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Pétrone.

Les couleurs qui peuvent manquer à la peinture de la vie domestique des Romains nous sont fournies par Pétrone dans son Satyricon, mélange de prose et de vers. Il n'est parvenu jusqu'à nous aucun renseignement sur l'auteur; car des inductions seulement font supposer qu'il était l'intendant des plaisirs de Néron. Son ouvrage, dont il reste beaucoup de fragments obscurs, embrouillés, ne laisse pas apparaître l'intention exacte de l'auteur; on y voit seulement celle de retracer, dans un style obscène, le libertinage de son temps. Corrupteur en réprouvant la corruption, il s'exalte dans l'orgie jusqu'au délire, comme un homme ivre qui va mourir. Il montre un richard dont la fortune est immense et le faste prodigieux, entouré de parasites, de philosophes, de poëtes, de toutes les voluptés infâmes, qui rendaient exécrable la cour des grands. Les uns ont voulu voir dans ce personnage aussi vaniteux que stupide, que l'auteur appelle Trimalcion, une allusion à l'empereur Claude, d'autres à son successeur : nous sommes plus portés à le considérer comme le type idéal de tant de riches débauchés dont Rome abondait alors (1).

Eumolpe, l'un des personnages mis en scène, veut enseigner aux convives ce que doit être le véritable poëte: il leur dit qu'il ne suffit pas pour cela d'enfiler de belles paroles en vers harmonieux; qu'il faut être doué d'un esprit généreux, éviter toute bassesse dans l'expression, et donner du relief aux sentences. Il en vient à proposer comme exemple une de ses compositions sur les causes de la guerre civile, critique dirigée probablement contre Lucain, qui en effet, dans sa composition, oublie de les mentionner. Après fait mention. Jean-Gérard Vossius l'attribue à ce que le style de ce jeune homme si distingué ne respirait que grandeur, comme son âme. L'abbé Garnier, tom. XLV des Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, cherche à le laver de tous les défauts qu'on lui reproche. Harris, père de lord Malmesbury, dit que Perse est, parmi les classiques, le seul écrivain difficile dont les pensées méritent d'être suivies à travers les obscurités dont elles sont enveloppées. Delille l'estimait aussi beaucoup, de même que Monti, qui l'a traduit, et Passow de Weimar, qui le met au rang des esprits les plus privilégiés de l'antiquité classique. Scaliger l'appelle ostentator febriculosæ eruditionis, cætera neglexit. Voy. l'ouvrage de Nisard déjà cité.

(1) Sous le règne de Louis XIV, Bussy de Rabutin et l'abbé Margon voulurent renouveler l'obscène splendeur du banquet de Trimalcion. Il est dit dans l'Héliogabale, ou esquisse morale de la dissolution romaine sous les empereurs, qu'un repas d'après cette idée avait été donné par un certain personnage peu d'années auparavant.

avoir gourmandé, en termes graves, la corruption des mœurs (1), il fait apparaitre comme machines épiques la Fortune et l'Enfer, qui prédisent les malheurs à venir; puis la Discorde, qui met aux prises Pompée et César.

Le Satyricon est le premier roman latin que nous connaissions; mais celui d'Apulée, dont la vie elle-même peut passer pour un roman, fit beaucoup plus de bruit. Né à Médaure en Afrique, d'une bonne famille, au temps des Antonins, il étudia à Carthage, en Grèce, à Rome, où il apprit le latin (2) avec la plus grande peine. Il voyagea, en se faisant associer à diverses confréries religieuses (3),

(1) « Déjà le Romain tenait le monde entier sous son joug, et il n'était pour. tant pas rassasié; il allait cherchant dans les golfes les plus ignorés, et s'il y découvrait une terre qui produisît de l'or, elle était ennemie. Les plaisirs connus du vulgaire, ou les voluptés communes, n'avaient aucun attrait. On tirait la pourpre de l'Assyrie; les marbres, de la Numidie; les soies, de la Sérique; les parfums, de l'Arabie. On allait chercher des bêtes féroces dans les forêts des Maures; on courait jusque près d'Ammon, à l'extrémité de l'Afrique, pour s'y procurer l'ivoire; et l'on chargeait les navires de tigres destinés à boire le sang humain au milieu des applaudissements du peuple, à la manière des Perses. O honte! on interrompt la puberté chez les adolescents, pour retarder la fuite des années rapides; mais on aime les mignons, la molle contenance de leur corps énervé, leurs cheveux tombants, les noms nouveaux de vêtements messéants à un homme. On a une table de citronnier dont le bois fut abattu sur la terre africaine, des troupes d'esclaves, de la pourpre splendide, on veut orner l'or lui-même. La gourmandise est ingénieuse; le scarre qui nage dans la mer de Sicile est apporté vivant sur la table, avec les coquillages arrachés aux bords du Lucrin. Déjà l'onde du Phase est dépeuplée d'oiseaux, et sur le rivage muet les brises seules murmurent dans les rameaux déserts. La rage n'est pas moindre au champ de Mars; les Quirites achetés font de leurs votes un objet de lucre, le peuple est vénal, vénale la curie des pères conscrits; la faveur se paye; la vertu n'existe plus chez les vieillards, et le pouvoir et la majesté gisent corrompus par les richesses: si bien que Rome minée se vend comme une marchandise et ne peut pas elle-même se racheter. »

