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toriens, soutenus par Cléandre, l'empereur s'en vengea en sévissant le plus qu'il put dans leurs rangs. Les préfets du prétoire euxmêmes étaient changés presque chaque jour ; quelques-uns ne durèrent que six heures, et la plupart perdirent la vie avec leurs fonctions. Non-seulement ce prince, aussi paresseux que débauché, s'en remettait de tous soins à de pareilles gens, mais il refusait même de signer les dépêches officielles; et c'est à peine s'il écrivait le vale an bas des lettres adressées à ses amis. Cet infâme osait pourtant se donner, dans ses médailles, le titre d'Heureux; il voulut que son siècle fût appelé Commodien, Rome colonie commodienne ; et le sénat, bassement adulateur, inscrivit sur le lieu de ses assemblées : Maison de Commode. Les noms des mois furent changés en adjectifs à sa louange, et il écrivait au sénat : L'empereur César Lucius Ælius, Aurelius, Commode, Antonin, Auguste, Heureux, Lion, Pieux, Sarmatique, Britannique, Germanique, Pacificateur, Invincible, Hercule romain, Père de la patrie, Pontife suprême, Consul pour la septième fois, Imperator pour la huitième, Tribun pour la dix-septième, aux illustres sénateurs commodiens salut.

Poussée par l'ambition, sa sœur Lucilla crut pouvoir faire une révolution en conspirant avec les principaux sénateurs; mais l'assassin, arrêté au moment où il levait le bras en disant, Voilà ce que t'envoient les sénateurs, fut mis à mort avec ses complices. La princesse, exilée à Caprée, y fut immolée à son tour; et plus tard aussi l'impératrice Crispina, reléguée dans cette ile pour avoir voulu imiter les débauches de son époux.

Les paroles du sicaire, qui avait su parler et non pas exécuter, exaspérèrent Commode contre le sénat. Féroce auparavant par inclination, non par calcul, il avait même pu pardonner. C'est ainsi qu'à l'exemple de son père il avait jeté au feu les révélations que lui avait remises Manilius, secrétaire de l'usurpateur Avidius Cassius; mais bientôt il fit revivre les délateurs et les procès de lèse-majesté, avec leur cortége ordinaire d'innocents livrés au supplice; c'étaient ceux surtout dont la vertu contrastait avec la corruption impériale. Nous citerons entre autres les deux frères Quintilius, Maxime et Condien, de la Troade, célèbres pour leur amour fraternel, qui toujours les faisait agir de concert, comme s'ils n'eussent été qu'un seul homme. Ils avaient gouverné ensemble les provinces et commandé les armées; ils avaient exercé ensemble le consulat et les autres

T. V.

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fonctions que leur avaient conféré Antonin et Marc-Aurèle. Commode les fit tuer ensemble (1). Jules-Alexandre d'Émèse tua les soldats envoyés par l'empereur pour lui ôter la vie, et s'enfuit, dans l'intention de se retirer chez les barbares; mais, entravé dans sa marche par un ami trop lent à le suivre, il lui donna la mort et se frappa ensuite.

Si du moins Commode avait su employer sa valeur féroce à défendre les frontières! mais, à peine monté sur le trône, il avait cédé aux Quades tous les forts élevés sur leur territoire, à la condition qu'ils se tiendraient à cinq milles de distance du Danube, rendraient leurs armes, fourniraient des troupes aux Romains, et ne se réuniraient qu'une fois par mois, en présence d'un centurion. Il acheta aussi la paix d'autres Germains, et laissa les Sarrasins (mentionnés ici pour la première fois) remporter des avantages sur l'empire. Un simple soldat, nommé Maternus, s'étant fait le chef d'une troupe de déserteurs, bouleversa l'Espagne et la Gaule; puis, comme il se vit cerné de toutes parts, il dispersa ses compagnons et s'en vint en Italie, suivi des plus audacieux d'entre eux, dans l'intention d'égorger Commode et de se faire empereur. Déjà quelques-uns s'étaient mêlés aux gardes du palais, quand Maternus fut trahi par d'autres ; et son supplice fit avorter le complot.

Cependant la valeur des généraux put réprimer les Frisons et repousser les Calédoniens, qui avaient franchi la muraille d'Adrien: quant à Commode, il s'attribuait les honneurs de ces victoires et le titre d'empereur, sans voir jamais le champ de bataille. Une fois seulement il annonça le dessein de passer en Afrique; mais lorsqu'il eut ramassé beaucoup d'argent à cet effet, il le dissipa en festins et en débauches.

