennemis des dieux, qui méprisaient sa majesté et adoraient un dieu inconnu. Comme ils protestaient de leur dévouement à sa personne, en l'assurant qu'ils offraient des sacrifices pour sa conservation, Oui, reprit-il; mais vous en offrez aussi à une autre divinité. Je ne me trouve pas honoré ainsi.

Les Alexandrins n'épargnèrent pas les railleries à ces ambassadeurs, qui ne mangeaient pas de chair de porc et s'abstenaient de leurs extravagances religieuses ou nationales: ils cherchèrent à irriter contre eux l'empereur, qui pourtant pensa qu'il y avait plutôt folie de leur part que méchanceté à ne pas le reconnaître pour dieu.

Au milieu de la décadence universelle du sentiment religieux, on se plaît à le voir si vif encore parmi les Hébreux, et associé au patriotisme pour résister à un homme dont « on ne pouvait espérer de

(1) JOSEPHE, Antiq. Judaïques, 1. XVIII, c. 11.

"

clémence, puisqu'il prétendait être dieu (1). » Au plus fort de l'oppression et du péril, les Hébreux disaient : Nous avons maintenant à espérer plus que jamais : l'empereur est tellement courroucé contre nous, que Dieu ne peut manquer de nous secourir.

gula.

Il n'y manqua pas en effet. Un tribun des cohortes prétoriennes, Mort de CaliCassius Chéréas, était souvent en butte aux plaisanteries grossières de Caligula. Il se souvint de l'ancienne dignité romaine; et, moins fatigué des cruautés de Caïus que des railleries ordurières qu'il lui adressait, il conjura avec d'autres prétoriens, qui, voyant leur vie sans cesse en péril s'ils ne tranchaient celle de Caligula, lui donnèrent la mort.

Césonie, sa femme, resta avec sa jeune fille près du cadavre de son mari; et quand les meurtriers se jetèrent aussi sur elle, elle leur tendit son sein nu, en les invitant à se hâter. Elle mourut avec courage, et Rome put respirer.

Mais non; les soldats qui avaient leur part des rapines de Caligula, les Germains mercenaires, surtout les prostitués des deux sexes qui profitaient de ses prodigalités insensées; la foule de ceux qui, ne possédant rien, n'avaient rien à craindre; les esclaves, à qui il était permis de dénoncer leurs maîtres et de s'enrichir de leurs dépouilles, regrettèrent Caïus. Ils se mirent, pour le venger, à abattre des têtes et à les porter en triomphe, en disant que la nouvelle de sa mort était fausse. Quand ils ne peuvent pourtant douter que l'empereur n'est plus, qu'il n'y a plus rien à en espérer, ils changent de langage et commencent à crier liberté. Le sénat, qui, maudissant le nom de Caligula, pense, après soixante ans de patience, à rétablir la république, prend aussi pour ralliement le mot de liberté. Mais les prétoriens pouvaient-ils attendre de la liberté des caresses, des libéralités, des honneurs, comme d'un empereur ayant besoin de leurs bras pour le défendre contre les victimes de sa tyrannie? Il leur faut donc un empereur, quel qu'il soit, peu leur importe; et en attendant ils s'occupent à piller le palais. Tandis qu'ils y travaillent, ils aperçoivent deux pieds qui dépassent le rideau qui dérobait un lieu secret ; ils l'ouvrent, et trouvent là un gros homme d'un âge mûr, qui se jette à leurs pieds en implorant leur miséricorde.

C'était Tibérius Claudius, frère de Germanicus, l'oncle et le

(1) La députation des Hébreux à Caligula est bien racontée par le Juif Philon.

4r.

24 juin.

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Claude.

jouet de Caligula; homme de cinquante ans environ, à moitié imbécile, un peu versé dans les lettres et ennemi du bruit. Les prétoriens le proclament empereur; et comme la frayeur l'empêche de marcher, ils le prennent sur leurs épaules et le portent à leur camp, tandis que le peuple s'écrie: Ne le tuez pas! laissez les consuls prononcer sa sentence.

Agrippa, roi des Juifs, condamné à mort par Tibère, puis favori de Caligula, se trouvait alors à Rome, et passait pour être fort adroit, comme tous les hommes de sa nation. Il donna en secret la sépulture à son bienfaiteur, puis se rendit près de Claude, qu'il encouragea à accepter l'empire. Il mentra ensuite au sénat combien il avait peu de ressources pour résister, et lui suggéra d'envoyer vers Claude pour l'amener doucement à renoncer à l'empire que lui ont décerné les prétoriens, ou du moins à le recevoir du sénat. Il se mêle lui-même aux députés, mais en secret il exhorte vivement Claude à répondre par un refus et à persister. En effet, celui-ci proteste qu'il obéit à la force, qu'il a horreur du sang, et invite les députés, s'ils veulent la guerre civile, à épargner les temples et les édifices, en faisant choix d'un champ de bataille en dehors de la ville.

Les sénateurs eurent un moment l'idée d'armer les esclaves : c'eût été sans doute une nombreuse et redoutable armée ; mais une idée généreuse pouvait-elle durer longtemps chez ces patriciens décimés par les proscriptions, appauvris par les confiscations, déshonorés par leurs lâches flatteries? Le peuple, au contraire, demandait hautement un empereur, et proclamait Claude. Soldats, gladiateurs, marins, en faisaient autant. En vain Chéréas rappelait la majesté du sénat, l'imbécillité de Claude, les avantages du gouver. nement républicain; personne ne voulait être libre que ceux-là qui auraient régné au nom de la liberté.

Claude fut donc reconnu, et il proclama un pardon général : Chéréas seul fut immolé aux mânes de Caligula. Au moment de subir le supplice, il trouva que l'épée du bourreau n'était pas assez tranchante, et demanda à être décapité avec celle dont il avait frappé le tyran; puis il mourut en républicain. Le peuple l'admira, lui demanda pardon de son ingratitude, lui fit des libations; puis il se remit à courtiser Claude et à l'adorer.

Le nouvel empereur avait été le jouet de la famille Julia; et à force de le traiter d'imbécile, elle l'avait rendu tel, ou lui avait du

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