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lement le caractère et l'origine de toute maladie, mais aussi les propriétés des corps naturels et l'efficacité des remèdes. Excellent dans les généralités de la thérapeutique, il se trompe souvent dans l'application pratique, où il reste fidèle aux principes d'Hippocrate. Il marqua après lui et après Asclepiade la troisième époque de l'art de guérir, et en resta la principale autorité jusqu'au seizième siècle, quand prit naissance la médecine chimique. Vésale ajouta quelque chose à son livre de Usu partium. Il est vrai de dire que l'éclat que Galien donna à la médecine nuisit à sa simplicité; et que la nature demeura étouffée, embarrassée sous tout cet appareil de science et de dogmes.

Il acquit du crédit à Rome, où il se rendit, malgré les intrigues des médecins, qui à l'ignorance joignaient une telle envie, qu'ils empoisonnèrent par jalousie un médecin grec et deux de ses aides. Il donna ses soins à Marc-Aurèle, et l'on aime à voir quelques-unes des maladies du philosophe empereur décrites par le médecin philosophe.

Bien que plusieurs de ses ouvrages aient péri dans l'incendie de sa maison, il nous en reste quatre-vingt-deux d'une authenticité certaine; dix-huit sur lesquels il s'élève des doutes; dixneuf fragments et dix-huit commentaires sur Hippocrate, sans parler d'une cinquantaine qui sont inédits. Sa manière d'écrire est prolixé, minutieuse, pleine de répétitions, et il y perce parfois une jactance que l'on a peine à pardonner même à un si grand mérité. Il possédait plusieurs langues, entre autres celle des Perses, qu'il préférait aux autres, peut-être parce qu'il y trouvait la racine de beaucoup de mots grecs et latins dont il ne savait pas que l'origine remontait à une source commune, le sanscrit.

Outre les services qu'il rendit à la médecine et à l'anatomie, la philosophie en général lui est redevable, parce qu'il porta la lumière dans la psychologie empirique, et fonda une théorie plus exacte des sensations et des opérations animales du corps, en distinguant les nerfs des tendons, et en montrant que les premiers sans lesquels il n'y a point de sensibilité, aboutissent au cerveau. Mais les nerfs ne suffisant pas pour expliquer l'action sensitive, il introduisit, ou plutôt il établit clairement la distinction entre la vie animale et la vie intellectuelle, supposant que l'âme a son siége dans le cerveau, et que l'esprit animal, fluide très-subtil, est répandu par tout le corps, comme un organe intermédiaire entre le sentiment et

le mouvement, tandis que les forces vitales résident dans le cœur, et les forces naturelles dans le foie.

Nous avons vu plus d'une fois la médecine conduire au matérialisme, et, tout en scrutant, armée de son scalpel, la source insaisissable de la vie, refuser de croire à ce souffle inconnu qui se soustrait à toutes ses recherches, et fait que de simple machine l'assemblage des membres devient un homme. Galien, au contraire, après avoir montré l'admirable rapport de toutes les parties, s'arrête saisi d'admiration, et il s'exprime ainsi : « En me livrant « à cette démonstration, il me semble chanter un hymne à ta gloire, « toi qui nous as créés! Je t'honore mieux en révélant tes œuvies «< merveilleuses, qu'en t'offrant des hécatombes de taureaux et de « l'encens. La piété véritable consiste d'abord à me connaître moi« même, puis à manifester aux autres combien sont grandes ta bonté, ta puissance, ta sagesse : ta bonté, dans l'égale répartition « de tes dons, tout homme ayant reçu en partage les appareils se«< crets qui lui sont nécessaires; ta sagesse, dans des dons si excel«< lents; ta puissance, dans l'exécution de tes desseins (1). ›

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Il ne sut pourtant pas échapper à la contagion de son siècle; Esculape lui conseilla une saignée en songe; le même dieu le détourna de suivre les empereurs dans leur expédition. Il défendait les enchantements, et combattait le christianisme comme une absurdité. Après lui, la théosophie fit beaucoup de mal à la médecine. Elle prétendait expliquer les maladies par l'influence des démons, des éons, des puissances occultes, et les traiter à l'aide de sortiléges, en faisant porter des pierres d'Éphese où étaient inscrites les paroles mystérieuses qu'on lisait sur la statue de Diane (2), ou bien des abraxas, pierres précieuses chargées de figures égyptiennes, ou bien encore des symboles empruntés soit au culte de Zoroastre, soit à la cabale hébraïque (3).

