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CHAPITRE XXVII.

APOLOGIES ET CONTROVERSES.

Il y a quelque chose de plus pénible aux propagateurs de la vérité que les persécutions et la mort, c'est la calomnie ou l'indifférence; et toutes deux mirent aussi à de rudes épreuves la patience des premiers chrétiens. Juvénal décrivit un de leurs supplices avec l'insouciance du libre penseur qui voit tuer des fanatiques (1). Tacite, soit ignorance, soit malignité, dit que les chrétiens formaient une secte odieuse parmi celles qui infectaient Rome, cloaque de toutes les immondices (2). Pline le jeune ne peut les croire coupables, et pourtant il les punit; Pline l'ancien, Plutarque, Sénèque, Quintilien, ne les nomment même pas. La longue histoire de Dion Cassius n'en fait pas mention. L'Histoire Auguste, trèsétendue aussi, en parle fort peu; Lucien fait sur eux des plaisanteries absurdes (3). Tous les doctes accusent les prédicateurs

(1) Pone Tigellinum : tæda lucebis in illa,

Qua stantes ardent, qui fixo gutture fumant,

Et latum media sulcum deducit arena.

Sat. I, 155.

Il fait allusion aux fanaux des jardins de Néron.

(2) Annales, XV, 44.

(3) Si pourtant le dialogue intitulé Philopatori n'est pas d'un auteur plus ancien. Une de leurs assemblées y est ainsi dépeinte :

Critias. Je suivais une ruelle de la ville, quand je vis une troupe de gens qui se parlaient à l'oreille. Je fixai mon regard sur eux, pour y chercher quelqu'un de ma connaissance, et je distinguai le politique Craton, avec lequel je suis lié d'amitié depuis mon enfance.

Tryphon. Je ne sais qui tu veux dire. Peut-être celui qui préside à la répartition des tributs? Eh bien ! qu'en fut-il ?

Critias. Ayant fendu la foule, je me mis à côté de lui, et après lui avoir adressé un mot, j'entendis un petit vieillard, nommé Caricène, qui, d'une petite voix et en parlant du nez, non sans avoir bien toussé et craché, s'exprima ainsi : Celui que je t'ai dit payera le reste des tributs; il acquittera toutes mes dettes publiques et privées, et recevra toutes personnes sans s'informer de leur profession. Caricène ajouta d'autres futilités également applaudies par les assistants, dont la nouveauté des choses avait attiré l'attention. Un autre frère, appelé Clévocharme, sans chaussure et sans chapeau, avec un manteau rapiécé, grommelait entre ses dents. Un homme en piètre équipage, qui venait des montagnes et avait la tête rase, me le montra...... Alors un des assistants

de l'Évangile de s'adresser à des femmes, à des enfants, à des esclaves, et d'éviter d'avoir affaire aux gens éclairés. « Dans les mai«sons particulières, dit Celse, on voit des hommes incultes, de grossiers ouvriers en laine, rester muets devant les vieillards et « les pères de famille. Mais rencontrent-ils des enfants ou des <«< femmes? les voilà qui pérorent, leur donnant à entendre qu'il << ne leur faut écouter ni pères ni pédagogues, qui déraisonnent et << sont incapables de connaître et d'apprécier la vérité. Ils encouragent les enfants à secouer le joug, et à venir soit au gynécée, << soit dans la boutique d'un blanchisseur, soit dans celle d'un sa« vetier, pour y apprendre ce qui est parfait. »

C'est ainsi qu'ils les tournent en ridicule; mais le soleil ne laisse pas de monter, parce qu'il plaît à quelques-uns de fermer les yeux à sa clarté. La parole avait beau être étouffée ou bafouée, elle n'en retentissait pas moins de toutes parts; elle pénétrait dans les écoles, et se trouvait soutenue par des écrits remarquables, par une argumentation pressante; si bien qu'il ne fut plus permis aux hom

au regard farouche me tira par le manteau, croyant que j'étais de la congrégation, et m'invita pour mon malheur à me rendre à la réunion de ces sorciers. Nous avions déjà passé le seuil de bronze et les portes de fer, comme dit le poëte, quand, après avoir grimpé tout en haut d'une maison par un escalier tortueux, nous arrivons non dans une salle de Ménélas, resplendissante d'or et d'ivoire, mais dans une mansarde dégoûtante. J'y vis des figures pâles, défaites, penchées vers la terre, qui, dès qu'elles m'eurent aperçu, s'en vinrent joyeuses au-devant de moi, me demandant si j'apportais quelque nouvelle sinistre. Il semblait que ces gens désirassent des événements terribles, et qu'ils se plussent au récit des désastres. Après s'être parlé à l'oreille, ils s'enquirent donc qui j'étais, d'où je venais..... Puis, comme des gens qui vivent dans l'air, ils me demandèrent des nouvelles de la ville et du monde. Quand j'eus répondu, Tout le peuple est dans l'allégresse et y sera encore à l'avenir, ils froncèrent le sourcil, et repartirent qu'il n'en serait pas ainsi; que de grandes calamités se préparaient, que bientôt le nuage éclaterait...... Ils se mirent alors à débiter ce

