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et de l'intérêt, la connaissance du christianisme suffisait pour donner des idées plus saines. En effet, quand on essaya de raviver les anciennes croyances, on dut y mêler quelque chose de pur et d'élevé qu'elles n'avaient jamais eu; le grossier polythéisme se rapprocha de la connaissance d'un seul Dieu; le culte fut presque restreint uniquement à Jupiter et à Apollon; on considéra même ce dernier comme un médiateur entre Dieu et les hommes, chargé de leur révéler la volonté suprême par les oracles, et aussi comme le sauveur de l'humanité qui, après s'être incarné, aurait vécu esclave sur la terre, en se soumettant à souffrir par expiation (1). Maxime de Tyr affirmait que tous les peuples, quelles que fussent leurs idées, croyaient à un seul Dieu, père de toutes choses. Prudence affirmait la même chose dans ses vers (2). Le peuple avait sans cesse dans la bouche: Dieu le sait; Dieu te bénisse; si Dieu le veut (3): bien plus, les oracles eux-mêmes reconnaissaient un seul Dieu.

Mais l'idolâtrie expirante avait beau s'efforcer de se relever par des dogmes catholiques, d'ériger, en mosaïque, un nouvel édifice: avait-elle à offrir la doctrine consolante d'un rédempteur, et de la rémission des péchés? L'homme ne pouvait apaiser les remords de sa conscience qu'au moyen d'holocaustes, en faisant pleuvoir sur sa tête le sang des victimes égorgées (4), ou à l'aide d'autres pratiques, dont il sentait la superstitieuse vanité. Quelle bonne nouvelle ne devait-ce donc pas être pour tous, d'apprendre qu'un Dieu s'était chargé d'apaiser un courroux inexorable, et que chacun pouvait s'approprier les fruits du sacrifice de la croix, par la foi dans le divin rédempteur? Les fidèles partisans de ces religions et de ces sociétés, qui ne réservaient aux coupables que le châtiment, accusaient bien les chrétiens d'accueillir dans leur sein les pécheurs ; mais les chrétiens répondaient à l'accusation en régénérant par la pénitence ceux qu'ils avaient accueillis.

Ces considérations entraînaient les gens de bonne foi à suivre, (1) BAUR, Apollonius de Tyane et le Christ. Tubingen, 1832, p. 168. (2) Et quis in idolio recubans, inter sacra mille,

Ridiculos deos venerans sale, cespite, thure,

Non putat esse deum summum et super omnia solum,

Quamvis Saturnis, Junonibus et Cytheræis

Portentis aliis fumantes consecret aras ?

(3) TERTULLIEN.

(4) Tauroboles et crioboles.

T. V.

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ou du moins à révérer le christianisme; mais les hommes vulgaires et les esclaves accouraient surtout à lui en foule, et c'était là un autre sujet d'accusation. La corruption n'avait pas exercé autant de ravage dans les classes laborieuses que dans l'aristocratie : croyant ce que croyaient leurs pères, les plébéiens fréquentaient encore les temples, et sentaient le besoin de la divinité. De même, parmi les esclaves, si beaucoup étaient les honteux instruments des vices de leur maître, d'autres, plus éloignés du théâtre de la débauche, se conservaient fidèles à leurs devoirs. Combien il était consolant pour ceux-ci d'entendre parler d'un Dieu égal pour eux et pour leurs tyrans, d'apprendre que les rudes fatigues, les traitements iniques pourraient se changer, par la patience, en trésors dans une autre vie, quand les oppresseurs et les opprimés seraient appelés devant un juge incorruptible!

Ceux qui ont souffert peuvent concevoir ce qu'il y a de consolations dans une pareille idée. Or, combien de souffrances devaient faire accueillir avec faveur le christianisme, dans ces temps où, comme si ce n'eût pas été assez de cette alternative continuelle d'anarchie et de despotisme, de la brutalité des empereurs, de la licence farouche des soldats, des exactions des magistrats, on avait encore à redouter la peste, les tremblements de terre, les inondations, la famine, les incursions des barbares, une dissolution universelle! Ce fut au milieu de ce désordre qu'apparut la société chrétienne.