(1) De usu partium, III, 40.

(2) Ασκι κάτασκι αϊξ τέραξ δαμναμένους αἴσιον. HESYCHIUS, Lexicon.

(3) Sérénus Sammonicus, maître de Gordien le jeune, nous a laissé un poëme sur la médecine, dans lequel il conseille l'abracadabra dans les cas de fièvre hémitritée.

Inscribas chartæ quod dicitur abracadabra
Sæpius; et subter repetas, sed detrahe summæ.
Et magis atque magis desint elementa figuris
Singula, quæ semper rapies, et cætera figes,

CHAPITRE XVIII.

LITTÉRATURE LATINE.

La littérature, si brillante du temps d'Auguste, ne déclina pas par degrés; elle tomba tout à coup. Cela prouve que l'heureux triumvir influa peu sur le siècle qui garda son nom, et sur les génies dont il fut le contemporain, non le créateur. Quand il mourut, on n'entendait plus retentir que la voix plaintive d'Ovide, que son abondance parasite, ses tournures forcées, l'abus des détails, les jeux de mots, placent aussi loin d'Horace, de Virgile et de Tibulle, qu'Euripide l'est de Sophocle (1). Après lui, la littérature fut plutôt, à vrai dire, anéantie que corrompue; car si nous exceptons Phèdre, dont l'authenticité est douteuse, il n'y a pas, durant un siècle, un seul écrivain romain. En couvrant les savants du manteau impérial, Auguste les avait habitués à considérer l'étude non comme une noble application de l'esprit et un épanchement nécessaire à des sentiments purs et élevés, mais comme une profession, un métier : aussi quand les maisons de campagne, les dons, les banquets vinrent à manquer, les Muses perdirent la voix. Il était aussi dangereux de louer Tibère que de le blâmer. Caligula jalousait chez les autres tout ce qui brillait. Claude, savant imbécile, et d'autres empereurs encore, ou soupçonneux ou fous furieux, condamnèrent soit à la mort, soit à l'exil, ceux qui les surpassaient éloquence; et ils prétendirent parfois décerner par décret le titre d'orateur. Quelques vers imprudents valurent à Ælius Saturninus d'être précipité du Capitole ; Sextus Paconianus fut étranglé en prison; M. Scaurus fut envoyé à la mort, pour une tragédie où Tibère crut se reconnaître dans le personnage d'Agamemnon; Crémutius Cordus se vit accusé d'avoir loué Brutus, et appelé Cassius le dernier des Romains (2). Pline était tellement en défiance sous le

Donec in angustum redigatur litera conum:

His lino nexis, collum redimire memento.

(1) Dans les Études de mœurs et de critique sur les poëtes latins de la décadence, par M. D. NISARD (Paris, 1834), l'auteur fait plus usage de la finesse de son goût pour attaquer ses contemporains, que pour apprécier à leur juste valeur les écrivains du temps passé.

(2) DION, LVII, 22. TACITE, Ann., VI, 39 et 9; IV, 34.

règne de Néron, qu'il se mit à écrire sur des questions de grammaire.

