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toujours tendu, et n'accorde pas au lecteur un moment de relâche (1). Quintilien s'efforça donc de ramener aux classiques, et de faire donner la préférence à la force réelle quoique sans ornements sur les fadeurs gracieuses, au langage naturel sur un style hérissé de métaphores (2).

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(1) Voici en quels termes QUINTILIEN juge Sénèque : « J'ai différé jusqu'à « présent de faire mention de Sénèque en parlant des écrivains en tout genre, « à cause de l'opinion qui s'est répandue à tort, que je le blâmais, que j'étais « même son ennemi. La cause en est aux efforts que j'ai faits pour soumettre «< à un examen sévère un genre d'éloquence nouvellement introduit, genre cor<«< rompu et infecté de tous les défauts. Sénèque était alors le seul auteur qui « fût répandu parmi les jeunes gens. Je ne voulais pas certes le leur ôter tout à « fait des mains; mais je ne pouvais souffrir qu'il fût préféré à de meilleurs, « qu'il n'avait jamais cessé de blâmer, attendu que, connaissant bien en lui« même le nouveau genre d'éloquence qu'il avait adopté, il désespérait de plaire a à ceux à qui les autres plairaient. Or les jeunes gens l'aimaient plus qu'ils ne l'imitaient, étant aussi loin de lui qu'il s'était éloigné des anciens; car il aurait « été encore à désirer qu'ils eussent pu l'égaler, ou au moins en approcher. Mais << il leur plaisait seulement par ses défauts: chacun en prenait donc suivant sa « volonté, puis on se vantait de parler comme Sénèque ; il en résultait qu'on se << perdait ainsi de réputation. Ce fut du reste un homme d'un grand mérite, d'un << esprit facile et abondant, assidu à l'étude et possédant de grandes connais« sances, bien qu'il ait été trompé quelquefois par ceux qu'il chargeait de faire « des recherches. Presque tous les genres de sciences ont été cultivés par lui, << et il nous reste des discours, des poëmes, des lettres et des dialogues de sa «< composition. On trouve chez lui d'excellents sentiments et une foule de cho«ses dignes d'être lues comme règle de mœurs. Mais son style est générale. «<ment corrompu, et d'autant plus dangereux que les défauts en sont agréa «bles. Il serait à désirer qu'il eût fait usage, en écrivant, tout à la fois de son << esprit et du jugement d'autrui. Car s'il ne se fût pas trop occupé de certaines «< choses, s'il n'eût pas été trop désireux de gloire, s'il n'eût pas aimé surtout «< ce qui venait de lui, s'il n'eût pas énervé par la recherche de l'expression les « plus nobles sentiments, il aurait pour lui l'assentiment des doctes, au lieu de << l'amour des enfants. Tel qu'il est néanmoins, il doit encore être lu par les hom« mes déjà mûrs et formés à une éloquence solide, ne fût-ce que pour habituer « à distinguer le mauvais du bon. En effet, ainsi que je l'ai dit, beaucoup de cho« ses dignes de louanges, beaucoup même dignes d'admiration, se rencontrent << dans ses ouvrages pour celui qui sait en faire le choix. Que n'a-t-il agi ainsi « lui-même ! car un esprit comme le sien, qui pouvait tout ce qu'il eût voulu, « était bien digne certainement de vouloir toujours le mieux. » Instit., X, 1. Quintilien est le modèle des critiques officieux qui ne font pas une blessure sans lui apporter en même temps un léger remède, et chez lesquels la précaution va parfois si loin qu'ils ne laissent pas bien comprendre s'ils décernent le blâme ou la louange.

(2) Si antiquum sermonem nostro comparamus, pæne jam quidquid loquimur figura est. (Inst. or., X.)