On pouvait dédaigner les paroles des apôtres de la loi nouvelle, et leur répondre : Nous avons autre chose à faire, ou : Nous vous écouterons demain. Mais des exemples de vertu, auxquels personne ne pouvait refuser son admiration, étaient sous les yeux de tous; tous étaient témoins d'une fraternité qui procurait aux membres de la famille chrétienne les joies d'une vie intérieure, qui suffisait par les idées et les sentiments à occuper les âmes fortes, a'exercer les imaginations actives, à satisfaire aux besoins intellectuels et moraux, réprimés par la tyrannie et par le malheur, mais non pas étouffés. S'appliquant à corriger les mœurs privées pour améliorer les mœurs publiques, les chrétiens n'imitaient pas les grands philosophes, en déclamant contre un siècle pervers, tout en suivant le torrent, mais ils mortifiaient leurs passions, enseignaient à dompter les désirs mauvais, à ne faire et à ne dire rien de déshonnête; euxmêmes pouvaient être pris pour modèles de bienfaisance, de

vertus, de mortifications personnelles. Étrangers à l'orgueil et à la présomption, fuyant les honneurs et le faste, on les voyait au lit du malade, dans les cachots, sur l'échafaud. Durant les pestes qui sévirent, ils étaient auprès de ceux qu'atteignait le fléau, les soignant, leur apportant l'aumône, les ensevelissant, tandis que les autres ne songeaient qu'aux moyens de s'en garantir. De plus, ils enseignaient aux pauvres à ne pas envier les riches, car JésusChrist fut pauvre lui-même, et parce que le royaume des cieux est pour les pauvres; ils détournaient les esclaves de dénoncer leurs maî tres, les hommes libres d'opprimer leurs esclaves ; ils donnaient à connaître à tous qu'il y avait une vie autre que celle dont pouvait disposer César. En voyant cette communauté intime, cette union fraternelle consolidée chez les chrétiens par l'unité de croyances et d'espérance, les gentils s'écriaient: Voyez comme ils s'aiment! Et Tertullien disait avec raison : « Ils en sont dans l'étonnement, ceux qui ne savent que se haïr. »>

Les chrétiens s'organiserent de bonne heure en société, avec des chefs et des lois, des recettes et des dépenses communes : réunis par des liens volontaires et moraux, et non moins forts pour cela, ils l'emportaient de beaucoup sur les agrégations religieuses des anciens, faibles et disséminées qu'elles étaient. Celles-ci n'avaient ni des opinions ni des rites uniformes; ce qu'on croyait en Élide était raillé à Délos, dont les miracles étaient la risée d'Épidaure. Indépendants les uns des autres, les prêtres des différents temples, à l'exemple des dieux, étaient jaloux et ennemis. Chez les chrétiens, au contraire, dévoués jusqu'à la mort à la même cause, il n'y avait qu'un esprit, une morale, un culte ; ils croyaient, dans l'unité de la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu (1), à l'infaillibilité du concile de leurs prêtres, et dépendaient de chefs qui avaient conversé avec Dieu, ou avec ceux qui avaient vécu à ses côtés,

Qui jamais, parmi les prêtres païens, si l'on en excepte quelques fanatiques égyptiens ou syriens, aurait enduré, non pas des tourments, mais quelques privations pour son dieu? Qui aurait voulu, prêchant un culte, mettre du zèle au delà de ce qui était nécessaire pour acquérir et crédit et richesses? Ne considérant leur ministère que comme une fonction de l'État, ils

(1) SAINT PAUL, ad Ephes. IV, 13.

étaient prêts, si le sénat l'eût décrété, à substituer Jupiter à Tina, Mithras à Apollon, et à placer sur l'autel le tyran et la prostituée.

Le christianisme était professé par des hommes qui n'étaient pas nés dans son sein par l'effet du hasard, mais qui, y étant entrés par suite d'une conviction intime, après une longue lutte et de pénibles sacrifices, se trouvaient engagés à le conserver et à le répandre avec une confiance intime et une exaltation naturelle. Persuadés que hors de leur foi il n'est point de salut, ils descendent à la portée du vulgaire, des enfants, des femmes, pour les persuader, résoudre leurs doutes, régler leur conduite, pour communiquer à tous la connaissance la plus essentielle, celle de ses propres devoirs. Les principes utiles à l'ordre social deviennent l'héritage de tous, au moyen des catéchismes, des homélies, des professions de foi, des cantiques, des prières; formes diverses d'une même foi adaptées à la capacité commune. Le père, converti, s'occupe d'attirer sa famille à une croyance qui, seule, conduit au salut. Le soldat prêche sa cohorte, l'esclave ses compagnons de captivité, et parfois son maître lui-même. Beaucoup, d'après le témoignage d'Eusèbe, distribuaient leurs biens aux pauvres, puis s'en allaient dans des pays lointains; là ils établissaient des églises, et s'avançaient toujours de plus en plus dans des contrées jusqu'alors ignorées. Comment l'indifférence païenne aurait-elle résisté longtemps à cet apostolat?