Les misères de son règne furent accrues par des désastres accidentels. Il y eut plusieurs tremblements de terre; la peste éclata dans Rome, où elle moissonna jusqu'à deux et trois mille individus par jour; les flammes dévorèrent le temple de la Paix, édifié par Vespasien, où étaient déposées les dépouilles de la Judée, les ouvrages de littérature et les productions les plus précieuses de

(1) Comme ces deux jumeaux de la Réole, les frères Faucher, faits généraux le même jour sur le champ de bataille, blessés en même temps, partageant les mêmes vicissitudes, et fusillés le même jour (15 juillet 1815), lors de la rentrée des Bourbons, par jugement d'une commission militaire, pour avoir repris du service durant les cent-jours. (Note du traducteur.)

l'Arabie et de l'Égypte. Le feu prit au palais lui-même et au temple de Vesta, d'où s'enfuirent les vierges sacrées, en exposant pour la première fois, aux regards profanes, le Palladium, sauvegarde

de l'empire.

mode.

192.

31 décembre.

Un péril privé sut enfin accomplir ce que ne pouvait faire l'in- Mort de Comdignation publique. En effet, Marcia, concubine de l'empereur, Lætus, capitaine de ses gardes, et Éclectus, son chambellan, sachant qu'il avait résolu leur mort, assassinèrent Commode. Il était âgé de trente et un ans à peine, et en avait régné près de treize (1). Le sénat, qui était descendu envers lui au dernier degré d'abjection, reprit courage quand il le vit mort; il fit abattre ses statues et effacer son nom des inscriptions; il refusa la sépulture au vil gladiateur, au parricide, au tyran plus sanguinaire que Néron. Les conjurés coururent à la demeure d'Helvius Pertinax, vieux Helvius Persénateur consulaire et alors préfet de la ville. En s'entendant appeler, il supposa, comme il était minuit, qu'ils venaient de la part de Commode pour lui donner la mort; il les fit entrer, et leur dit qu'il les attendait depuis longtemps, attendu que Pompéianus et lui étaient les deux seuls amis de Marc-Aurèle qui vécussent

encore.

Pompéianus était le vertueux époux de Lucilla, sœur de Commode. I conserva toujours une contenance digne, refusant de paraître à l'amphithéâtre, et de voir le fils de Marc-Aurèle s'y prostituer dans sa personne et dans son rang. Il resta donc le plus souvent à la campagne, sous prétexte d'infirmités, qui ne cessèrent que durant le règne bien court de son successeur.

Celui-ci était né près d'Albe, dans le Montferrat, d'un charbonnier esclave, qui lui donna le nom de Pertinax, pour son opiniâtreté à vouloir abandonner le métier paternel, et se faire maître de grec et de latin à Rome. Cette profession lui rapportant peu d'avantages, il entra au service, devint centurion, puis préfet d'une cohorte en Syrie et en Bretagne. Marc-Aurèle le dégrada, sur une accusation portée contre lui; puis, l'ayant reconnue fausse, il le nomma sénateur, et l'envoya, avec la première légion, faire la guerre aux Germains. Après avoir soumis la Rhétie, Pertinax fut nommé consul; puis il se vit, sous le règne de Commode, élevé et abaissé tour à tour, appelé enfin au gouvernement de Rome. (1) Sa vie privée, par Lampride, se trouve dans l'Hist. Aug., et l'histoire d'Hérodien commence avec son règne.

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tinax. 193.

1er janvier.

128,

Homme de bien, assidu aux affaires, grave sans orgueil, doux sans faiblesse, prudent sans astuce, frugal sans avarice, grand sans ostentation, ami de l'antique simplicité romaine, il parut à Lætus et aux conjurés très-propre à réparer le mal causé par celui dont ils avaient tranché les jours.