T. V.

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Que ce champion officiel du bon goût fût lui-même atteint jusqu'aux os de l'épidémie courante, il suffit, pour en être convaincu, de savoir que lui-même nous a fourni la plupart des règles que nous avons rapportées ci-dessus comme destinées à former un homme éloquent, qui, pour Quintilien, n'est après tout qu'un bon déclamateur. On dirait qu'il ne s'aperçut jamais de ce qui avait manqué à Rome après ses grands orateurs, le Forum et la liberté. Ou il ne connaît pas la sublime destination de l'éloquence, ou il la reredoute : il en résulte qu'il se perd à la regarder comme un art ingénieux et difficile, qui s'acquiert en réunissant à une disposition naturelle l'étude et la probité, et qui peut exister même dans les temps les plus malheureux, si l'on se résigne à louer.

Lui-même fut prodigue d'adulations; et bien qu'il cherchât à se faire un style riche, délicat, vigoureux, sachant combien la négligence et l'affectation font tort à un bon raisonnement (1), il ne soigna pas assez son ouvrage. Il n'y travailla guère au delà de deux ans, et ce temps il le passa plutôt à faire des recherches et à lire une foule d'auteurs, qu'à polir le style. Son intention était ensuite de revoir son livre, comme doit le faire tout écrivain après la première chaleur de la composition (2); mais les instances réitérées de son libraire l'empêchèrent de mettre en pratique cette sage résolution. Il serait bon que cet aveu, à l'aide duquel tant d'autres ont cherché depuis à pallier leurs négligences, pût modérer quelques admirateurs outrés de Quintilien, qui, non contents de voir tout parfait chez lui, regardent comme, d'infaillibles préceptes de bon goût ce que lui-même convient n'avoir pas suffisamment médité.

Il fit aussi des harangues, et défendit la reine Bérénice, qui entendit le plaidoyer de son avocat. On recueillait ses discours, et les co

(1) Plerumque nudæ illæ artes, nimia subtilitatis affectatione fran, gunt atque concidunt quidquid est in oratione generosius, et omnem succum ingenii bibunt et ossa detegunt, quæ ut esse, et astringi nervis suis debent, sic corpore operienda sunt. Promium.

(2) Quibus componendis, uti scis, paulo plus quam biennium, tot alioqui negotiis districtus, impendi : quod tempus, non tam stylo, quam inquisitioni instituti operis prope infiniti, et legendis auctoribus qui sunt innumerabiles, datum est.... Usus deinde Horatii consilio, qui in Arte poetica suadet ne præcipitetur editio, nonumque prematur in annum, dabam iis otium, ut, refrigerato inventionis amore, diligentius repetitos tamquam lector perpenderem.

pies qu'on en tirait étaient vendues au loin; mais on ne pense pas que ceux qui portent aujourd'hui son nom lui appartiennent réellement. On reconnaît, dans le passage même le plus éloquent de son livre, que lui-même s'était laissé gâter par ces thèmes artificiels où l'on exagérait le sentiment, et où l'on visait à l'effet, à l'art, non à l'expression vraie d'une affection de l'âme. La perte d'une jeune femme morte à dix-neuf ans, et celle de deux fils déjà grands, étaient à coup sûr, pour un cœur paternel et bon comme celui de Quintilien, des sujets de douleur assez puissants; il ne sait pourtant pas oublier tout à fait les artifices de l'écrivain (1), et il se livre à des plaintes vaines contre la fortune. Après avoir dit si affectueusement: Cet enfant était pour moi toutes caresses; il me préférait à sa nourrice, à son aïeule, qui présidait à son éducation, à tout ce qui plaît à cet âge, il renfonce ses larmes prètes à couler, en ajoutant que c'était un piége que lui tendait le destin pour le faire souffrir davantage (2); et il se jette dans des protestations exagérées de ne pas vouloir supporter plus longtemps la vie (3).

