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roi, et dénoncé 'Paul comme partisan d'un autre souverain que César; les chrétiens eux-mêmes se déclaraient coupables en proclamant un règne futur du Christ, et la destruction de l'impie Babylone. Ils refusaient l'hommage, l'encens et le titre de seigneur à l'empereur, personnification de la puissance sénatoriale, de l'autorité pontificale, des souvenirs nationaux, de la société entière en un mot ; ils ne voulaient pas jurer par son génie, ni se joindre à ceux qui adressaient pour lui des vœux publics aux dieux. Tout bon citoyen ne devait-il pas les haïr? le gouvernement n'était-il pas dans l'obligation de sévir contre cette superstition nouvelle ?

De nouveaux désastres venaient à la même époque fondre sur l'empire, et les chrétiens répétaient que c'étaient des avertissements du ciel; que Rome et le monde, plongés dans une mer de vices, méritaient ces châtiments et de plus grands encore. Les gentils frémissaient en les entendant proclamer la nécessité de ces fléaux; l'homme politique se confirmait dans la pensée que l'Etat avait en eux des ennemis ; les gens religieux s'imaginaient que leurs blasphèmes excitaient la colère des dieux, qui, jusqu'alors pleins de zèle pour la grandeur de Rome, la laissaient désormais tomber en ruine. Pour conjurer sa destruction, et pour apaiser le courroux des dieux, il fallait donc sacrifier les novateurs; et le chrétien devait, à raison de son nom seul, être considéré comme l'ennemi des dieux, des empereurs, des lois, des mœurs, de la nature entière (1).

CHAPITRE XXVI.

PERSÉCUTIONS.

tion.

La première persécution sous Néron paraît n'avoir eu pour ob- re persécu jet que de donner une satisfaction au peuple, et ne pas s'être étendue au delà des limites de Rome (2). Quand ensuite Domitien voulut relever le temple de Jupiter Capitolin, il obligea les Juifs à y contribuer moyennant une capitation: comme les chrétiens,

(1) TERTULLIEN, Apologie, I, 21. Nous avons une sentence rendue contre plusieurs chrétiens, dont voici la teneur : « Attendu que Spératus, Cittinus..... avouent être chrétiens, et refusent de rendre hommage et respect à l'empereur, nous ordonnons qu'ils soient décapités. » BARONIUS, ad ann. 202, § 4. (2) Voy. l'inscription de la page 462.

tion.

compris sous cette dénomination, ne voulurent à aucune condition payer pour cette restauration, qui était, suivant eux, un acte d'idoII persécu- lâtrie, il en résulta une nouvelle persécution, dans laquelle périrent Flavius Clemens et Domitilla, parents de l'empereur. Au nombre de ceux qui furent traduits devant le procurateur de la Judée, se trouvèrent les petits-fils de l'apôtre saint Jude, frère, c'est-à-dire cousin germain de Jésus-Christ, accusés de vouloir relever l'antique grandeur de la maison de David, dont ils étaient descendus. Mais la simplicité de leurs vêtements et de leurs réponses, et la vue de leurs mains, qui étaient devenues calleuses par la culture de leur petit champ, firent tomber l'accusation, et tous soupçons de pensées ambitieuses.

Pline le Jeune, appelé aux fonctions de proconsul dans la Bithynie et le Pont, sentit sa conscience se révolter contre le devoir que la loi lui imposait de condamner les chrétiens; il écrivit donc en ces termes à Trajan, pour s'enquérir de sa volonté : « Seigneur,

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j'ai coutume de t'exposer mes scrupules, parce que personne ne «< saurait mieux me déterminer et m'instruire. Je n'ai jamais assisté « à un procès de chrétiens; c'est pourquoi je ne sais vraiment sur quoi tombe l'enquête que l'on dirige contre eux, ni jusqu'à quel point leur peine doit être aggravée; et la différence d'âge me «rend incertain. Doivent-ils tous être punis sans distinction de jeunes «<et de vieux? Faut-il pardonner à ceux qui se repentent, ou est-il << inutile de renoncer au christianisme une fois qu'on l'a embrassé? << Faut il punir le nom seul de chrétien, à cause des méfaits qui en « sont inséparables? Voici toutefois la règle que j'ai suivie dans «<les causes portées devant moi contre les chrétiens. Je leur ai de« mandé s'ils étaient réellement tels, et ceux qui l'ont avoué, je les « ai avertis deux et trois fois en les menaçant du supplice; j'ai «condamné ceux qui ont persévéré, attendu que, quelle que fût la << nature de ce qu'ils avouaient, j'ai cru leur désobéissance et leur « obstination invincible dignes de châtiment. J'en ai gardé quel<< ques-uns pour les envoyer à Rome, parce qu'ils sont citoyens ro« mains. Ce genre de crime, en se propageant, a donné naissance « à plusieurs autres. Il m'a été remis un mémoire sans nom, dans lequel étaient accusées comme chrétiennes plusieurs personnes qui nient l'avoir jamais été ; et en preuve elles ont, en ma présence << et dans les termes que j'ai prescrits, invoqué les dieux, et offert « à ton image de l'encens et du vin. Elles ont ensuite proféré des imprécations contre le Christ, ce à quoi ne se portent jamais ceux

