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Diffusion.

Voilà donc la croix qui, de l'opprobre du Golgotha, a été appelée à guider les armées, à resplendir sur le front des rois, et à ouvrir une civilisation, nouvelle; mais au prix de combien de luttes et de souffrances!

Nous avons déjà fait mention (1) de ceux qui, les premiers, propagèrent le christianisme par l'exemple, par la mort, par la grâce, jusque dans les contrées les plus reculées. La voix des apôtres retentit par toute la terre; mais comme leur humilité ne nous a pas laissé de souvenirs dans tous les pays qu'ils ont convertis, nous devons nous renfermer presque exclusivement dans le monde romain. La critique ne peut accepter à la rigueur l'expression de saint Justin, martyr, quand il s'écrie: Il n'est pas de peuple grec ou barbare, pas de nation, quels que soient son nom et ses mæurs, quelque ignorante qu'elle soit de l'agriculture et des arts, qu'elle habite sous des tentes ou s'en aille errante sur des chars couverts, chez laquelle ne s'élèvent, au nom du Christ crucifié, des prières au père et créateur de toutes choses (2). Il est néanmoins certain que le christianisme se répandit avec une telle rapidité, que, eu égard aux obstacles, elle suffirait à faire foi de son origine divine. Outre la Judée, l'Italie, la Grèce et l'Égypte, les provinces situées entre l'Euphrate et la mer Égée recurent l'Évangile de la bouche de Paul: l'Apocalypse nous rappelle les sept Églises asiatiques d'Éphèse, de Smyrne, de Pergame, de Thyatire, de Sardes, de Laodicée et de Philadelphie. Dans la Syrie, celles de Damas, de Bérée (Alep) et d'Antioche étaient illustres. Chypre, la Crète, la Thrace, la Macédoine, accueillirent les apôtres, qui semèrent aussi la vérité au sein des anciennes républiques de Corinthe, de Sparte et d'Athènes.

D'Édesse, où le christianisme fut embrassé par beaucoup de personnes, il put se propager dans les villes grecques et syriaques qui obéissaient aux successeurs d'Artaxar, en dépit de la hiérarchie vigoureuse des mages perses et de leur culte intolérant. La grande Arménie le reçut de bonne heure de la Syrie; mais elle ne fut convertie en entier qu'au quatrième siècle, quand Tiridate fut baptisé par saint Grégoire Illuminator. Une prisonnière chré

(1) Voy. ci-dessus, chap. VII.

(2) Dial. cum Tryphone. Gibbon, qui cherche à diminuer le nombre des chrétiens, dit qu'ils ne pouvaient dépasser un vingtième de la population de l'empire. Ce serait déjà une proportion immensément supérieure à celle de toute autre secte.

tienne le porta dans le Caucase, en amenant un prince ibère à confesser la divinité de Jésus et à demander des missionnaires à Constantinople. Les livres saints avaient été traduits dans l'Éthiopie dès le deuxième siècle; l'Église y fut ensuite établie par Frumence, qui, après avoir converti le Négus et la nation, fonda l'évêché d'Axum.

Mais de même que les cités antiques voulaient tirer leur origine des demi-dieux, les Églises aspirèrent en trop grand nombre à l'honneur d'avoir été fondées par les apôtres, quelques-unes même pour lesquelles subsistent encore des témoignages contraires. Sulpice Sévère atteste que la religion du Christ ne passa que tard de l'autre côté des Alpes, et cite un bourg populeux où, de son temps encore, personne ne connaissait Jésus-Christ (1). On ne voit apparaître dans les Gaules que les Églises de Lyon et de Vienne, sous les Antonins; et sous Décius seulement, celles d'Arles, de Narbonne, de Toulouse, de Limoges, de Clermont, de Tours et de Paris. Bien que beaucoup de villes eussent certainement embrassé la foi quand elle pouvait encore coûter le martyre, la masse de la population ne devint chrétienne qu'à partir du moment où les persécutions eurent cessé; quand le zèle de saint Martin de Tours et de son successeur saint Brice, de saint Corentin de Quimper, de saint Marcel de Paris, fut récompensé par de glorieux triomphes.

Sans croire que, dès l'an 180, le pape Éleuthère eut envoyé des missionnaires dans la Grande-Bretagne à la requête d'un certain roi Lucius, nous lisons dans Tertullien que les Cambriens et les Calédoniens, invincibles jusqu'alors aux armées romaines, furent subjugués par le Christ (2).