qui leur passait par la cervelle que les affaires changeraient de face; que Rome serait troublée par les factions; que nos armées seraient défaites. Ne pouvant plus y tenir, je m'écriai, hors de moi: Ah! misérables!.... que les maux prophétisés par vous retombent sur votre tête, puisque vous aimez si peu la patrie!

Tryphon. Et que répondirent ceux qui ont le chef ras et aussi l'esprit?

Critias. Ils prirent la chose tranquillement, et recoururent à leurs subterfuges accoutumés, prétendant voir ces choses en songe, après avoir jeûné dix soleils et passé la nuit à chanter des hymnes.... Alors, avec un sourire faux, ils se levèrent des lits misérables sur lesquels ils reposaient, etc., etc.

Fre apologie de saint Justin. 103-167.

mes instruits de négliger la doctrine nouvelle, qui provoquait l'exa. men et demandait justice.

Une opinion est déjà puissante, quand le parti qui peut l'opprimer par la force se sent entraîné à la combattre par des raisons. La question une fois transportée sur le terrain de la discussion, les chrétiens purent accepter le défi; et, tandis que les martyrs attestaient la vérité par leur sang, les apologistes la défendirent avec leur esprit.

La première apologie fut présentée par le philosophe Aristide Quadratus, évêque d'Athènes, à l'empereur Adrien, lorsqu'il se trouvait dans cette ville pour se faire initier aux mystères d'Éleusis. Déjà Sérénius Granianus, proconsul d'Asie, s'était adressé à ce prince pour lui remontrer combien il convenait peu d'accorder aux vociférations du vulgaire le sang de tant d'innocents qui n'étaient coupables que de nom. L'empereur lui avait répondu qu'on ne devait pas laisser ce genre de procès sans examen; qu'autrement il en naîtrait des désordres; qu'il ne fallait pas toutefois prêter l'oreille aux plaintes confuses ni aux bruits vagues; mais faire justice toutes les fois que les chrétiens seraient accusés de faire quelque chose contre la loi ; il ordonnait en outre de punir les calomniateurs (1). Il ralentissait ainsi mais ne faisait pas cesser la persécution. Marc-Aurèle donna des instructions dans le même sens, déterminé peut-être par les représentations de deux évêques, Mélitène de Sardes et Apollinaire de Gérapolis.

Justin, de Sichem en Samarie, après avoir étudié dans toutes les écoles de philosophie sans y avoir trouvé la vérité, avait quitté l'i. dolâtrie pour le christianisme; il adressa à Adrien, à Vérus et à Lucius, au sénat et au peuple romain, une apologie dans laquelle il se plaint de ce que les chrétiens seuls soient persécutés, quand tant d'absurdes religions, tant d'imposteurs sont tolérés ; de ce qu'on les accuse de ne pas suivre les rites des gentils, quand les gentils euxmêmes ne s'accordent pas, et disputent pour savoir, entre les animaux, lequel sera la victime, lequel sera le dieu.

Bien que le secret des assemblées fût caché aux profanes, Justin l'expose aux empereurs, en racontant la forme du baptême et de l'eucharistie: il explique ce que les chrétiens pensent des choses d'en haut: Le règne qu'ils attendent, dit-il, n'est pas de ce monde,

(1) EUSEBE, Hist., IV, 8, 9.

car alors il leur faudrait l'attendre dans cette vie, tandis qu'au contraire ils vont avec joie à la mort, qui hâte le règne de Dieu. Afin d'atteindre à ce terme de leurs vœux, ils s'abstiennent du mal et font le bien; l'homme parmi eux ou garde une continence parfaite, ou, s'il se marie, il ne croit pas qu'il lui soit permis d'exposer ses enfants comme les gentils le font communément, avec l'approbation des philosophes et la tolérance des princes. « Nous croyons « que les hommes pervers exposent seuls leurs enfants d'abord « parce que nous observons que la plupart ne les élèvent que pour << les prostituer, car l'on voit chez toutes les nations des milliers « d'enfants destinés à de mauvais usages, et qu'on élève comme « autant de troupeaux de bétail. Vous en tirez un tribut, au lieu « d'en délivrer votre empire, et ceux qui abusent de ces infortunés, outre le péché qu'ils commettent, peuvent être amenés par «<le hasard à abuser de leurs propres enfants. »>