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« qui sont véritablement chrétiens. J'ai donc cru bien faire que « de les absoudre. D'autres qui me furent dénoncés avouèrent d'a« bord qu'ils étaient chrétiens, mais ils le nièrent incontinent en de« clarant l'avoir été, mais y avoir renoncé les uns, depuis trois ans, «<les autres, depuis plus de vingt ans. Tous adorèrent d'ailleurs ton " effigie et les statues des dieux, et chargèrent le Christ de malé« dictions. Ils affirmaient que toute leur erreur ou tout leur crime «< consiste en cela seulement qu'à un jour fixé ils se réunissent << avant l'aube, et chantent tour à tour des hymnes à la louange « du Christ, comme s'il était Dieu; qu'ils s'obligent par serment ⚫ à ne commettre ni larcins, ni adultère, ni autre méfait; à ne « point nier un dépôt. Ils ont après cela pour habitude de se réunir • pour manger en commun des mets innocents; ce à quoi ils « avaient renoncé quand j'ai publié ton ordre, qui probibait toute « espèce de réunions. Il me parut d'autant plus nécessaire d'arra« cher la vérité par la force des tourments à deux jeunes filles esclaves, qu'on les disait attachées au ministère de ce culte. Mais « je n'ai découvert qu'une superstition portée à l'excès, ce qui « m'a fait tout suspendre, en attendant tes ordres. L'affaire m'a « paru digne de tes réflexions, vu la multitude de ceux qui sont ⚫ enveloppés dans ce péril. Un grand nombre de personnes de tout « rang et de tout sexe sont et seront comprises dans l'accusation, « car cette contagion n'a pas seulement infecté les villes, mais elle a s'est même répandue dans les villages et les campagnes; bien que je croie encore possible d'y apporter remède et de l'arrêter. Il est « certain que les temples, naguère presque déserts, vont se repeupler; les sacrifices, interrompus depuis longtemps, recommencent, « en même temps que les victimes, qui ne trouvaient plus d'ache<«<teurs, se vendent maintenant partout. On doit conclure de là que beaucoup de gens peuvent être ramenés de leur erreur, si on les << admet au repentir.

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L'empereur lui répond: Tu as suivi, mon cher Pline, la bonne « voie dans les procès des chrétiens qui t'ont été dénoncés ; attendu qu'il n'est pas possible d'établir une règle fixe et générale dans « cette sorte de causes. Il ne convient pas de les rechercher; mais << s'ils sont accusés et convaincus, il faut les punir. Si l'accusé nie, « et fournit la preuve en invoquant les dieux, il y a lieu de para donner à son repentir, quelque soupçon qui ait pesé sur lui. Du <«< reste, on ne doit recevoir, pour aucun délit, des dénonciations té

« nébreuses; c'est un exemple pernicieux, et il n'est pas dans nos « intentions de l'encourager. »

Étrange révélation du contraste que nous avons signalé maintes fois entre la légalité et la justice! Le proconsul ne trouve ces sectaires coupables que de nom, et reconnaît l'innocence de leurs réunions; il les soumet pourtant à la torture pour découvrir leurs crimes, et ne demande pas qu'on les épargne, mais dans quelle mesure il doit les châtier. L'empereur lui-même hésite entre son propre sentiment et la rigueur d'une législation de fer. Mais si ces hommes sont coupables, pourquoi ne pas les rechercher? Pourquoi ne pas recevoir toutes les dénonciations? Pourquoi les absoudre sur leur seule déclaration? S'ils sont innocents, pourquoi les punir de ce qui n'est pas un crime (1)? Quelle est cette législation qui n'exige pas même que l'accusateur se fasse connaître? Quelle est cette civilisation dans laquelle on ne punit pas un fait, mais un sentiment? Quel est cet empereur qui ordonne de poursuivre, après avoir déclaré qu'il n'est pas possible de donner sur ces sortes de cas une règle générale ? Quel est ce magistrat qui demande s'il doit envoyer au supplice, à cause de leur nom seulement et sans distinction d'âge, des accusés dont il confesse l'innocence, et qui fait torturer deux femmes rien que pour s'éclairer ?

