Imatges de pàgina
PDF
EPUB

Quelques-uns de ces rhéteurs ne le cédaient pas aux meilleurs orateurs de l'antiquité pour la pureté de la langue et la dignité du style; mais, comme les Latins, ils ne savaient que répéter; rien chez eux n'était neuf, rien n'était senti. La rhétorique reprit quelque vigueur lorsqu'elle s'associa à la philosophie pour traiter certaines matières, non plus en faisant usage du dialogue aride des disciples de Socrate, ou en adoptant la sévérité scientifique d'Aristote, mais d'une manière oratoire, comme nous le voyons dans les néoplatoniciens, et dans les philosophes qui fleurirent depuis Adrien jusqu'à Julien. Philostrate, faisant pour les sophistes et les rhéteurs ce que Nostradamus fit ensuite pour les troubadours, recueillit leurs dires et leurs actions, où se montrent l'effronterie et l'esprit artificieux de ces hommes, qui s'en allaient par le monde en quête de renommée ou d'argent, ne songeant qu'à se supplanter et à se déchirer les uns les autres.

L'un des plus illustres parmi les orateurs fut Dion Chrysostome, de Pruse en Bithynie. Vespasien l'ayant trouvé à Alexandrie, et lui ayant demandé s'il ferait bien d'accepter l'empire qu'on lui offrait, sans connaître le monde autrement que par les livres, il l'exhorta à rétablir la république. Il fut plus tard député à Rome par ses concitoyens, pour porter une réclamation à Domitien : J'ai donné, dit-il, une grande preuve de courage en osant dire la vérité, quand chacun croyait salutaire de mentir. J'ai affronté la haine, non d'un homme vulgaire, mais d'un prince aussi cruel que puissant, auquel les Grecs et les barbares donnaient lâchement les noms de maître et de Dieu, quand celui de démon lui aurait bien mieux convenu.

Dion s'étant enfui seul et travesti, probablement pour échapper au courroux de cet empereur, fut réduit à gagner sa vie en plantant des arbres, ou en puisant de l'eau pour les bains : les seuls consolateurs qu'il eut dans son exil furent le Phédon et une harangue de Démosthène. Son savoir lui valut l'affection des barbares de la Dacie et de la Mésie, et celle des Gètes, dont il écrivit l'histoire. Il revint quand les circonstances eurent changé. Ses compatriotes lui ayant témoigné le désir de le voir à son passage, il leur donna rendez-vous à Cizique, où accourut, en

garder la neutralité; ou bien encore celle dans laquelle il délayait en prose traînante les vers mis par Homère dans la bouche d'Ulysse pour adoucir la colère du fils de Thétis.

Dion. 30.

effet, une foule immense; mais, au moment où il s'apprêtait à leur débiter une harangue préparée avec soin, le bruit se répandit qu'un musicien fameux venait d'arriver; et tous laissèrent là l'orateur, pour aller l'entendre. S'étant fixé plus tard dans sa patrie, il y trouva les honneurs et les tracasseriés qui attendent partout les hommes supérieurs. Il se vit même condamné comme coupable de lèse-majesté, pour avoir élevé une statue à l'empereur au milieu des tombeaux. Heureusement cet empereur était Trajan: nonseulement il le renvoya absous, mais, au moment où il faisait son entrée triomphale après sa victoire sur les Daces, ayant remarqué Dion dans la foule, il le fit monter avec lui sur son char.

Son style, formé sur celui de Platon et de Démosthène, en reproduit l'élégance, mais non la limpide simplicité. Quant au fond, il roule en partie sur les arguments sophistiques alors en vogue; et, dans le nombre de ses discours, la discussion qu'il engage pour savoir si Troie a été prise a quelque importance. Dion s'appliqua, par la suite, à des questions plus graves touchant la philosophie, la morale, la littérature; on trouve en abondance, dans ses écrits, d'excellents sentiments, et des connaissances précieuses pour l'époque.

Sur les quatre-vingts discours qu'il a laissés, on donne la palme à celui qu'il adressa aux Rhodiens, pour les détourner de l'usage, adopté parmi eux lorsqu'ils voulaient honorer un contemporain, de prendre une statue antique, et d'en changer seulement l'inscription.