C'était cependant l'un des meilleurs maîtres; il réprouvait les thèses simulées, réprimait par des critiques faites à propos l'orgueil juvénile, recommandait la lecture des meilleurs auteurs, trop négligée désormais, et modérait en même temps l'idolâtrie pour les classiques, en prévenant qu'il ne faut pas répéter tout ce qui sort de leur bouche, attendu qu'ils se trompent parfois, soit qu'ils succombent sous le poids, soit qu'ils s'abandonnent à leur caprice ou se trouvent fatigués; ils sont grands, il est vrai, mais

(1) Non sum ambitiosus in malis, nec augere lacrymarum causas volo. (2) Illud vero insidiantis, quo me validius cruciaret, fortunæ fuit, ut ille mihi blandissimus, me suis nutricibus, me aviæ educanti, me omnibus qui sollicitare illas ætates solent, anteferret.

(3) Tuos ne ego, o meæ spes inanes, labentes oculos, tuum fugientem spiritum vidi? Tuum corpus frigidum exsangue complexus, animam recipere, auramque communem haurire amplius potui? Dignus his cruciatibus, quos fero, dignus his cogitationibus. Tene consulari nuper adoptione ad omnium spes honorum patris admotum; te avunculo præ· tori generum destinatum; te omnium spe attica eloquentice candidatum, superstes parens tantum ad pœnas, amisi! Et, si non cupido lucis, certè patientia vindicet te reliqua mea ætate: nam frustra mala omnia ad fortunæ crimen relegamus: nemo nisi sua culpa diu dolet.... Introd. au livre VI.

On peut comparer par opposition ROLLIN dans son Traité des études, et NISARD dans les Poëtes de la décadence.

Favorinus,

Autres orateurs.

ils sont hommes. Il insiste particulièrement sur la nécessité, pour celui qui veut être bon orateur, de se conserver honnête homme. Cette recommandation, qui de nos jours ne serait qu'un lieu commun de morale, venait grandement à propos dans un temps où les délateurs et les espions exploitaient l'éloquence, pour provoquer ou pour justifier la cruauté des gouvernants. Il faut pourtant lui savoir gré d'avoir non-seulement saisi le rapport qui existe entre la controverse dans l'école et la discussion dans le forum, mais encore de s'être exprimé autant qu'il le pouvait avec franchise et courage, sous le règne de Domitien.

Favorinus, d'Arles, eut pour maître Dion Chrysostome, et fut celui d'Aulu-Gelle et d'Hérode Atticus. Ami de Plutarque, il luttait avec lui pour le nombre de ses compositions. Il s'occupa de philosophie et d'histoire. Adrien, qui d'abord l'aima beaucoup, se dégoûta de lui ou en prit jalousie, et les magistrats d'Athènes abattirent les statues du favori disgracié. Il s'écria alors : Socrate ne s'en tira pas à si bon marché.

Nous passerons sous silence plusieurs autres rhéteurs et orateurs; nous parlerons toutefois de Cornelius Fronton, né en Numidie, qui, au dire de quelques-uns, ne le céda pas à Cicéron (1), et fut supérieur à tous les anciens pour la gravité de l'expression; mais il aurait eu besoin, pour conserver cette réputation, qu'un érudit ne vînt pas exhumer des fragments de ses écrits. Il remplit plusieurs magistratures; et si nous voulons nous en rapporter au portrait qu'il trace de lui-même, dans une de ces conjonctures où il semble que le sentiment dont on est affecté n'admet pas le mensonge (2), il

(1) EumÈne, c. 14, dit qu'il fut eloquentiæ romanæ non secundum sed alterum decus. En 1815, Maï découvrit dans la bibliothèque Ambrosienne une partie de la correspondance de Fronton avec Vérus et Marc-Aurèle, puis il trouva le reste dans celle du Vatican.

