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Obstacles publics.

avec eux au moyen de certaines cérémonies, de jeûnes et de mortifications. Le peuple les craignait et les payait; les grands aussi leur prêtaient foi, et non pas seulement Caracalla, mais jusqu'à Marc-Aurèle, qui en était engoué. Or la malignité les confondait souvent avec les chrétiens, qui pourtant avaient leurs pratiques en horreur.

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La plus grave imputation dirigée contre les chrétiens était celle de haïr le genre humain, ce qui pour la vanité romaine signi fiait haïr l'empire (1). Mécène, en donnant des conseils à Auguste sur la manière de gouverner, lui avait dit : « Honore toujours et << partout la divinité, selon les lois et les usages de nos ancêtres, « et contrains les autres à en faire autant. Déteste et punis ceux << qui introduisent dans le culte quelque chose d'étranger, non« seulement en considération des dieux, mais parce que ces nova<< teurs entraînent beaucoup de citoyens à altérer les usages na«<tionaux, ce qui amène des conjurations, des intelligences, des << associations dangereuses (2). » Les assemblées étaient spécialement prohibées, même lorsqu'elles avaient un motif d'utilité publique, à plus forte raison lorsqu'elles avaient un but religieux. Les jurisconsultes, gardiens des choses divines et humaines, déclaraient que l'ancien culte devait être conservé à tout prix, et Domitius Ulpien réunit toutes les lois qui avaient été faites sur cette matière (3). Dans ce grand amour pour la légalité, caractère propre des Romains, il suffisait d'observer les institutions pour faire la guerre aux chrétiens; et le mot d'ordre de Julien l'Apostat,

(1) GRUNER, De odio humani generis Christianis a Romanis objecto. Cobourg, 1755. Genus humanum, dans ce sens, est consacré par Tacite. Pison dit: Galbam consensus generis humani, me Galba Cæsarem dixit. Hist. I. C'est de là que Titus fut appelé Délices du genre humain.

(2) DION, liv. LII, 36. Les expressions sont précises : άváyxaže.......... toùÇ đề δὴ ξενίζοντας.... μίσει καὶ κόλαζε.

Elles sont à noter pour ceux qui vantent la tolérance religieuse des anciens, en oubliant les massacres de Cambyse, les temples incendiés par Xerxès, les poursuites criminelles dirigées contre Pythagore, Diagoras, Socrate, Anaxagore, etc.; pour ne rien dire des Égyptiens. Platon lui-même et Cicéron, dans leurs républiques imaginaires, n'entendent pas tolérer les cultes étrangers. (3) Domilius Ulpianus rescripta principum nefaria collegit, ut doceret quibus pœnis affici oportet eos qui se cultores Dei confitentur. LACTANCE, Instit., V, 2.

était celui qui s'est répété de tant de façons différentes, et se répète encore Point d'innovations!

La religion des Latins était toute nationale, et s'identifiait en quelque sorte avec les institutions de la république. Rome, ville sainte, s'enorgueillissait de tirer des dieux son origine, et elle considérait la conservation de l'empire comme attachée à six choses : les livres sibyllins contenaient les oracles qui enseignaient les moyens de salut dans les circonstances graves; on ne tenait aucune assemblée sans avoir pris les auspices; la guerre n'était pas déclarée, ni la paix conclue, sans l'entremise de féciaux ; on ne pouvait nommer un empereur ou un consul, sans recourir aux sacrifices; les populations confédérées se réunissaient pour des solennités communes; et les théories, en apportant chaque année à la mère patrie l'hommage des colonies lointaines, maintenaient les liens qui les unissaient à elle. Porter atteinte à la religion, c'était donc attaquer l'État.

Nous avons vu combien, au déclin de la république, le sentiment religieux s'était affaibli; mais Auguste en fondant l'empire avait reconnu la nécessité de réveiller les anciennes idées religieuses, de restaurer les temples et les simulacres chancelants des dieux (1), pour rétablir l'accord entre les institutions et la religion. Il réunit donc en témoignage d'alliance le souverain pontificat à la puissance impériale, et plaça dans le sénat l'autel de la Victoire. Alors ces voix qui, dans la Rome républicaine, invitaient orgueilleusement les citoyens à fouler aux pieds toute crainte des dieux, cessèrent de se faire entendre, et jamais les sacrifices, les inscriptions votives, les temples, ne se multiplièrent autant que dans les premières années de l'empire; puis, comme si ce n'eût pas été assez des divinités nationales et de celles de la Grèce, on en greffa, pour ainsi dire, de nouvelles sur un tronc vieilli; ce fut tantôt l'Isis égyptienne, tantôt le Mithras perse. L'habileté politique venait ainsi en aide au défaut de croyance (2).