Ils l'entraînèrent donc au camp des prétoriens, qui, malgré leur affection intéressée pour Commode, acceptèrent le nouvel empereur moyennant la promesse de trois mille drachmes par tête, et le conduisirent, couronné de lauriers, au sénat, pour y faire approuver son élection. Les applaudissements étouffèrent la voix de Pertinax, quand il pria les sénateurs de l'exempter d'un tel fardeau ; ils lui conférèrent le titre d'Auguste, de père de la patrie, de prince du sénat, et les consuls prononcèrent son panégyrique. Il ne permit pas qu'on appelât Auguste sa femme, qui ne le méritait pas, ni son fils César, tant qu'il ne s'en serait pas montré digne. Il leur céda à tous deux ce qu'il possédait de fortune, pour qu'ils n'eussent rien à demander à l'État; puis, afin que son fils ne fût pas gâté par le luxe énervant de la cour, il l'envoya faire son éducation près de son aïeul maternel.

Pertinax conserva, sur le trône, ses vertus privées. Simple dans sa manière de vivre, il continua ses relations avec les sénateurs les plus estimables, les invitant à des soupers sans étiquette, dont riaient ceux qui préféraient les profusions sanguinaires de Commode. Elles avaient, cependant, épuisé le trésor au point que Pertinax fut obligé de convertir en argent monnayé les statues renversées de son prédécesseur, de faire vendre à l'encan ses armes, ses chevaux, ses vêtements de soie, ses meubles, ainsi qu'un char qui indiquait l'heure et le chemin parcouru (1), ses concubines et ses esclaves, à l'exception seulement de ceux qui, nés libres, avaient été enlevés violemment. Il contraignit les favoris du tyran à restituer une partie de leurs richesses mal acquises, et s'en servit pour payer, outre les prétoriens, les créanciers de l'État, les pensions échues, et ceux qui avaient souffert quelque dommage. Il abolit les droits onéreux qui entravaient le commerce, et exempta d'impôts, durant dix années, ceux qui remettraient en culture les champs déserts de l'Italie. Il déclara qu'il n'accepterait aucun legs au détriment des héritiers légitimes,

(1) Vie de Pertinax, page 56.

rendit la patrie et leurs biens aux bannis pour cause de trahison, châtia les délateurs, et empêcha qu'on inscrivît son nom aux lieux habituels, disant: Ils appartiennent au public, et non pas à l'empereur.

S'il méritait ainsi l'amour des gens de bien, auxquels il rappelait Trajan et Marc-Aurèle, ceux qui profitaient du désordre et du silence des lois n'étaient que trop nombreux. Déjà les prétoriens, dans la crainte qu'il ne réformat la discipline, regrettaient Commode; et Lætus, qui avait espéré tout faire à son gré sous un empereur créé par lui, excitait parmi eux le mécontentement. Ils voulurent, trois jours après l'élévation de Pertinax, porter à l'empire le sénateur Maternus Lascivius, qui s'arracha avec effort de leurs mains, pour courir vers Pertinax et protester de son innocence. Le consul Falco leur prêta plus volontiers l'oreille; et l'empereur s'en plaignit, sans vouloir pourtant qu'il fût condamné. Mais, quatre-vingt-dix jours à peine après son avénement, quelques centaines de prétoriens traversèrent Rome en tumulte, et se ruèrent dans le palais, que leur ouvrirent les gardes et de låches affranchis. L'empereur, se présentant à ces séditieux, les réprimanda de leur rébellion, et leur représenta les maux qui en résulteraient; quelques-uns, pris de honte, remettaient déjà leur épée au fourreau, quand un Batave perça l'empereur de son jave- Mort de Perlot; et les autres l'imitèrent. Pertinax, s'enveloppant la tête de sa toge, expira sous leurs coups, en priant le ciel de le venger ; et son corps fut porté en triomphe par les prétoriens au milieu de la ville, frappée de stupeur. Ici nouvelle scène. Cette soldatesque annonçant que l'empire est en vente et sera donné au dernier enchérisseur, L'empire à Sulpicius, beau-père de l'empereur, qui l'avait envoyé au camp pour apaiser le tumulte, n'eut pas horreur, par une basse ambition, de se présenter pour acheter un trône souillé par le meurtre de son parent. Mais d'autres compétiteurs se mettaient aussi sur les rangs la nouvelle en étant venue aux oreilles d'un Milanais très-riche, nommé Didius Julianus, qui, sans songer aux calamités publiques, traitait en ce moment ses amis, ceux-ci l'excitèrent à enchérir aussi. Après avoir un peu hésité, ce vieillard se rend au camp, et lutte avec Sulpicius; il promet de rétablir les largesses faites par Commode, et, de cinq mille drachmes offertes pour chaque soldat, il arrive à six mille deux cent cinquante, payables comptant!

tinax.

l'encan.

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