Si l'on laissait autant à l'arbitraire des tribunaux sous un Pline et un Trajan, comment les choses devaient-elles se passer dans les assemblées bruyantes et tumultueuses, quand la plebe, aux jours consacrés aux dieux, ou au milieu de l'ivresse sanguinaire de l'amphithéâtre, s'écriait à grands cris: Les chrétiens aux bétes! les chrétiens au bûcher! Déjà Caïphe avait trouvé utile que le sang d'un Juste fût versé pour le salut du peuple : quand il s'agissait d'apaiser une sédition ou de se concilier le peuple, les proconsuls immolaient avec plus de facilité encore ces Galiléens odieux ou méprisés. Adrien et Antonin défendirent par des édits de s'appuyer uniquement sur le bruit public pour les condamner; mais à quoi bon, si les accusés eux-mêmes avouaient leur crime ou même s'en glorifiaient? Combien l'orgueil des empereurs et de leurs ministres devait s'irriter quand ils voyaient un enfant, une femme, un obscur

(1) Tertullien s'écrie, avec son énergie naturelle: O sententiam necessitate confusam! negat inquirendos ut innocentes, el mandat puniri ut_nocéntes: parcit et sævit, dissimulat et animadvertit... Si damnas, cur et non inquiris ? Si non inquiris, cur et non absolvis? Apologétique.

citoyen confesser ouvertement le délit qu'on lui imputait, et, résistant aux promesses, aux menaces, aux séductions, se refuser non pas à un crime, mais à l'acte le plus simple du culte national! Ils les appliquaient alors à la torture, non pour leur arracher l'aveu du forfait, mais pour obtenir une rétractation. Parfois ils soumettaient aux plus fortes épreuves la continence des jeunes gens et la chasteté des vierges; puis, furieux de leur résistance, ils les li-, vraient aux bourreaux et à la multitude, dont la férocité, née de l'habitude d'assister à des supplices et aux jeux du cirque, était exaltée encore par le fanatisme.

Parfois des gouverneurs humains refusaient de recevoir les accusations, ou bien encore, par des subterfuges bienveillants, ils sau vaient les accusés. Quelques-uns se bornaient à les chasser ou à les exiler; mais d'autres les enfermaient dans les cachots et dans les mines (1), ou exerçaient contre eux toutes les rigueurs autorisées par la loi, souverainement inique, parce qu'elle était entièrement indéterminée.

Les accusés succombaient-ils à l'épreuve? ils étaient couverts d'applaudissements par les païens, regardés avec horreur et compassion par les chrétiens. Ceux, au contraire, qui soutenaient généreusement les tortures sans perdre la vie, étaient en vénération; on baisait les chaînes qu'ils avaient portées et leurs cicatrices. Des commémorations annuelles furent instituées pour les morts; leurs os et leur sang, recueillis avec soin, étaient déposés sous les autels, sorte de table où ceux qui déclaraient être prêts à les imiter prenaient le viatique (2); un zèle généreux faisait parfois désirer le martyre à quelques-uns; ils allaient alors jusqu'à se dénoncer eux-mêmes, à troubler les cérémonies du culte idolâtre, à repousser la clémence, et à provoquer dans les amphithéâtres la rage des bêtes féroces et celle des bourreaux (3).

(1) In metalla damnamur, in insulas relegamur. TERTULL., Apol., 12. Cyprien adresse des lettres à neuf évêques et à plusieurs ecclésiastiques et fidèles renfermés dans les mines de la Numidie.

(2) Certatim gloriosa in certamina ruebatur, multoque avidius tunc martyria gloriosis motibus quærebantur, quam nunc episcopatus pravis ambitionibus appetuntur. SULP. Sévère, II.

(3) Visconti a répondu à ceux qui veulent réduire le nombre des victimes, en réunissant, dans ses Mem. romane d'antichità (Rome, 1825), les nombreuses inscriptions qui se rapportent à des martyrs. Beaucoup de ces inscriptions n'indiquent pas des noms, mais seulement des nombres, comme les suivantes :

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