Si le polythéisme des Romains, conforme à la nature de leurs institutions, adoptait aisément les dieux étrangers, peu importait à la foi que les divinités fussent au nombre de vingt ou de cent;

(1) HORACE.

(2) Nous parlons ici de Rome plus particulièrement, parce que la Grèce, privée depuis longtemps d'indépendance politique, ressentit moins l'effet produit sur les institutions civiles par le changement des principes religieux.

T. V.

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si c'était un moyen politique de s'assimiler les vaincus, que d'accepter leurs croyances, on ne pouvait assurément en agir de même avec une religion qui excluait toutes les autres, qui se disait universelle, et destinée à édifier son temple avec les débris des temples ennemis (1).

Mais les nouveaux sectaires avaient appris du Christ, leur maître, à respecter les puissances du siècle : sous des empereurs qui déshonoraient la nature, leurs docteurs les exhortaient à la docilité indispensable à une société qui, composée encore de peu de membres, est insuffisante pour représenter un vœu national et changer une constitution. Saint Victor répond au préfet qui l'interroge : Je n'ai rien fait contre l'honneur et les intérêts de l'empereur ou de la république ; je n'ai pas refusé de les défendre, chaque

(1) Il était difficile de trouver un nouveau point de vue à l'aide duquel on pût examiner ce graud moment critique de l'humanité où l'empire romain faisait place, en tombant, à une civilisation toute nouvelle et à des nations nouvelles aussi. L'Académie des inscriptions et belles-lettres y parvint cependant : laissant de côté les recherches relatives aux événements et aux dates, ou les discussions d'économie politique et de législation, elle proposa pour le concours de 1830 la question suivante: Tracer l'histoire de la décadence et de la destruction du paganisme dans les provinces de l'empire d'Occident, à partir du temps de Constantin; recueillir autant que possible, à l'aide des écrivains païens et chrétiens, des monuments et des inscriptions, tout ce qui concerne la résistance opposée au christianisme par les païens, par ceux principalement de l'Italie et de Rome; mettre enfin tous ses soins à déterminer l'époque à laquelle on cessa dans l'Occident d'invoquer nommément les divinités de la Grèce et de Rome.

Tous les historiens ont parlé incidemment de cette importante révolution, mais aucun n'a traité la question d'une manière spéciale. Les Allemands, dont la littérature est si riche en recherches historiques et critiques, ont recueilli sur ce sujet une foule de faits, d'anecdotes et d'observations. Le professeur Tzschirner de Leipsig notamment, celui qui a terminé l'histoire ecclésiastique de Schröckh, a publié un ouvrage intitulé Der fall des Heidenthums (Ruine du Paganisme, Leipsig, 1829 ); mais il n'en a encore paru que le premier volume, qui, n'arrivant qu'au règne de Dioclétien, approche à peine des vraies limites d'un pareil sujet.

Il pouvait donc être considéré comme intact, lorsque M. Beugnot, répondant à la question mise au concours, obtint le prix académique. Son livre est intitulé Histoire de la décadence du Paganisme en Occident, ouvrage couronné par l'Académie royale des inscriptions et belles-lettres, en l'année 1832. Paris, Didot, 1833; 2 vol. in-8°. Bien que plusieurs opinious profes. sées dans cet ouvrage ne puissent avoir l'approbation d'un catholique et soient contredites par l'histoire, on y suit aisément la lutte entre le christianisme et l'idolâtrie, entre la religion du passé et celle de l'avenir.

fois que le devoir me l'imposait; tous les jours j'offre le sacrifice pour le salut de César et de l'empire, tous les jours j'immole en faveur de la république des victimes spirituelles à mon dieu.

Car c'est là un mérite nouveau du christianisme, d'avoir placé la religion à une telle hauteur, qu'il laisse à l'écart la partie accidentelle et variable de la société, pour s'arrêter à ce qu'elle a d'essentiel et de permanent ; ce qui permet à l'homme, sous quelque climat, sous quelque gouvernement que ce soit, de chercher la perfection et de gagner le ciel. Sous des princes cruels et débauchés, il ne se révolte pas contre la société dont il fuit les péchés; il se soumet sans chercher à la bouleverser, mais en essayant de l'amender. Il combat les vices du siècle, mais sans se détacher de lui.