(2) Médaure était une colonie romaine ; cependant Apulée, fils d'un des premiers magistrats municipaux (duumvir), ne comprenait pas un mot de latin quand il vint à Rome; son beau-fils ne parlait de même que la langue punique, et entendait un peu de grec, grâce à sa mère qui était thessalienne: Loquitur nunquam, nisi punice: et si quid adhuc a matre græcisat, latine enim neque vult, neque potest. Voy. l'Apologie. Cela dément ceux qui croient que le latin était généralement parlé dans les colonies. Ajoutez qu'Apulée crut faire un effort prodigieux en apprenant le latin à Rome sans maître. Quiritium indigenum sermonem ærumnabili labore, nullo magistro præeunte, aggressus ex• colui. L'Ane d'or.

(3) Sacris pluribus initiatus, profecto nosti sanctam silentii fidem. Metam. ·Sacrorum pleraque initia in Græcia participavi, eorum quædam in signa et monumenta tradita mihi a sacerdotibus, sedulo con

Apulée.

et en prononçant partout des discours selon la coutume d'alors. Il nous en est parvenu quelques-uns (Florida), aussi riches d'érudition que pauvres de critique; la crédulité y est poussée à l'excès: cependant ils lui valurent une telle réputation, que plusieurs villes lui érigèrent des statues. Il se trouva réduit, à force de dépenses, à une telle pénurie, que, voulant se faire consacrer au service d'Osiris, il lui fallut mettre en gage jusqu'à son manteau pour se procurer l'argent nécessaire. Il se félicite pourtant d'être entré avec les plus distingués dans le culte de ce dieu, qu'il appelle deum magnorum potior, et majorum summus, et summorum maximus, et maximorum regnator.

Il s'occupa alors de gagner de l'argent en plaidant des causes; mais il réussit mieux en épousant Pédentilla veuve de quarante ans, riche de quatre millions de sesterces. Les parents de celle-ci l'accusèrent de s'être fait aimer d'elle à l'aide de sortiléges: chose peu vraisemblable de la part d'un beau jeune homme qui recherche une femme sur le retour. Il fut, en conséquence, cité devant Claudius Maximus, proconsul d'Afrique, devant lequel il débita l'apologie qui nous est restée, bizarre histoire de préjugés. Les sortiléges qu'on lui reprochait étaient sa jolie figure, sa chevelure soignée, l'usage du miroir, et ses blanches dents. Il se justifia sans peine.

Son livre de Mundo est une traduction libre de celui qui est attribué à Aristote; dans un autre, intitulé de Deo Socratis, il admet le génie du philosophe grec, et cherche à savoir à quelle classe de démons il appartenait. Celui de Habitudine doctrinarum et Nativitate Platonis, est une introduction aux œuvres de Platon. La première partie traite de la philosophie naturelle; la seconde, de la morale; la troisième, du syllogisme catégorique. Il suppose que le monde est formé de la réunion du ciel et de la terre avec leurs natures respectives, et que la concorde des quatre éléments avec un cinquième, de genre divin, produit l'harmonie. Dieu ne pénètre ni ne remplit le monde, mais il le règle par son pouvoir et ne peut être qu'un. Le suprême bien moral est Dieu; le pur esprit, la vertu ; le reste n'est qu'accidents.

Riche de connaissances historiques, Apulée est bien loin de Lucien pour la fécondité de l'esprit, ou pour l'aptitude à pénétrer

servo.... Ego multijuga sacra, et plurimos ritus, varias cæremonias, slu. dio veri et officio erga deos didici. Apologie.

le sens des doctrines philosophiques, et à en découvrir le côté ridicule. Il est aussi bien moins soigné dans son style; ear, tandis que l'on trouve dans Lucien un atticisme, sinon toujours pur, au moins toujours aimable, Apulée ne cesse de vous faire sentir combien la langue romaine devenait de plus en plus barbare, et combien il était peu capable de la régénérer avec ses archaismes, avec son style prétentieux, prolixe, obscur, rempli d'expressions et de tournures nouvelles. Après avoir cru à la magie et à maintes superstitions du même genre, il les tourna en ridicule, mais sans pour cela s'en dégager tout à fait; car, bien que son Ane d'or en fasse la satire, il était persuadé que les démons exerçaient un pouvoir immédiat sur l'homme et sur la nature. Il en est qui voient, surtout dans l'Ane d'or, l'intention de relever les mystères du discrédit dans lequel ils étaient tombés; mais il ne paraît pas que cela puisse se concilier avec les abominations qu'il révèle. Il est vrai de dire pourtant que le onzième livre expose dans toute leur beauté les mystères d'Isis et d'Osiris; ce qui le rend d'un grand intérêt, à raison des renseignements qu'il fournit à leur sujet.