(2) Ayant perdu un petit-neveu, il épancha la douleur qu'il en ressentait dans une longue lettre à Marc-Aurèle; c'est l'une de celles qui furent découvertes par Maï Me consolatur ætas mea prope jam edita et morti proxima. Quæ cum aderit, si noctis, si lucis id tempus erit, cœlum quidem consalutabo discendens, et quæ mihi conscius sum protestabor. Nihil in longo vilæ meæ spatio a me admissum, quod dedecore, aut probro, aut flagitio foret : nullum in ætate agunda avarum, nullum perfidum facinus meum extitisse; contraque mulla liberaliler, multa amice, multa fideliter, multa constanter, sæpe etiam cum periculo capitis consulta. Cum fratre optimo concordissime vixi; quem patris vestri bonitate summos honores adeptum gaudeo, vestra vero amicitia salis quietum et mullum securum video.

mérita réellement par ses vertus d'être le maître de Marc-Aurèle. Il osa lui dire la vérité tant qu'il fut simple particulier (1); puis lorsqu'il fut devenu empereur, il lui écrivit avec l'abandon qui sied à un ancien ami, comme le méritait son sage disciple (2). Quand, devenu vieux, il eut déposé le fardeau des fonctions publiques, retenu dans sa maison par les douleurs de la goutte, il en fit le rendez-vous des gens de lettres, qu'il s'efforçait de

Honores quos ipse adeptus sum, numquam improbis rationibus concu pivi. Animo potius quam corpori juvando operam dedi. Studia doctrinæ rei familiari meæ prætuli. Pauperem me, quam ope cujusquam adjutum, postremo egere me quam poscere malui. Sumptu nunquam prodigo · fui, quæstui interdum necessario. Verum dixi sedulo, verum audivi libenter. Potius duxi negligi quam blandiri, tacere quam fingere, infrequens amicus esse, quam frequens adsentator. Pauca petii, non pauca merui. Quod cuique potui, pro copia commodavi. Merentibus promptius, immerentibus audacius opem tuli. Neque me parum gratus quispiam repertus segniorem effecil ad beneficia quæcumque possem prompte impertienda. Neque ego unquam ingratis offensior fui.

(1) Il lui disait entre autres choses: Non nunquam ego te coram paucis. simis ac familiarissimis meis gravioribus verbis absentem insectatus sum.... cum tristior quam par erat in cætu hominum progrederere, vel cum in theatro tu libros, vel in convivio lectitabas: nec ego, dum tu theatris, necdum conviviis, abstinebam. Tum igitur ego te durum et intempestivum hominem, odiosum etiam nonnunquam, ira percitus, appellabam. Lib. IV, 12.

(2) Voici trois billets choisis parmi les M. CORNELII FRONTONIS ET M. AURELII IMPERATORIS ESPISTOLÆ... FRAGMENTA FRONTONIS ET SCRIPTA GRAMMATICA (Editio prima romana... curante A. MAJO; Romæ, 1823):

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Magistro meo. - Ego dies istos tales transegi. Soror dolore muliebrium partium ita correpta est repente, ut faciem horrendam viderim : mater autem mea in ea trepidatione imprudens angulo parietis costam in. flixit: co ictu graviter et se et nos adfecit. Ipse cum cubitum irem, scorpionem in lecto offendi: occupavi tamen eum occidere priusquam supra accubarem. Tu si rectius vales, est solatium. Mater jam levior est, deis volentibus. Vale, mi optime, dulcissime magister. Domina mea te salutat.

!Domino meo. Modo mihi Victorinus indicat dominam tuam magis valuisse quam heri. Gratia leviora omnia nuntiabat. Ego te idcirco non vidi, quod ex gravedine sum imbecillus. Cras tamen mane domum ad te veniam. Eadem, si tempestivum erit, etiam dominam visitabo. Magistro meo. Caluit et hodie Faustina: et quidem id ego magis hodie videor deprehendisse. Sed, deis juvantibus, æquiorem animum mihi facit ipsa, quod se tam obtemperanter nobis accommodat. Tu, si potuisses, scilicet venisses. Quod jam potes et quod venturum promillis, delector, mi magister. Vale, mi jucundissime magister.

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