D'où il résulta que les chrétiens, d'abord ignorés ou tolérés, augmentèrent tellement le nombre de leurs prosélytes, que les princes et les magistrats durent en venir avec eux à ces concessions timides auxquelles ne saurait se refuser la légalité la plus rigide envers une opinion qui devient toujours de plus en plus forte. Cependant les maîtres des esclaves s'apercevaient du changement qui commençait dans la société, non dans les rangs les plus élevés, mais dans les plus infimes. Quelques sophistes se mirent alors à argumenter sur ces croyances. D'autre part, les prêtres païens voyaient la foule s'éclaircir dans les temples et les offrandes diminuer. Force fut donc d'ouvrir les yeux, et, phénomène nouveau, une société, née d'hier, remplissait déjà le forum, les tribunaux, les légions; sans armes, sans défense, elle refusait d'obéir, sans craindre les supplices et la mort, à des ordres aussi simples que le paraissaient ceux qui commandaient de brûler un grain d'encens sur l'autel d'un dieu ou d'un empereur. Combien ce manque d'obéissance ne devait-il pas exciter l'indignation des Romains, gens de légalité, pour qui c'était un crime que de s'opposer à un décret, quel qu'il fût? Les hommes d'État sentaient bien de leur côté que Rome ne pouvait plus prospérer, dénuée de moralité et abandonnée aux bacchanales de la force; mais ils n'ignoraient pas que, dans le cadavre d'un grand État, les anciennes institutions entretiennent encore la vie, attendu que l'aristocratie se rappelle ce qu'elle fut, que l'armée est façonnée à une certaine discipline, que le peuple est habitué à une administration quelconque, et que la force et l'opinion se concentrent dans le prince. De là cet attachement opiniâtre à ces anciennes formes qui sont propres en général aux

gouvernements les plus faibles au fond; de là cette haine des hommes politiques de Rome contre le christianisme.

Les institutions romaines tiraient leur force de l'esprit de famille, base sur laquelle s'était élevée la grande cité, et de la vénération envers les ancêtres, qui avait été la conséquence de cet esprit de famille. Or le christianisme venait affaiblir le premier en mettant en hostilité le père avec ses enfants, le frère avec le frère ; il venait détruire la seconde en offrant au respect d'autres gloires, d'autres vertus. Quand Rome, appuyée sur le glaive, décernait le titre de héros à ceux qui avaient exterminé le plus grand nombre d'hommes; mettait sa grandeur à ravir à beaucoup de peuples leur indépendance; considérait la guerre comme l'unique moyen d'acquérir la puissance et la gloire, la conquête comme son but unique, voilà les chrétiens qui venaient dans ses murs prêcher la paix, la justice, la fraternité, c'est-à-dire condamner toute la politique romaine, tant ancienne que nouvelle. Ils traitaient d'imposteurs et de démons les dieux sous les auspices desquels s'était élevée la ville reine et son grand Capitole : les esprits des citoyens, détournés de l'amour de la patrie terrestre, étaient dirigés vers une patrie invisible, dont tous les hommes étaient citoyens, même les vaincus, même le barbare et l'esclave (1). Refuser l'obéissance aux lois, c'était menacer un ordre de choses dans lequel l'aristocratie pouvait défendre encore ses anciens priviléges; s'élever ouvertement contre les temples, les pontifes, les emblèmes, les sacrifices, c'était détruire tout l'appareil sous lequel se déguisait le vide laissé par la désertion de la foi.

Les chrétiens étaient donc des ennemis publics: ce n'était pas assez que les Juifs eussent déjà accusé le Christ de vouloir se faire

(1) Le professeur MOHLER a traité dans le Journal théologique de Tubingue (janvier 1834) un autre point très-important de la marche du christianisme, considéré comme cause suprême de la civilisation; voyez aussi Bruchstücke aus der Geschichte der Aufhebung der Sklaverei durch das Christenthum in den ersten XV; du même auteur: Jahrhunderten, ou Fragment sur l'histoire de l'abolition de l'esclavage, amenée par le christianisme dans les quinze premiers siècles. Un mémoire de M. ED. BIOT, sur l'abolition de l'esclavage antique dans l'Occident, couronné en 1838 par l'Académie des sciences morales et politiques, a été publié depuis. Un assez grand nombre de faits sont réunis avec beaucoup de jugement dans ce travail, qui montre la haute influence que la religion exerça sur la réhabilitation d'une partie très-nombreuse

de la famille humaine.

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