Saint Jacques le Majeur, auquel les Espagnols rapportent leur conversion (3), ne parait pas être sorti de la Palestine, où il souffrit le martyre neuf ans après Jésus-Christ, et avant la dispersion des apôtres. La même incertitude couvre l'origine des Églises d'Afrique, dans lesquelles prospéra le bon grain, grâce aux évêques établis en grand nombre jusque dans les moindres villes, et au zèle

(1) Nemo noverat Christum. Dial. II. Serius trans Alpes Dei religione suscepta. Hist. eccl., II.

(2) Apologie.

(3) C'est ce que soutient D. ENRICO FLORES, España sagrada, t. III. Saint Paul manifeste l'intention de se rendre en Espagne, dans son épître aux Romains (XV, 24 et 28). On a prétendu que saint Pierre était allé à Tarragone.

Circonst, fav. au christian.

de champions éloquents de la foi, notamment de saint Cyprien. Déjà, au temps de Néron, trente-trois ans après la mort du Christ, il y avait dans Rome beaucoup de chrétiens (1). Déjà ils sont clairement distingués des juifs; déjà on ne peut les punir qu'en inventant contre eux d'absurdes calomnies; déjà ils ont pénétré dans les provinces éloignées, et l'on se vante comme d'un triomphe de les avoir extirpés (2). Lucien trouve le Pont, sa patrie, envahi par des épicuriens et des chrétiens (3). Quatre-vingts ans seulement après la venue du Christ, Pline se plaint que les temples sont déserts, les victimes sans acheteurs; et il en accuse cette superstition chrétienne répandue jusque dans les hameaux et les chaumières.

Alors les prosélytes n'étaient plus seulement des gens vulgaires : Pline en rencontrait de toute condition et de tout âge. Tertullien déclarait au proconsul que s'il persistait à faire la guerre aux chrétiens de Carthage, il lui faudrait décimer la ville, et qu'il trouverait parmi les coupables beaucoup de personnages de son rang, des sénateurs, des matrones, des amis. L'édit de l'empereur Valérien suppose que des sénateurs, des chevaliers romains et des dames de haut rang ont été convertis.

Cette diffusion fut favorisée en partie par des circonstances humaines (4). Bien qu'un édit d'Auguste eût prohibé les sociétés nouvelles, le christianisme fut toléré d'abord comme une secte judaïque (5). Le monde civilisé se trouvant réuni dans l'étendue de l'empire, les propagateurs n'eurent point à lutter contre des inimitiés nationales, et les conquêtes des Romains tournèrent ainsi à leur avantage. Ajoutez à cela l'usage de l'idiome grec adopté par les apôtres, et qui, répandu dans tout l'Orient depuis la conquête d'Alexandre, en même temps que le plus perfectionné, était connu en Italie et dans les Gaules de toutes les personnes libéralement éle

(1) Multitudo ingens.

(2) On a trouvé en Espagne une pierre avec cette inscription: NERONI. CL. CAIS. AUG. PONT. MAX. OB PROVINC. LATRONIB. ET HIS QUI NOVAM GENERI HUMANO SUPERSTITION. INCULCAB. PURGATAM.

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MURATORI, 1, 99.

(3) In Alexand. 25.

(4) DÖELINGER.

(5) KRAFFT, Prol. de nascenti Christi Ecclesia sectæ judaicæ nomine tuta (1771), et SEIDENSTUCKER, De Christianis ad Trajanum usque a Cæsaribus et senatu romano pro cultoribus religionis mosaicæ semper habitis (Helmstad, 1790), ont exagéré en soutenant que les chrétiens se propagèrent à l'ombre du judaïsme.

vées. Des hommes pleins d'érudition, et profondément versés dans les belles-lettres, ne tardèrent pas à concilier l'estime des classes supérieures à l'enseignement, dédaigné d'abord, des pêcheurs galiléens; et un système qui mettait à nu la pauvreté des autres philosophies fut exposé dans la langue d'Aristote et de Platon.

Les hommes avaient beau en effet s'étourdir au milieu des affaires ou des voluptés, ils ne pouvaient étouffer dans les consciences cet instinct puissant qui porte à rechercher ce qu'est Dieu, ce qu'est l'homme; quels rapports existent entre l'un et l'autre ; comment le pécheur peut se racheter; ce qu'il deviendra après la mort. Que pouvaient répondre à de pareilles questions l'orgueil glacé des stoïciens, la dépravation épicurienne, la grossièreté des cyniques, le scepticisme académique? Les meilleurs maîtres faisaient naître le désir de la vérité au lieu de l'apaiser, répondant par des doutes et des subtilités, quand l'âme demandait le repos de la certitude.

