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lement, mais perpétuellement; comme si le crédit du dieu avait baissé à tel point, que lui être comparé eût été une faible louange. C'est ainsi qu'en parlant de la reconstruction du Capitole, il le dit d'une telle magnificence, que Jupiter lui-même, dût-il vendre à l'encan et l'Olympe et tout l'avoir des dieux, ne pourrait ramasser la dixième partie de la dépense (1).

Il prie ailleurs Domitien de monter le plus tard possible aux lieux où l'on boit le nectar, en ajoutant que Jupiter, s'il veut jouir de sa compagnie, n'a qu'à venir prendre place à sa table (2).

Il ne paraît pas cependant que ces flatteries et d'autres pires encore vinssent en aide à la pauvreté de Martial, qui, couvert de dettes et portant un manteau râpé, s'en allait mendiant quelques sesterces. Il fut réduit à vendre les cadeaux qu'il avait reçus, pour se procurer du pain, et il fit des vers sur toutes sortes de mets, pour être invité à goûter de quelques-uns (3).

Et il lui faut pourtant, au sein de cette misère, soutenir le fardeau de la renommée! Il lui faut être non-seulement tribun honoraire, mais encore chevalier honoraire, père honoraire, sans pour cela porter les armes, sans payer le cens, et sans avoir trois enfants. Il continuera donc de chanter, de porter aux nues le moindre bien que fait Domitien, la vertu ou la qualité la plus imperceptible qu'il pourra découvrir en lui. Puis, Domitien tué, il le maudira, et louera Nerva de s'être conservé honnête homme sous un prince cruel (4); il représentera Jupiter s'étonnant des ruineux plaisirs et du luxe onéreux de ce tyran plein d'orgueil (5).

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Le même besoin de flatter produisit les obscénités dont il souilla ses vers (1) car ce n'était pas un homme seul qu'il avait à flatter, mais les mœurs dépravées de la cité entière, dort les palais et les carrefours étaient remplis de Priapes obscènes; où l'on voyait les dames romaines courir nues par les rues, lors des jeux de Flore; où les spectateurs pouvaient exiger que les actrices se dépouillassent de leurs vêtements sur la scène. Lors même que Martial aiguise contre quelqu'un la pointe de l'épigramme, il le fait toujours avec le libertinage d'expression le plus vil, le plus détestable, comme si rien alors n'eût été bon pour exciter le rire que les vices dont on aurait dû rougir.

Martial semble pourtant, de même que Stace, avoir été capable de goûter la vie domestique, et de comprendre que le bonheur ne consiste pas dans l'or et dans l'éclat. « Sais-tu quelles choses ren«dent heureux ? Une fortune acquise sans fatigue et par héritage; « un champ fertile; un foyer toujours allumé; point de procès; << un petit nombre de patrons; un esprit tranquille; des forces na«<turelles; un corps sain; une simplicité prudente; des amis assortis; « une table hospitalière; une nourriture sans art; des nuits sans «< ivresse et exemptes de soucis; une couche attrayante et pourtant pudique; un sommeil qui abrége les nuits; aimer ta position; « n'en pas ambitionner une meilleure; ne pas craindre, ne pas dé« sirer le dernier jour (2).

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Cette épigramme, qui pourtant est l'une de ses meilleures, accuse une grande pauvreté de poésie. C'est une froide énumération, dépourvue d'images. Lui-même disait de ses vers: Il y a de bonnes choses; il y en a de médiocres, et plus encore de mauvaises (3). Les louanges que lui ont prodiguées les commentateurs prouvent jusqu'à quel point on peut se passionner pour un auteur, quand on a vieilli à la tâche de lui trouver des mérites qu'il n'avait pas (4). On ne

Flammas Jupiter, et stupet superbi

Regis delicias, gravesque luxus.

Lib. XII, 15.

(1) Il s'en excuse en alléguant l'exemple de ses devanciers : Lascivam verborum veritatem, id est epigrammaton linguam, excusarem, si meum esset exemplum. Sic scribit Catullus, sic Marsus, sic Pedo, sic Getulicus. Préface du livre I.