L'obscurité de l'Ane d'or le fit interpréter de cent façons diverses. Les païens virent, dans Apulée, un demi-dieu miraculeux qu'on pouvait opposer au Christ; puis, au moyen âge, on s'avisa de chercher, dans son livre, le secret de la pierre philosophale. Les métaphysiciens, de leur côté, y trouvèrent une allusion à l'avilissement produit dans l'âme par le péché, tant que la grâce ne vient pas la relever.

L'idée de ce roman est empruntée à Lucien, qui lui-même l'avait prise de Lucius de Patras; mais l'épisode de l'Amour et Psyché est nouveau, et mérite d'être compté parmi ce que l'antiquité a produit de plus parfait.

CHAPITRE XIX.

LITTÉRATURE GRECQUE.

La poésie grecque était aussi tout à fait déchue, et c'est à peine si l'on doit nommer les deux médecins Marcellus Sidétès, qui composa, au temps des Antonins, un poëme en quarante-deux chants sur la médecine (B.6λía iaтpixà), et Héliodore d'Athènes, dont Galien mentionne la Justification ('AroλUTIX). Oppien de

Cilicie composa, dans son exil, un poëme sur la pêche ('Aλieutixà), dont chaque vers lui valut une pièce d'or de la part de Sévère. Il en dédia à Caracalla un autre sur la chasse (Kuveyɛtıxà), que Scaliger traite de divin, et que le goût peut à peine considérer comme médiocre. Il en est qui croient que ces deux poëmes, du genre descriptif, le dernier de tous, sont de deux auteurs différents.

La rhétorique n'avait pas moins dégénéré dans la patrie de Démosthène, où l'amour naturel de la discussion, à défaut d'occasions d'appliquer l'éloquence aux intérêts nationaux, se donnait carrière, dans des lectures publiques, sur les places, ou dans les écoles. Au temps des Antonins, la langue grecque avait repris à Rome une telle faveur, que l'on comptait cinq rhéteurs grecs contre trois latins, et les cours de ces rhéteurs étaient nombreux. Athènes conservait l'école la plus renommée pour la rhétorique, comme Alexandrie pour les mathématiques, et Béryte pour la jurisprudence. On y exerçait les enfants, suivant l'usage du temps, sur des sujets imaginaires. Les orateurs s'en allaient de ville en ville, déclamant des choses qui, cent fois redites, paraissaient nouvelles à beaucoup de gens, par suite de la rareté des livres. Il ne se donnait pas un spectacle ou un divertissement populaire, sans qu'un orateur procurât à la multitude grecque le plaisir, qu'elle prisait extrêmement, d'entendre sa belle langue mise en œuvre avec toutes les ressources de l'art. Pour plaire à cette multitude, le bon goût fut sacrifié, et l'esprit sophistique se mit à subtiliser dans les divisions et subdivisions des discours, des matières et des arguments (1).

(1) Les discours se distinguaient en μελέτη, σύστασις, λόγος, λαλιὰ, προλαλιὰ, σχέδιον, διάλεξις, ἐπίδειξις. La mélétà était une déclamation préparée soigneusement, dans laquelle l'orateur jouait le rôle d'un personnage antique ou fabuleux, et traitait un sujet imaginaire comme s'il eût été vrai; la systasis était un petit discours de recommandation à un protecteur; le logos, tout discours, mais plus spécialement une harangue sur un sujet important; la lalia, un compliment; la prolalia, un prologue aux lectures publiques; le schédion, un discours non préparé ; la dialexis, une dissertation; l'épideixis, une composition d'apparat, prononcée dans un théâtre ou devant une assemblée solennelle. Ceux qui en trouveront le courage peuvent lire la méïétè par laquelle Lesbonax exhortait, au temps de Tibère, les Athéniens qui avaient vécu deux siècles auparavant, à se venger de Thèbes et à combattre vaillamment les Lacédémoniens; celle par laquelle un Aristide invitait fortement ces mêmes Athéniens à expédier des secours en Sicile à Nicias, ou à faire la paix avec les Spartiates après la bataille de Pylos, ou à leur venir en aide après celle de Leuctres. Puis, changeant de thème, celle où il leur conseillait de s'unir à Thèbes contre Sparte, ou plutôt de

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