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celui qu'elle avait aimé, racheta son cadavre à un prix énorme, et, revenue de ses erreurs, elle distribua ses biens aux pauvres, donna la liberté à ses esclaves, et se retira du monde, avec un petit nombre de suivantes.

"

A Carthage, Perpétue et Félicité se rendirent célèbres par un saint héroïsme. La première, d'une famille noble, âgée de vingtdeux ans, ayant un enfant à la ́ mamelle, habitait avec son père, sa mère et deux frères; l'autre était esclave, et au moment de devenir mère. Le père de Perpétue, païen zélé, la pressait de sacrifier aux dieux. «< Ayant été quelque peu (dit-elle en racontant son martyre) sans voir mon père, j'en rendis grâce au Seigneur, et son absence me permit de reprendre haleine. Durant ce peu de jours, nous fûmes baptisées, et, en sortant de l'eau, j'implorai la patience dans les peines corporelles. Quelques jours après, nous fû-mes mises en prison, ce dont je demeurai effrayée, n'ayant vu jamais de pareilles ténèbres. Quelles horribles journées! quelle chaleur produisait l'encombrement! Les soldats nous maltraitaient. J'étais dévorée d'inquiétude pour mon enfant. Alors les diacres Tertius et Pomponius, qui nous assistaient, obtinrent à prix d'argent que nous pussions respirer durant quelques heures. Nous sortîmes, et chacun pensait à soi. Je donnai le sein à mon enfant, je le recommandai à ma mère, et consolai mon frère: mais je me désolais en voyant combien je leur causais de douleur, et je passai plusieurs jours sur une telle croix. . .

« Le bruit s'étant répandu que nous devions être interrogés, mon père vint de la ville à la prison, et me dit, en proie à une grande affliction: Ma fille, pitié pour mes cheveux blancs! pitié pour ton père! Si je mérite ce nom, si je t'ai élevée jusqu'à cet age, si je t'ai préférée à mes autres enfants, ne me couvre pas d'opprobre. Songe à ta mère, songe à l'enfant que tu nourris et qui ne pourra te survivre. Renonce à cette obstination, pour ne pas causer notre perte à tous; car aucun de nous n'osera plus lever le front, s'il doit t'arriver malheur.

« C'est ainsi qu'il me parlait avec attendrissement, me baisant les mains, se jetant à mes pieds, pleurant, et m'appelant non pas sa fille, mais sa dame. J'étais touchée de compassion, en voyant que, de toute la famille, il serait le seul à ne pas se réjouir de notre martyre; et pour le consoler je lui dis: Il en sera ce que Dieu voudra, car nous ne sommes pas en notre pouvoir, mais au sien.

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Il se retira contristé. Le lendemain, à l'heure du dîner, on vint nous appeler pour l'interrogatoire. Le bruit s'en répandit aussitôt dans les quartiers voisins, et attira une foule de gens. Nous montâmes au tribunal. Le procureur Flavien me dit : Songe à la vieillesse de ton père, à la faiblesse de ton enfant : sacrifie pour la prospérité des empereurs.- Je ne le ferai pas, repondis-je. Et lui Es-tu chrétienne? Je suis chrétienne, répartis-je. Comme mon père s'efforçait de m'entraîner du tribunal, Flavien commanda qu'il fût chassé; et il fut frappé d'un coup de verge que je sentis, comme si j'eusse été battue moi-même, tant j'étais affligée de voir mon père maltraité dans sa vieillesse. Alors Flavien prononça notre sentence, ordonnant que nous fussions exposées aux bêtes. Nous retournâmes joyeux à la prison, et j'en.voyai aussitôt le diacre Pomponius demander à mon père mon enfant, qui était habitué à rester à côté de moi et à prendre mon lait. Mais je ne pus l'obtenir, et Dieu permit que l'enfant ne cherchât pas mon sein, et que le lait ne m'incommodât pas. »