(2) Liv. X, 47.

(3) Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt mala plura.

(4) En revanche, André Navagero brûlait chaque année, à un jour déterminé, quelques exemplaires de Martial, en holocauste au bon goût.

T. V.

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Lucain. 38-65,

rencontre jamais dans Martial un sentiment profond; et personne ne supporterait ces pointes continuelles, triviales, fades ou recherchées, sans la langue, qui le plus souvent est correcte et expressive, autant que cela se pouvait à une époque où toute inspiration spontanée était étouffée par la crainte de mettre en défiance des maîtres ombrageux, ou de déplaire à des protecteurs intolérants.

Cependant la nature des ouvrages de Martial, instantanés de pensée comme d'exécution, le sauve d'un des défauts les plus habituels chez ses contemporains, celui de n'être que de pâles reflets des écrivains du siècle d'Auguste. Sûr de son imagination, il invente des modes nouveaux et expressifs, et emploie, avec bonheur, les expressions que les étrangers introduisaient dans la langue de la ville dont les murailles s'étaient ouvertes pour eux. Il se distingua donc de ses pareils en créant une poésie, non d'érudition et de réminiscences, mais inspirée par les sensations du moment, par la vue des vices présents, poésie parlant le langage usité dans la société d'alors.

Marcus Annéus Lucanus, natif de Cordoue, fut aussi Espagnol, et, pour son malheur, neveu de Sénèque. Son éducation fut faite à Rome par ces grammairiens et ces rhéteurs chargés de pervertir tout ce qu'il pouvait y avoir dans les esprits d'heureuses dispositions. Son oncle l'introduisit à la cour, pour qu'il pût y mettre en pratique l'art de la flatterie que l'école lui avait enseigné. Sénèque l'exerçait, en outre, à composer et à faire des amplifications dénuées de pensées et de sentiments, encourageant son excessive facilité au lieu de la refréner, et le produisant dans ces cercles où l'on venait semer l'ennui, pour gagner des applaudissements. Néron, qui avait étudié avec lui la philosophie et la poésie, le fit questeur avant l'âge, puis son lieutenant, augure ensuite; mais des jalousies de métier troublèrent leur amitié. Lucain, accoutumé aux triomphes dès l'enfance, osa se faire le concurrent de Néron et se vanter de sa victoire. Néron lui défendit alors de lire à l'avenir dans les assemblées; et le poëte, irrité, se laissa entraîner par Pison dans une conspiration qui fut découverte. Lucain, arrêté, dénonça ses amis et sa propre mère; il n'en fut pas moins condamné, et abandonna en héros une vie qu'il avait cherché à conserver en lâche.

Ceux qui attribuent l'infériorité de la Pharsale au choix d'un sujet trop récent, qui interdisait la fiction, essence de la poésie, tirent des conséquences erronées de principes arbitraires. Une épopée

doit être fondée sur un fait auquel l'inspiration plus que le froid calcul ait donné naissance. La guerre entre César et Pompée était la lutte de deux systèmes politiques opposés, et il y avait là trop de spéculation pour fournir la matière d'un poëme. Lucain d'ailleurs ne comprit pas le sens de cette lutte, lui qui pense que le gain d'une bataille aurait pu amener le rétablissement de l'ancienne république, c'est-à-dire raffermir la tyrannie des patriciens sur le peuple. Or, l'homme qui, regrettant le passé, ne dirige pas vers l'avenir les forces de son esprit et l'énergie de ses sentiments, ne sera jamais poëte. Pompée ne pouvait non plus être le héros d'un poëme, c'est-à-dire un personnage populaire, lui toujours médiocre, et qui se montra inférieur à son rôle surtout dans la dernière guerre, durant laquelle il s'abandonna aux flatteries, dont il s'était laissé éblouir. César, le plus grand des Romains peut-être, était remarquablement poétique, à raison de son infatigable activité, et parce qu'il était populaire : mais Lucain le prend du mauvais côté; il défigure ses belles actions, néglige ses fautes réelles; et, voulant le dépeindre comme un ambitieux furibond qui, dans le doute, s'attache toujours au moyen le plus atroce (1), il a recours à des particularités aussi absurdes que mensongères. A Pharsale il lui fait examiner toutes les épées, pour juger, par le sang dont elles sont trempées, du courage de chaque guerrier; il le montre épiant celui qui tue avec sérénité ou avec tristesse, contemplant les cadavres amoncelés sur le champ de bataille, leur refusant les honneurs funèbres, et se faisant servir son repas sur une hauteur, pour jouir le plus possible du spectacle de ces débris humains. Parvient-il néanmoins à empêcher que César n'apparaisse comme le principal personnage de l'action? et le lecteur voit-il autre chose, en ce qui touche Pompée, que les flatteries dont le poëte le caresse du même ton dont il adulait Néron?