Consulté par un personnage déjà mûr, qui veut savoir comment il doit faire pour devenir éloquent, il lui répond ( πɛρì λóyou άoxécɛws) en lui indiquant les auteurs à étudier : Homère avant tous, la première et la dernière lecture de l'homme, enfant, adulte ou vieillard (1), Homère, qui offre à chaque lecteur autant qu'il en peut prendre. Il lui recommande ensuite les historiens, notamment le grave Thucydide, le doux Hérodote, et Théopompe; parmi les écrivains dramatiques, Ménandre et Euripide, le premier comme supérieur à tous les anciens, le second comme très-utile à un homme d'État (OλITIx dvdpi). Bien qu'il accorde la palme à Démosthène, il conseille d'étudier plutôt Hypéride et Eschine, non moins élégants, mais plus simples et plus faciles; puis les quatre rhéteurs modernes, Antipater, Théodore, Plution et Conon,

(1) Καὶ μέσος, καὶ ὕστατος, καὶ πρῶτος παντὶ παιδὶ, καὶ ἀνδρὶ, καὶ γέροντι.

par le singulier motif que leur lecture ne décourage pas en ôtant

l'espoir de les égaler.

cus.

Tibérius Claudius Hérode Atticus, dont nous avons déjà Hérode Attlparlé, paraissait à Aulu-Gelle l'emporter sur tous les orateurs pour la gravité, l'abondance et l'élégance. Il est certain, au moins,

- qu'il était généreux en repas et en présents. Adrien de Tyr, son Adrien de Tyr. élève, secrétaire de Commode, traita les sujets suivants, que nous connaissons Une magicienne, condamnée à être brûlée vive, est défendue par son art contre les flammes : une autre, appelée pour détruire l'enchantement, y réussit, et Adrien demande qu'elle soit brûlée comme sorcière : des soldats ont détourné un fleuve, et sont parvenus ainsi à noyer l'armée qu'ils devaient combattre; ils se présentent pour réclamer la récompense promise, s'ils étaient vainqueurs.

117.

Le Bithynien Ælius Aristide jouit d'une grande réputation; il Elius Aristide voyagea beaucoup; et, après avoir laissé partout des monuments de son savoir et de sa renommée, dans les statues et les inscriptions qu'on lui décernait, il se fixa à Smyrne, comme gardien du temple d'Esculape. Il avait une dévotion spéciale pour ce dieu, et ce n'était pas sans motif: en effet, atteint d'une maladie étrange, dont il fut tourmenté pendant seize ans, sans que médecins ni traitements curatifs y pussent rien, Esculape lui seul lui procurait du soulagement par ses apparitions fréquentes, et lui suggérait les remèdes à employer; enfin il se jeta, par son ordre, dans un torrent impétueux, et en sortit guéri (1). Il s'étudie à marcher sur les traces de Démosthène; et, bien qu'il en reste fort loin, il a de la force dans la pensée et dans l'expression; il sait s'affranchir de la surabondance de ses contemporains, et il est à regretter qu'il ait manqué de sujets capables de l'élever à la hauteur où il pouvait atteindre. S'il obtint de Marc-Aurèle la reconstruction de Smyrne, renversée par un tremblement de terre, le mérite en fut moins à son éloquence qu'à la bonté du prince.

Le malheur rendit célèbre Hermogène de Tarse, qui excitait à Hermogène. quinze ans l'admiration de Marc-Aurèle et des écoles: il perdit la mémoire à vingt-cinq ans, et traîna jusqu'à un âge avancé une existence imbécile.

Sans nous arrêter à quelques autres, nous mentionnerons encore

(1) Il raconte sa maladie et sa guérison dans ses cinq livres des choses sacrées.

Longin.

Longin (1), qui fut le maître de Zénobie, reine de Palmyre, et paya de sa vie la fidélité qu'il lui conserva. Il suivait la philosophie de Platon, et l'emportait sur tous par la connaissance parfaite des mérites et des défauts des différents auteurs sur lesquels il écrivit des dissertations admirées de ses contemporains (2). Nous avons, sous son nom, un traité du Sublime, attribué par quelquesuns à Denys d'Halicarnasse, et aussi à d'autres. Cécilius, rhéteur sicilien, du temps d'Auguste, avait déjà écrit sur ce sujet, indiquant en quoi consistait le sublime, mais sans donner les règles à suivre pour l'atteindre. Longin voulut suppléer à ce défaut; mais sa prétention d'enseigner le sublime annonce déjà qu'il l'entendait dans un sens qui n'était pas le vrai. En effet, il le confond souvent avec le beau, parfois avec le figuré; rarement il s'élève jusqu'à la source du véritable sublime, la puissance incommunicable du génie ou du caractère moral.