La piété de ceux qui leur survécurent a décrit ainsi leur fin : « Félicité était dans le huitième mois de sa grossesse ; et voyant le jour du spectacle approcher, elle vivait dans une grande appréhension que son martyre ne fût différé, parce qu'il était défendu de tuer les femmes enceintes. Les compagnons de son sacrifice s'affligeaient pour leur part de la laisser seule sur la route de leurs communes espérances. Tous se réunirent donc pour prier et gémir ensemble trois jours avant le spectacle. A peine la prière était-elle finie, que les douleurs la prirent; et l'accouchement étant naturellement plus pénible dans le huitième mois, elle souffrit extrêmement, et elle gémissait. C'est pourquoi un geôlier lui dit : Si tu te lamentes à cette heure, que feras-tu quand tu seras exposée aux bétes? Elle mit au monde une fille, qu'une chrétienne a élevée comme la sienne propre. eurent permission d'entrer dans la prison et de s'encourager entre eux. Le geôlier était déjà converti. La veille du combat, on leur servit, selon l'usage, le banquet libre, qui se faisait en public; mais les martyrs le changèrent en une agape; et ils parlaient au peuple avec la liberté accoutumée, lui disant Regardez-nous bien en

face,

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Les frères et tous les autres

, pour nous reconnaître au jour du jugement.

Quand l'heure du combat fut venue, les martyrs sortirent de

ja prison pour l'amphithéâtre comme pour le ciel, joyeux et plus

émus d'allégresse que de frayeur. Perpétue les suivait, le visage serein et d'un pas tranquille, comme une personne appartenant à Jésus-Christ, les yeux baissés pour en cacher l'éclat aux spectateurs. Félicité était satisfaite de se trouver délivrée, pour pouvoir affronter les bêtes féroces. Arrivés à la porte, on voulait les obliger à prendre les ornements de ceux qui figurent dans de pareils spectacles; c'était, pour les hommes, le manteau rouge des prêtres de Saturne; pour les femmes, les bandelettes que portent sur la tête les prêtresses de Cérès : mais les martyrs refusèrent les livrées de l'idolâtrie.

« Quand Perpétue et Félicité furent dépouillées de leurs vêtements et enveloppées de filets pour être exposées à une génisse furieuse, le peuple frémit d'horreur à voir l'une si délicate et l'autre à peine relevée de couches; elles furent donc retirées et enve-、 loppées de larges habits. Perpétue, heurtée la première, fut renversée sur le dos; elle se releva sur son séant, et voyant sa robe déchirée d'un côté, elle la tira pour couvrir sa cuisse, plus occupée de sa pudeur que de sa souffrance. Elle rassembla ses cheveux qui. retombaient épars, pour ne pas paraître en deuil ; et voyant Félicité étendue, elle lui tendit la main pour l'aider à se relever. Elles allèrent ainsi vers la porte Sana-Vivaria, où Perpétue fut accueillie par un catéchumène nommé Rusticus. Alors, comme se réveillant d'un profond sommeil, elle se mit à regarder autour d'elle, en disant Eh bien! quand nous exposera-t-on à cette génisse? Quand il lui eut appris ce qui s'était passé, elle ne voulut le croire que lorsqu'elle eut remarqué sur son corps et sur ses habits les traces de ce qu'elle avait souffert.

<< Son frère étant venu près d'elle, elle lui dit, ainsi qu'à Rusticus: Restez fermes dans la foi, aimez-vous les uns les autres, et ne prenez pas scandale de nos souffrances. Le peuple les redemanda dans l'amphithéâtre, où les deux martyres se rendirent d'ellesmêmes, après s'être donné le baiser de paix. Perpétue échut à un gladiateur inexpérimenté, qui la piqua entre les os et la fit crier; car les supplices des patients demi-morts étaient le noviciat des gladiateurs. A la fin, elle dirigea elle-même à sa gorge le bras mal assuré de son bourreau. >>

C'était avec un semblable héroïsme que ces victimes généreuses assuraient l'émancipation de la femme, et rachetaient leur sexe d'un honteux esclavage, en l'élevant à la dignité sainte de la femme chrétienne.