Son amour pour la liberté plaît; la brusque franchise de ses expressions séduit les âmes généreuses; mais si l'on va au fond, on ne trouve rien en plus de ce qu'éprouvaient tous les Romains instruits de ce temps, une horreur profonde pour les guerres civiles, née du goût pour le repos ou de l'épuisement; un regret presque religieux pour l'ancienne république, provenant, non de l'intelligence de ses institutions, mais des exercices de l'école, où des pédants proposaient

(1) Cæsar in arma furens, nullas nisi sanguine fuso

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les innocents éloges de Brutus et de Caton aux futurs ministres de Néron et de Domitien. Un pareil système d'éducation devait naturellement avoir pour fruit un poëme où l'on s'en prend aux dieux du malheur de la patrie, où les discordes civiles sont envisagées sous leur aspect le plus superficiel; c'est-à-dire, où l'on montre comment s'entre-tuent les frères, les pères et les fils; où l'on vante les vertus intempestives de Caton, qui prit aussi grande part à ces guerres, et où l'on met son jugement au-dessus de celui des dieux (1). Les dieux, à qui Rome ne croyait plus, ne pouvant jouer un rôle dans l'action, le poëte y suppléa par un surnaturel du genre le plus malheureux. Tantôt c'est la patrie qui, sous l'aspect d'une vieille femme, cherche à éloigner César du Rubicon; tantôt ce sont des magiciens qui ressuscitent des cadavres pour en tirer des oracles, ou bien ce sont des prophéties de sibylles et des présages naturels; plus souvent c'est la Fortune, considérée comme présidant en souveraine aux destinées humaines.

Celui qui a appelé ce poëme l'Ephéméride en vers de la guerre de Pharsale a dit la chose la plus éloignée du vrai, en faisant, sans s'en apercevoir, la satire des journaux. Dans Lucain en effet, comme dans ceux-ci, les petites choses sont exaltées; les grandes ne sont pas comprises, ou se trouvent dénigrées; l'attention est arrêtée sur des détails insignifiants, et détournée de ce qui est capital: le jugement cède la place au sentiment, et de grands débats se rapetissent, parce qu'on n'en montre que les accidents momentanés.

De même que l'histoire est faussée dans la Pharsale, on n'y trouve rien qui révèle le cœur humain et fasse plonger le regard dans ses mille replis. On y voit retracées des vertus inflexibles ou de monstrueuses tyrannies; non ces nuances de sentiment infinies au milieu desquelles flotte la nature humaine. C'est pourtant cette nature que le poëte doit étudier, non les préceptes dès rhéteurs, non les méthodes des déclamateurs, à l'école desquels Lucain apprit à faire ses longues descriptions, ses digressions tout à fait hors de propos, en saisissant l'occasion la plus légère. Il est vrai que c'est là seulement qu'il se montre poëte. Mais, dépourvu de jugement et de goût, il voudrait suppléer par l'érudition au manque de variété; à l'enthousiasme et à la dignité, par la pompe des maximes stoïques: souvent aussi sa pensée est à peine esquissée, ou même in

(1) Causa diis victrix placuit, sed victa Catoni.

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