Imatges de pàgina
PDF
EPUB

touché surtout de la piété avec laquelle il va recueillir les cendres de sa mère et de ses frères, et les rapporte de la terre d'exil dans le mausolée d'Auguste (1).

(1) « En voyant, après la mort de Tibère, Caligula devenu mattre de l'empire de la terre et de la mer, lorsque l'État jouissait de la plus grande tranquillité, que des institutions excellentes étaient déjà établies, que la paix et la concorde régnaient dans les provinces; quand un seul royaume réunissait le nord et le midi, l'orient et l'occident; quand les Grecs et les barbares en bon accord, les habitants des villes et les armées, vivaient tous pacifiquement les uns avec les autres, participant également aux emplois et aux avantages civils, qui n'aurait admiré le bonheur si rare et presque inexprimable du nouveau prince? Il s'agissait pour lui d'un héritage réunissant toutes sortes de biens: des trésors pleins d'argent et d'or, partie en barres, partie en pièces monnayées, partie en vases précieux pour l'ornement des tables et des palais; des forces considérables en infanterie, cavalerie et vaisseaux ; des revenus qui semblaient couler d'une source intarissable; une puissance s'étendant sur les principales parties du monde habitable, avec deux fleuves aux confins, l'Euphrate et le Rhin; celui-ci servant de barrière contre la Germanie et les autres nations barbares, l'autre contre les Parthes et les peuples de la Sarmatie et de la Scythie, non moins farouches que les Germains. De l'orient à l'occident, partout où nous environne l'Océan, régnait l'allégresse publique, et le peuple romain jouissait avec toute l'Italie, avec toutes les provinces, tant d'Europe que d'Asie, d'une paix joyeuse. Si l'on avait pu espérer précédemment sous tout autre empereur une aussi grande dose de biens, à plus forte raison tous les peuples étaient alors en droit non d'espérer, mais de se regarder comme très-assurés de jouir de tous les avan⚫ tages publics et privés, d'une félicité entière, sous les auspices d'un homme plein de bonté à tous égards. Aussi dans chaque ville on ne voyait qu'autels, victimes, sacrifices, et citoyens vêtus de blanc et couronnés de fleurs, dont le visage respirait la joie et le contentement. Tout était plein de fêtes, de solennités, de réjouissances partout on faisait assaut de musique et de spectacles; partout des festins, des veillées au son des cythares et des flûtes; c'étaient des plaisirs de toutes sortes. On avait mis de côté ou renvoyé à d'autres temps les affaires, pour jouir complétement et par tous les sens de délices variées à l'infini. Il n'y avait plus de différence entre les riches et les pauvres, entre les grands et les petits, entre les créanciers et les débiteurs, entre les maîtres et les esclaves, la circonstance égalisant les droits : si bien que le siècle de Saturne, décrit dans les fables des poëtes, semblait être réalisé. Telle fut l'abondance et la fertilité; telle fut l'allégresse et la sécurité dont toutes les familles et toutes les populations jouirent pleinement durant les sept premiers mois de son empire. Mais, dans le huitième mois, Caïus fut atteint d'une maladie très-grave, parce qu'il voulut changer la manière de vivre frugale et salubre de Tibère, pour étaler un luxe royal. Il se mit en effet à consommer beaucoup de vin et autres choses ex. quises; et son appétit immodéré ne se rassasiait pas quand son estomac était rempli. Il ajoutait à cela des bains intempestifs, et des vomissements provoqués pour boire de nouveau, et les plaisirs du ventre et de ce qui est au-dessous du

Mais ce jeune homme épileptique, qui jusqu'alors avait été l'enfant chéri des soldats, le pauvre orphelin tremblant sous le regard de l'oncle arbitre de sa vie, ne se sentit pas plutôt le maître du monde entier, qu'il pouvait conduire à son gré, mais dont un coup de poignard pouvait aussi le priver, qu'il ne fut plus le même. Après avoir vu, durant une maladie qu'il fit, cent soixante mille victimes sacrifiées aux dieux pour qu'ils conservassent l'astre tutélaire de la patrie et ses délices, il s'abandonna à un tel délire de sang et de brutalité, qu'on ne saurait expliquer ses actes qu'en le supposant tombé en démence.