Dans les dernières persécutions, le nombre des chrétiens s'était tellement accru, qu'il obligeait à quelques ménagements; souvent on sévissait contre l'évêque, sans molester le troupeau. Il était permis d'assister les condamnés et de recueillir leurs restes. Cécilius Cyprianus, évêque de Carthage, s'était soustrait longtemps aux persécutions que lui suscitait son zèle, soit en se cachant, soit en fuyant, ce qui lui attira des reproches de l'Église de Rome. Mais quand le proconsul Paternus lui intima l'ordre impérial, enjoignant à ceux qui avaient abandonné l'antique religion d'y revenir et de la pratiquer, Cyprien n'hésita pas à s'y refuser, en alléguant toutefois son titre de citoyen romain, et en protestant de son dévouement aux empereurs. Il fut donc banni, puis rappelé, et enfin condamné à mort. Deux officiers vinrent le prendre dans leur char; et l'ayant conduit dans la maison de l'un d'eux, ils le gardèrent à souper à une table bien servie, en laissant plusieurs de ses amis venir s'entretenir avec lui, tandis qu'au dehors la multitude des fidèles remplissait la rue. Quand la sentence fut prononcée, tous s'écrièrent: Nous mourrons avec lui; puis, lorsqu'il eut été conduit au lieu du supplice, ses diacres et ses prêtres l'accompagnèrent, et l'aidèrent à se dépouiller de ses vêtements. Ils étendirent des morceaux d'étoffes pour recueillir son sang; et quand il eut été décollé, ils donnèrent au bourreau vingt-cinq pièces d'or, comme le saint l'avait ordonné. Son cadavre fut ensuite porté par eux en triomphe au cimetière chrétien.

Les édits de Dioclétien furent modifiés sous ses successeurs, selon le caractère de chacun d'eux. Constance les adoucit; Maximien, Galère et Maximin ajouterent à leur rigueur. Maxence rendit à l'Afrique quelque repos, peut-être dans l'intention de s'attacher un parti dont la persécution même montrait la force. Sous lui, nous voyons Marcel, évêque de Rome, imposer des pénitences sévères à ceux qui avaient succombé dans la persécution précédente ; rigueur qui excita beaucoup de dissensions, d'où résulta qu'il fut exilé par l'empereur (1). Mensurius, évêque de Carthage, donna asile dans

(1) Voir son épitaphe dans GRUTER, Inscr. 1172. On trouve dans le même ouvrage deux autres inscriptions ainsi conçues : « Diocletianus Jovius, Maximianus Herculeus, Césars Augustes, après avoir étendu l'empire romain dans l'Orient et dans l'Occident, et avoir détruit le nom des chrétiens, qui perdaient la république......... >>

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Dioclétien, César Auguste, après avoir adopté Galère dans l'Orient, et détruit en tous lieux la superstition du Christ et étendu le culte des dieux........ »

sa maison à un diacre qui avait écrit contre l'empereur, et refusa de le livrer. Appelé à Rome pour rendre compte de sa conduite, il fut renvoyé absous (1).

Galère déploya une bien plus grande sévérité dans l'Illyrie, dans la Thrace et dans l'Asie, ainsi que dans la Syrie, la Palestine et l'Égypte. Et même lorsqu'il eut accordé le repos à l'Église, Maximin, qui administrait sous lui, continua par cruauté et par superstition le massacre des chrétiens, et chercha à donner au paganisme ce qui lui manquait, une constitution modelée sur celle de l'Église. Après avoir réparé et orné les temples dans les principales villes, il subordonna les prêtres des différentes divinités à des pontifes chargés d'exciter et d'amener à l'idolâtrie : ceux-ci, de même que les évêques relevant des métropolitains, furent sous la dépendance de grands prêtres, qui, vêtus de blanc et choisis dans les principales familles, agissaient comme vicaires immédiats de l'empereur. Il se fit en outre exhorter par toutes les villes à suivre plutôt la justice que la clémence à l'égard des chrétiens, généralement abhorrés; et il confia l'exécution de ses édits aux prêtres et aux magistrats, qui non-seulement les chassèrent, mais leur infligèrent mille tourments et même la mort. Peut-être voulait-il par là se concilier la faction païenne. Mais comme Galère approchait de sa fin, il ne voulut pas avoir pour ennemis tous les chrétiens, et ralentit la persécution. C'est pourquoi nous voyons en 310 la Syrie jouir d'une si grande tranquillité, que l'on y réédifiait les églises (2).

Ce n'était donc plus par sentiment religieux que l'on déclarait la guerre aux chrétiens ou qu'on leur accordait la paix, mais par politique (3); il s'agissait d'écraser ou d'élever une faction devenue déjà assez forte pour tenir en suspens la fortune de l'empire.

L'inscription rapportée par MASDEU, Hist. de España, V, 372, est plus remarquable encore :

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Le pieux Constance Chlore est ici complice de la persécution.

(1) OPTAT., Contra Donatist., I, 17, 18.

(2) EUSEBE, De martyr. Palestinæ, c. 13.

(3) MOSHEIM dit: Talem fuisse christianorum statum, qualem reipu

blicæ, p. 955.

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