Si l'on considère cet ouvrage comme un traité de rhétorique, on verra que l'auteur ne s'amuse pas à détailler les parties du discours, et à réduire l'art à une technologie pédantesque ; il enseigne, au contraire, d'une manière plutôt esthétique que dogmatique : les exemples dont il appuie ses doctrines sont empruntés à une critique judicieuse des plus grands auteurs ; et lorsqu'il tombe sur un passage remarquable, il le caresse avec une noble complaisance, s'attachant plus aux beautés qu'aux défauts. A la manière de Cicéron, d'Aristote, de Quintilien, il semble que l'émulation le gagne, qu'il emprunte le feu et la magnificence d'Homère et d'Eschyle, qu'il fasse hommage de sa propre éloquence à l'inspiration qui lui vient d'eux.

Non content de réduire en théorie les élans de la pensée qui s'exalte, et les qualités de l'expression oratoire, quand elle est majestueuse et vive, il veut encore montrer comment tous les genres littéraires, même les plus simples et les plus naïfs, peuvent acquérir de l'élévation; quels purs ornements s'allient à ce qui est vrai et naturel, en évitant les bizarreries et la rudesse, que l'on prend parfois pour de la force, et la trivialité, que l'on voudrait faire passer pour de la hardiesse. Il veut surtout que l'amour du bien s'associe au sentiment du beau; et il attribue l'aridité des es

(1) Longini quæ supersunt, græce........... concinnavit A. E. EGGER; Paris, 1837. (2) EUNAPIUS, c. 2.

prits, l'absence du sublime, à l'amour déréglé des richesses et des plaisirs, à l'admiration des choses frivoles et périssables.

On pouvait déjà dans Euripide, sentir la décadence de la langue Grammairiens grecque; sa molle abondance, ses jeux de mots, son scepticisme universel, le vague de sa philosophie, servirent d'exemple aux Alexandrins, et, en même temps, d'excuse pour gâter le plus bel idiome qui jamais ait été parlé. Les grammairiens prétendaient lui rendre sa pureté; et, voyant la foule de termes étrangers qu'y introduisait le mélange de divers peuples dans la capitale de l'Égypte, ils songèrent à fixer authentiquement la partie la plus pure de la langue. Ce fut ainsi que commença l'utile innovation des lexiques, recueils d'expressions remarquables par leur forme et par leur signification, et celle des glossaires, recueils de mots vieillis, ou tirés des langues étrangères, ou particuliers à certains dialectes. Apollonius, qui vivait peu de temps après Auguste, compila les Dictions homériques (A駤ıç óμnpixai); le grammairien Hérotien ou Hérodien en fit autant, sous le règne de Néron, pour les expressions d'Hippocrate; Timée, pour celles de Platon. Ptolémée d'Ascalon composa un dictionnaire des synonymes (περ Arapopàs λεžéwv); Julianus Pollux fit l'Onomastique, espèce de Regia Parnassi, indiquant les différentes manières de nommer les choses. Triphon d'Alexandrie porta son attention sur les anciens dialectes; Irénée, sur celui des Alexandrins; l'Arabe Phrynicus, sur celui de l'Attique, en faisant la distinction des mots, selon qu'ils conviennent au style oratoire, historique ou familier (exλoy atτικῶν ῥημάτων καὶ ὀνομάτων ). Le Juif Philon en avait fait autant pour les mots hébraïques des livres saints; mais nous n'avons plus son ouvrage. De quelque peu de valeur que paraissent les travaux de ces grammairiens, il n'est pas moins vrai qu'en séparant l'ivraie du bon grain, ils sont utiles aux études classiques, soit à raison des fragments d'auteurs qu'ils nous ont conservés, soit parce que les riches bibliothèques d'Alexandrie mettaient à leur disposition les anciens critiques les plus éclairés, soit enfin parce qu'ils pouvaient connaître à fond la langue qui se parlait encore.

Le culte d'Homère n'avait point faibli. Apion, que Julius Africanus appelait le plus pointilleux des grammairiens (TερIEрYÓTATOS ypaμμatıx☎v), héritant du goût de son maître Didyme, qui, au temps de Jules César, avait composé jusqu'à quatre mille volumes de commentaires sur différents auteurs et sur la patrie d'Homère, sur

« AnteriorContinua »