Et puis ces Romains et ces Grecs, qui ne voulaient pas compren. dre l'abaissement de leur patrie, se complaisaient au souvenir des Léonidas, des Scévola, des Brutus, prodigues de leur vie pour une liberté qui, perdue, n'en paraissait que plus belle; ils vantaient, dans le secret, l'héroïsme de ceux, en petit nombre, qui les imitaient 'ou les contrefaisaient, en résistant aux Césars et en affrontant la mort. A ceux-là les chrétiens offraient une famille qui proclamait la liberté ; non la liberté qui repousse l'ordre et qui s'acquiert par la révolte, mais celle qui résiste à tout attentat contre l'indépendance de l'esprit et de la conscience, et pour laquelle ces galiléens savaient non pas se donner la mort, mais l'attendre avec intrépidité (1). Quand partout c'est à qui s'avilira le plus aux pieds de maîtres avilis, les chrétiens enseignent que l'homme ne relève que de Dieu (2): en ce qui concerne la foi et l'exercice de leur religion, (1) Ipsam libertatem pro qua mori novimus. TERTULL., ad Nat. I, 4. (2) Solius Dei homo. TERTULL., Scorp. 14. :

ils ne reconnaissent aucune autorité terrestre; bien loin de descendre à l'apostasie, et de se prêter à brûler un grain d'encens sur les autels du dieu Jupiter ou du dieu Antonin, ils ne veulent pas même renoncer, en exécution des décrets, à leurs assemblées religieuses, aux pratiques de leur culte (1), ni remettre leurs livres saints entre les mains des magistrats. La sincérité, la patience sont leurs moyens d'action, non la force ou la ruse, non l'habileté qui transige ou attend le moment favorable.

Les empereurs, le sanhédrin, ou les proconsuls, veulent-ils les contraindre par la violence? s'ils sont faibles, ils s'enfuient; autrement ils souffrent et ne plient pas; les raffinements de la cruauté ne font que redoubler leur constance; et quoique les sages la traitent de folie et d'obstination (2), elle excite le zèle des autres, de sorte que le sang est la semence des chrétiens (3). Il est vrai que les Romains étaient accoutumés aux supplices journaliers, aux combats de gladiateurs, aux luttes armées dans la ville ou dans la campagne, à des suicides stoïques; mais ceux qui périssaient ainsi, ou perdaient la vie forcément, ou la rejetaient comme un poids insupportable, ou tout au plus ils la quittaient avec indifférence, comme un bien dont on est las. Parmi les chrétiens, au contraire, c'étaient des enfants, des vieillards, des femmes qui mouraient, non avec l'orgueilleuse dignité de l'école, mais simplement et sans ostentation; non pour des doctrines mortes, mais pour les paroles de vie; non pour eux-mêmes, mais pour le genre

(1) Origène, adv. Cels., soutient que les chrétiens peuvent violer les lois qui défendent les réunions pieuses.

Pervicaciam

(2) Kατà iλñν лαрάτаživ, MARC-AURÈLE dans les monologues. et inflexibilem obstinationem. PLINE, Ep. - Εἶτα ὑπὸ μανίας μὲν δύναταί τις οὕτω διατεθῆναι πρὸς ταῦτα καὶ ὑπὸ ἔθους ὡς οἱ ναλίλαιοι. ARRIEN.

(3) L'effet des supplices endurés avec courage est bien dépeint par Lactance, Institut. lib. V. c. 13: Nam, cum videat vulgus dilacerari homines variis tormentorum generibus, et inter fatigatos carnifices invictam tenere patientiam, existimat id quod est, nec consensum tam multorum, nec perseverantiam morientium vanam esse, nec ipsam patientiam, sine Deo, cruciatus tantos posse superare. Latrones et robusti corporis viri ejusmodi lacerationes perferre nequeunt, exclamant et gemitus edunt, vincuntur enim dolore, quia deest illis inspirata patientia. Nostri autem, ut de viris taceam, pueri et muliercula tortores suos taciti vincunt, et expromere illis gemitum nec ignis potest. - Ecce sexus infirmus et fragilis ætas dilacerari se toto corpore utique perpetitur, non necessitate, quia licet vitare si vellent, sed voluntate, quia confidunt in Deo,

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