Si ses folies impitoyables furent sans influence sur les destinées des nations, elles montrent du moins où en étaient les hommes au moment le plus splendide de l'antiquité. Caligula fit recommencer les procès de lèse-majesté ; et, réalisant la prédiction du vieil empereur, il envoya à Tiberius l'ordre de se tuer, attendu qu'il le savait pourvu de contrepoisons. Il en agit de même avec Silanus son beau-père, avec Macron son ancien confident, qui lui reprochait de faire le bouffon à table et au théâtre. A quoi pensais-tu dans ton exil? demande-t-il à un exilé rappelé. Je faisais des vœux pour la mort de Tibère et pour ton avénement au pouvoir, répond le flatteur. Et Caligula se dit: Ceux que j'ai exilés désirent donc ma mort; et il ordonne, après ce raisonnement, de les tuer tous. Obéissant à cet instinct sanguinaire, il fait jeter aux bêtes les gladiateurs vieux et infirmes, ou, à leur défaut, les spectateurs eux-mêmes; il-visite les prisons, et, sans distinguer innocents ou coupables, il désigne ceux qu'il faut donner en pâture aux animaux féroces, la viande de boucherie étant trop chère; et il leur fait d'abord arracher la langue, pour ne pas être importuné par leurs cris.

Les procès étaient expéditifs; c'était lui qui, jour par jour, réglait ses comptes, en pointant sur la liste ceux qu'il fallait mettre à mort. Deux hommes offrent leur vie aux dieux, pendant une maladie qui le retient au lit, pour obtenir sa guérison; et, lorsqu'il a recouvré la santé, il déclare qu'il accepte leurs vœux ; il fait en conséquence livrer l'un aux gladiateurs, et précipiter l'autre, couronné de fleurs comme les victimes. Il combat un jour comme gladiateur, et son adversaire tombe à ses pieds par flatterie, en se confessant vaincu : il le prend au mot, et lui plonge le fer dans la gorge. ventre, et les femmes et les jeunes garçons, et tout ce qui, nuisible à l'âme et au corps, peut rompre l'accord entre eux. » PHILON,

Assis à table, une autre fois, entre les deux consuls, il se prend à rire aux éclats; ils s'informent du motif de son hilarité: C'est, leur répond-il, que je pensais que, d'un signe, je puis vous faire trancher la tête à tous deux. On allait immoler une victime devant un autel: Caligula se présente vêtu en pontife, brandit la hache, et, au lieu de l'animal, il frappe le sacrificateur. Il obligeait les pères à assister au supplice de leurs enfants. L'un d'eux alléguant son état d'infirmité, il l'envoya prendre dans sa propre litière. Les pères eux-mêmes étaient égorgés la nuit suivante par ses sicaires. Il fit emprisonner un certain Pastor, par le seul motif que c'était un beau jeune homme; son père, chevalier romain, étant venu le supplier en sa faveur, Caligula ordonna que le prisonnier fût tué sur-le-champ, que le père vint dîner avec lui, et fît attention à ne pas laisser paraître d'affliction qu'autrement son autre fils aurait le même sort.

Il voulait que la mort fût donnée à ceux qui périssaient par ses ordres, de manière à ce qu'ils se sentissent mourir. Il faisait mettre quelque malheureux à la torture pendant ses repas, et, à défaut d'accusé, on prenait le premier venu.

Il lui arriva de faire trêve à ses cruautés pour s'occuper de littérature; et il ouvrit dans Lyon des concours de grec et de latin devant l'autel d'Auguste. Le vaincu devait payer le prix du vainqueur, et écrire son éloge. Quant à celui qui présentait un ouvrage indigne, il devait l'effacer avec l'éponge ou avec sa langue ; ou bien encore on le plongeait dans le Rhône. Domitius Afer lui ayant érigé une statue avec cette inscription: A Caïus César, consul pour la seconde fois à l'âge de vingt-sept ans, Caligula prétendit qu'il lui reprochait ainsi de ne pas avoir l'âge légal: il l'accusa en conséquence devant le sénat dans une harangue travaillée avec soin. L'adroit Domitius feignit alors d'être moins touché de son propre danger que de l'éloquence de l'empereur au lieu de se justifier, il se mit à faire ressortir les choses admirables dites par le prince, en s'avouant incapable de répondre à tant d'éloquence. C'était un moyen infaillible de se faire absoudre.

En effet, sa manie était d'exceller en tout. Tite-Live, Virgile, Homère, excitent sa jalousie; il les déprécie et les proscrit. Les marques de noblesse sont aussi à ses yeux un titre de proscription. Les Torquatus doivent renoncer à porter le collier, trophée de leur famille; les descendants de Pompée au surnom de Magnus. Si Ca

ligula voit un des Cincinnatus la chevelure crépue et bouclée comme celle qui valut son surnom à leur aïeul, il la fait d'abord couper, puis il condamne à mort celui qui la porte. Il est tout à la fois gladiateur, chanteur, conducteur de chars; il accompagne au théâtre le chant des acteurs, et leur indique leurs gestes. Il envoie au milieu de la nuit appeler en hâte trois sénateurs, qui arrivent tout tremblants: il monte sur un banc, fait deux cabrioles, et les congédie après avoir reçu leurs applaudissements. Il veut aussi être conquérant. Il se rend donc, pour une revue, sur les bords tranquilles du Rhin, et décide qu'il fera une incursion sur les terres germaniques. Mais il n'y a pas mis plutôt le pied, qu'il s'enfuit en telle hâte que, les chars encombrant la route, il faut que les soldats le prennent dans leurs bras, et, se le passant de l'un à l'autre, le fassent ainsi parvenir en lieu de sûreté. Il n'en veut pas moins les honneurs du triomphe. Il prend donc un certain nombre de Germains parmi les mercenaires; choisit dans la Gaule les hommes, soit nobles, soit plébéiens, dont la stature est plus triomphale (1), les habille à la manière germanique, leur fait apprendre quelques mots teutons, leur ordonne de laisser croître leurs cheveux et de les teindre en rouge; puis il les expédie à Rome, pour y attendre la solennité de son ovation.