La religion païenne pouvait-elle donner cette certitude? Mais les oracles avaient presque perdu la voix, depuis que les affaires en se traitant dans le conseil des rois étaient devenues secrètes; il était difficile d'en prévoir la décision, dangereux même de la révéler: de plus, il devenait inutile de persuader au nom des dieux ce qu'imposait le décret d'un maître. La foule paraissait lasse des anciens dieux, tant elle se montrait empressée à en introduire de nouveaux, dont le symbole n'eût pas encore été avili par des interprétations matérielles, pour raviver sa foi dans une alternative continuelle de superstitions et d'incrédulité. Si le peuple croyait, il trouvait dans les dieux des exemples de toutes les corruptions; et, craignant que l'hommage rendu à l'un d'eux ne fût une insulte envers l'autre, il se jetait dans des pratiques superstitieuses. Quant aux esprits cultivés, leur était-il possible d'avoir foi en cette tourbe de divinités et en leurs aventures poćtiques? L'homme doué d'une âme généreuse pouvait-il s'incliner avec respect devant l'autel où étaient encensés un Antinoüs et une Drusille? Aussi, philosophes, prêtres, hommes d'État, regardèrent-ils tous les différents cultes comme également faux, quoiqu'ils les jugeassent utiles : la tiare du pontife, la longue tunique de l'augure, comme la toge du magistrat, ne couvraient que l'athéisme.

Les chrétiens, au contraire, exposaient une doctrine simple, claire, humaine : « Ce qui est et ce qui devrait être, la misère et

la concupiscence, en même temps que l'idée toujours vivante de

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perfection et d'ordre que nous trouvons également en nous, le << bien et le mal, les paroles de la divine Sagesse et les vains dis<< cours des hommes, la joie vigilante du juste, les douleurs et « les consolations du repentir, l'épouvante et l'endurcissement « du méchant, les triomphes de la justice et ceux de l'iniquité, les << desseins des hommes conduits à leur fin à travers mille obsta«< cles où renversés par un obstacle imprévu, la foi qui attend la << promesse et qui sent la vanité de ce qui est passager, l'incrédu« lité elle-même, tout s'explique avec l'Évangile, tout confirme l'Évangile; la révélation d'un passé dont l'homme porte dans son « âme les tristes témoignages, sans en avoir par lui-même la tra«dition et le secret, et celle d'un avenir dont il ne lui reste qu'une «< idée confuse de terreur et de désir, nous rendent clair le présent « que nous avons sous les yeux; les mystères concilient les contradictions, et les choses visibles se comprennent par la notion des <«< choses invisibles (1).

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Le prosélyte n'était pas conduit à cette sublimité par son initiation à des mystères dont les explications physiques pussent révéler l'imposture des prêtres, et mettre ses convictions en opposition avec les pratiques extérieures; mais on lui exposait les hautes vérités de l'incarnation, de la rédemption, de l'eucharistie. L'enseignement uniforme et solide de l'école était en harmonie avec la . prédication, le mystère avec la doctrine extérieure, les cérémonies du culte avec la consommation réelle du sacrifice. Le christianisme substituait à l'opinion, au doute, à la crainte, trois vertus ignorées, la foi, l'espérance, la charité. Tandis que dans l'idolâtrie les fêtes n'étaient que des allusions à des accidents naturels, tout au plus des commémorations patriotiques souvent souillées d'impuretés et de déportements, dans les fêtes chrétiennes l'élan de la joie était le signe de la renaissance spirituelle. Tandis que là, faute de connaître la Providence, on interrogeait l'avenir avec anxiété, on se confiait ici dans l'omniscience divine, et l'esprit, affranchi de la crainte de sinistres présages, trouvait l'explication de la vie dans ce qui devait arriver après la vie.

Aussi à l'annonce d'une religion divine dans son origine, simple et vraie dans sa doctrine, pure et sublime dans sa morale, l'intelligence prenait l'éveil, quand la volonté hésitait encore. Si la grâce ne triomphait pas des habitudes de la première éducation, (1) MANZONI, Morale catolica.

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