Sauf l'empereur, quelle source d'inspiratiou restait à la littérature romaine, qui, pleine du sentiment politique de la grandeur de la patrie, n'avait jamais puisé à cette source inépuisable de pensées, la vie du peuple? Elle dut donc se plonger dans la flatterie. Stace flatte non pas seulement Domitien, mais quiconque est riche dans Rome; Valère Maxime et Velléius Paterculus exaltent les vertus de Tibère; Quintilien, la sainteté de Domitien, et, ce qui devait coûter encore plus à son goût, son talent en fait d'éloquence; il l'appelle le plus grand des poëtes, le remerciant de la protection divine qu'il accorde aux travaux littéraires, et d'avoir banni les philosophes, qui avaient poussé l'arrogance jusqu'à se croire plus sages que l'empereur. Martial baise la poussière foulée par les pieds de Domitien, et c'est trop peu, ce lui semble, que de le mettre au rang des dieux. Juvénal flatte, Tacite flatte aussi, de même que flattaient les perroquets, saiuant, au seuil de tout noble logis, le sagacissime Claude et le clémentissime Caligula. Pline le jeune ne sait donner à Trajan que des louanges exagérées; l'autre Pline flattait Vespasien, qui peut-être agréa la dédicace de l'Histoire naturelle, parce que, appelant les citoyens à la contemplation de l'univers, elle les détournait de réfléchir sur eux-mêmes. Mais quand, sous son règne, Maternus composa une tragédie de Caton, il dut bien vite modérer des expressions qui sonnaient mal à des oreilles puissantes. Sénèque flatte Claude, et, pour inviter Néron à la clémence, il lui accorde le droit de tuer tout le monde, de tout anéantir; c'est en mettant jusqu'à un certain point sa force en opposition avec la faiblesse de l'univers, qu'il cherche à lui inspirer la pitié à l'aide de l'orgueil.

Pouvait-il en être autrement? Personne ne lisait alors en dehors de l'aristocratie; l'auteur ne pouvait donc conserver l'espoir de créer son public. L'élite de la société ne pouvait non plus acheter, comme aujourd'hui, assez d'exemplaires d'un livre pour que l'auteur y trouvât une récompense proportionnée à son mérite ou à sa réputation. Chaque personnage opulent avait des esclaves exclusivement chargés de transcrire et de relier les livres qu'il voulait avoir. La masse du peuple ne lisait que quelques ouvrages mis à sa disposition par les empereurs dans les bibliothèques ou dans les bains publics. Aussi l'écrivain qui s'applaudissait d'être lu par

tout où arrivaient des gouverneurs ou des commandants romains, se trouvait contraint de mendier son pain et une aumône près d'un patron, près de l'intendant de quelque Mécène ou du distributeur des largesses publiques (1).

D'un autre côté, quels souvenirs d'un temps plus libre, quelles traditions républicaines à réveiller chez ces étrangers accourus à Rome pour avoir part aux libéralités impériales, à ces affranchis parvenus à siéger dans le sénat à force de ramper devant leurs maîtres? Ils ne voyaient pas au delà d'un jour, et cela leur suffisait pour faire l'apothéose des maîtres du monde.

La vie publique des temps de liberté avait fait place à la tranquillité muette de la tyrannie; le jugement redoutable et sans appel des assemblées populaires avait cessé; et c'était le caprice de quelques sociétés restreintes, celui des grands près desquels les gens de lettres trouvaient accueil, qui décidait du mérite des auteurs. Auguste se moquait du style prétentieux de quelques écrivains, et des expressions surannées de Tibère; il disait à sa nièce Agrippine: Je m'étudie surtout à parler et à écrire naturellement (2); mais si l'étude des anciens ne lui plaisait pas, c'est peutêtre à raison des idées qui se trouvaient dans leurs œuvres : puis son fidèle Mécène avait un style lâche et recherché (3). Asinius

(1) Omnis in hoc gracili xeniorum turba libello
Constabit nummis quatuor emta tibi.

Quatuor est nimium; poterit constare duobus,
Et faciet lucrum bibliopola Tryphon.

Hæc licet hospitibus pro munere disticha mittas,
Si tibi tam rarus quam mihi nummus crit.

(2) SUÉTONE, Vie d'Auguste, 86.

MART. XIII, 3.

(3) Isidore nous a conservé quelques vers adressés à Horace par Mécène : Lugent, o mea vita, te smaragdus,

Beryllus quoque, Flacce; nec nitentes

Nuper, candida margarita, quæro,
Nec quos Thynica lima perpolivit
Anellos, nec jaspios lapillos.

Et SUÉTONE ceux-ci :

Ni te visceribus meis, Horati,

Jam plus diligo, tu tuum sodalem

Ninnio videas strigosiorem.

MACROBE nous a transmis un billet dans lequel Auguste se moquait de Mécène en contrefaisant son style:

Idem Augustus, quia Mæcenatem suum noverat esse stylo remisso, molli

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