S'il eut voulu être roi, Rome l'aurait tué; il se contenta d'être dieu, et Rome l'adora : le sénat s'empressa de lui élever des temples; on ambitionna le titre de prêtre de Caligula; on lui prodigua les sacrifices de paons, de faisans, de coqs de l'Inde. Il nomme Castor et Pollux ses portiers; il se lève la nuit (il ne dormait pas plus de trois heures) pour faire sa cour à la lune, qu'il invite à venir recevoir ses caresses. Il se montre tantôt en Hercule, tantôt en Mercure, même en Vénus, plus souvent en Jupiter: et pourtant il se courrouce parfois contre le père des dieux, au point de le menacer de le renvoyer en Grèce; d'autres fois, pour l'imiter, il se promène sur un char qui produit, au moyen d'un mécanisme, l'effet du tonnerre. Que penses-tu de moi? demanda-t-il à un Gaulois qu'il voyait rire sur son passage. Je pense que tu es un grand fou; et il pardonna à cette grossière franchise.

Il lui naît une fille, et il la porte à tous les dieux, puis la confie à Minerve. Pauvre enfant que le patronage des immortels ne devait (1) Ut ipse dicebat, atopiάubsuтOV.

SUÉTONE.

pas sauver de la fin à laquelle la réservaient les folies paternelles. Non moins emporté dans ses affections que dans ses haines, il fit disposer pour son cheval Incitatus, qu'il aimait passionnément, des écuries de marbre, une mangeoire d'ivoire, un licou de perles, des couvertures de pourpre. Un intendant, un grand nombre de serviteurs, et jusqu'à un secrétaire, étaient attachés au service du noble animal. Tantôt des personnages consulaires étaient invités à dîner avec lui, tantôt lui-même était convié à la table de l'empereur, qui lui servait de l'avoine dorée et le meilleur vin. Durant la nuit qui précédait le jour où Incitatus devait sortir, les prétoriens avaient pour consigne de veiller aux alentours, afin qu'aucun bruit ne troublât son sommeil. Caligula l'agrégea au collége de ses prêtres, et le désigna pour être consul l'année suivante. Il aima le tragédien Apelle, son conseiller intime, et un conducteur de chars dans le cirque, Citicus, auquel il fit don, dans une orgie, de deux millions de sesterces. Il aima beaucoup aussi le mime Mnester, qu'il caressait en plein théâtre : si le moindre bruit se faisait entendre lorsque ce favori était en scène, l'empereur lui-même fustigeait les audacieux interrupteurs. Un chevalier romain, qu'il ne trouvait pas assez attentif, reçut de lui des dépêches à porter à Ptolémée, roi de Mauritanie; le pauvre messager, tout effrayé, traverse la mer, et se présente au roi africain. Celui-ci ouvre la lettre, et n'y trouve que ces mots : Ne fais au porteur ni bien ni mal.

Il eut aussi de l'amour pour une femme, et, en lui passant tendrement la main sur la tête, il lui disait : Je la trouve bien belle, surtout quand je pense que je puis la faire tomber d'un signe. Il aima Césonia, sa femme, qui pourtant n'était ni jeune, ni belle, ni honorée, ce qui fit dire qu'elle l'avait fasciné à l'aide de philtres; mais c'était plutôt par sa monstrueuse lubricité. Son mari la faisait voir nue à ses amis, et parader à cheval devant les soldats, avec le casque et la chlamyde. Il lui disait, dans un accès d'amour sanguinaire: Il me prend fantaisie de chercher dans les entrailles, comme dans celles d'une victime, ce qui me fait avoir pour toi tant d'amour.

Il aima ses sœurs comme un époux, et surtout Drusille. Lorsqu'elle eut cessé de vivre, il ordonna de ne jurer que par elle. Un sénateur déclara l'avoir vue s'acheminer vers l'Olympe. Tous les Romains prirent le deuil, et ne purent ni rire, ni se baigner, ni manger avec leurs femmes et leurs enfants, sous peine de mort. Caligula arrive à Rome sur ces entrefaites: Pourquoi pleurer

T. V.

4

« AnteriorContinua »