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Telles étaient les mœurs des Romains sous un empereur des plus sages, et pourtant ce que rapporte saint Justin n'est pas tout. Il continuait ainsi : « Dans la crainte qu'un enfant exposé ne périsse, et pour ne pas être homicides, nous ne nous marions

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qu'autant qu'il nous est donné de pouvoir élever nos enfants; et quand nous renonçons au mariage, nous gardons une continence « parfaite. De plus, à Alexandrie, un des nôtres, afin que vous voyiez qu'il n'est rien dans nos mystères des iniquités qui nous • sont attribuées, présenta une supplique au gouverneur Félix pour qu'il permit à un chirurgien de le faire eunuque, en disant que «< cette permission était nécessaire. Félix ne voulut pas répondre à « la requête, et le jeune homme qui la lui avait adressée resta sa«<tisfait dans sa conscience. »>

Enfin, comme il était utile de justifier les chrétiens sur le fait de leurs assemblées et cérémonies, saint Justin ne s'abstient pas d'en révéler le secret, bien qu'il ne fût pas permis régulièrement d'en parler devant ceux qui n'étaient pas chrétiens. Il explique ainsi le baptême : « Nous ferons connaître maintenant comment « nous sommes consacrés à Dieu et renouvelés en Jésus-Christ, « afin que l'on ne pense pas que nous le tenions caché malicieuse«ment. Ceux qui sont convaincus de notre doctrine, et qui promet« tent de mener une vie conforme à ce qu'elle prescrit, sont obligés par nous à jeûner, à prier, à demander à Dieu la rémission de

« leurs fautes passées, et nous prions et jeûnons avec eux. Nous les

T. V.

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«< conduisons ensuite en un lieu où est l'eau, et là ils sont régé

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nérés comme nous l'avons été il faut pour cela être lavé dans <«< l'eau au nom de Dieu, père de toutes choses, et de notre Sau<< veur Jésus-Christ, crucifié sous Ponce Pilate, et de l'EspritSaint, qui prédit par les prophètes tout ce qui est arrivé au su<< jet de Jésus-Christ. Nous appelons ce bain illumination, parce que << les âmes s'illuminent en lui.

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« Après le baptême, le nouveau fidèle, admis ainsi que nous l'a«<vons dit, est amené parmi les autres frères dans le lieu où ils << sont rassemblés, pour prier en commun avec recueillement tant « pour eux que pour l'illuminé, et pour tous les autres fidèles, en quelque pays qu'ils se trouvent, afin qu'ayant connu la vérité il « nous soit donné, à l'aide des bonnes mœurs et de l'observation « des commandements, d'arriver en lieu de salut éternel. Les « prières terminées, nous nous saluons par un baiser; puis on présente, à celui qui préside l'assemblée, du pain et une coupe de vin << et d'eau. Cela pris, il loue et glorifie le Père au nom du Fils et << du Saint-Esprit, et leur rend des actions de grâces pour les dons « reçus d'eux. Quand la prière et les actions de grâces sont finies, « tous les assistants disent à haute voix : Amen, ce qui, en hébreu, « veut dire, ainsi soit-il. Ensuite ceux qu'on appelle diacres dis<< tribuent le pain, le vin, l'eau consacrés, et en portent aux « absents.

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« Cette nourriture a nom parmi nous eucharistie; et il n'est pas permis d'en approcher à qui ne croit pas dans la vérité de notre << doctrine, n'a pas été lavé pour la rémission de ses péchés, et ne << vit pas selon les préceptes de Jésus-Christ. Car elle n'est pas prise par nous comme pain ou comme breuvage ordinaires; « mais de même que, par la parole de Dieu, Jésus-Christ s'est in« carné et a pris chair et sang pour notre salut, ainsi cette nourriture, «< sanctifiée par l'oraison de son Verbe, devient la chair et le sang de « Jésus-Christ incarné, et deviendra notre chair et notre sang par « la transformation qu'elle subit. Voilà ce qui se passe parmi <«< nous. En outre, ceux qui peuvent le faire secourent les pauvres. Ainsi, nous sommes toujours unis; et, pour chacune des offrandes, nous bénissons le Créateur dans son Fils et dans l'Es<< prit-Saint.

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Le jour du soleil, ceux qui demeurent dans la ville ou dans « la campagne se réunissent dans un même lieu; et quand le

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