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A sa mort, son parti adopte pour chef Pompée, qui sans cesse hésite, dans le péril, dans l'ambition, dans la cruauté ; tandis que César, dont la tête et le cœur possèdent tout ce qui peut contribuer au triomphe d'un parti, se met à la tête du peuple. Il est en effet vainqueur du sénat, dont les poignards peuvent seuls l'empêcher d'opérer la grande réforme qu'il médite. Les discordes assoupies se réveillent à sa chute, et l'ancienne liberté se débat contre Antoine et Auguste, qui se disputent d'abord la succession de César, puis se réconcilient dans le péril commun jusqu'à ce qu'ils en aient fini avec l'aristocratie; ils engagent alors entre eux le combat, dont Auguste sort vainqueur et maître du monde.

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De grandes qualités et une plus grande dose d'astuce lui servent, dans un espace de quarante-trois années, à accoutumer les Romains au joug, tout en conservant les formes républicaines. «< Après avoir gagné les soldats par des libéralités, le peuple en lui donnant du pain, tous par de doux loisirs, il commença à s'élever peu à peu, « à concentrer en lui les attributions du sénat, des magistrats, des << lois, sans que personne y apportât obstacle, les plus hardis étant << morts dans les combats ou dans les proscriptions. Les nobles, « d'autant plus enrichis et comblés d'honneurs qu'ils étaient plus << disposés à le servir, prospéraient par suite du régime nouveau, et « préféraient un présent certain à un passé plein de périls. Cet or<< dre de choses ne déplaisait pas aux provinces, qui, sous le gouver<< nement du sénat et du peuple, redoutaient les luttes entre les hommes puissants, l'avarice des magistrats, la débile protection des a lois, dont se jouaient la force, l'intrigue et l'argent (1). »

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Auguste, au lieu de renverser la constitution, se montra désireux de la rajeunir, mais pour en attirer à lui tous les pouvoirs. Premier citoyen (princeps), il remplit diverses magistratures temporaires; en qualité de consul et de proconsul, il devint l'arbitre du sénat et des provinces; comme censeur, il eut à veiller sur les mœurs et sur la discipline; comme souverain pontife, il dirigea les augures; comme général (imperator), il disposa des armées. Mais ce fut principalement sur l'autorité tribunitienne qu'il fonda sa domination. Ce veto que la plèbe avait obtenu après de si longs conflits rendait désormais l'empereur inviolable, lui conférait le droit d'appeler de tout décret du sénat ou du peuple, et le rendait le

(1) TACITE, Ann., I, 2.

tuteur de ce dernier. Ses successeurs jusqu'à Dioclétien comptèrent aussi de leur tribunat les années de leur règne; comme tribuns, ils eurent toujours pour but d'égaliser les droits, et d'enlever au sénat jusqu'à l'ombre d'autorité qui lui restait. La représentation du peuple se trouvant ainsi concentrée dans l'empereur (1), les deux plus fortes garanties de la liberté, l'intervention des tribuns et l'appel aux comices, se trouvaient supprimées.

L'empire ne fut donc pas une monarchie, mais une dictature prolongée : les empereurs ne gouvernant qu'en tant qu'ils réunissaient en eux toutes les fonctions des anciens magistrats, le fondement de leur autorité (leur titre lui-même l'indiquait) était la force, et la juridiction civile leur servait à couvrir l'usurpation militaire, aussi nécessaire que facile.

Il n'y avait donc pour eux ni ordre de succession, ni mode légal d'élection; ils furent des tyrans et non des rois; leur pouvoir fut immodéré, mais précaire. Des noms anciens servaient à marquer des choses nouvelles. Auguste, effrayé par la mort de César, n'osa donner à son gouvernement une forme stable ni lui fixer des limites, de peur de montrer aux Romains que son pouvoir n'en avait pas. C'est donc à lui qu'il faut imputer les abus de ses successeurs, dont les vices poussés à l'excès, ou les vertus intempestives, entraînèrent la ruine de l'empire; c'est à lui qu'il faut demander compte du despotisme militaire, la pire des tyrannies, parce qu'elle tue les passions généreuses, qui sont la vie de la société; et aussi des prétentions sans mesure des prétoriens, et des bouleversements fréquents qui, après avoir anéanti la moralité des soldats et effacé les souvenirs qui survivaient parmi le peuple, permirent enfin à Dioclétien de s'emparer du pouvoir absolu, puis à Constantin de consommer la révolution, en abolissant jusqu'aux anciennes formes et aux apparences de la liberté (2).

(1) On lit dans les Pandectes : Quod principi placuit legis habet vigorem; utpote cum lege regia, quæ de imperio ejus lata est, populus ei et in eum omne suum imperium et potestatem conferat. (Fr. I, pr. D. I, 4.). Ce passage sembla si fort, qu'on le supposa intercalé; il est cependant à remarquer qu'ici omnem potestatem ne veut pas dire que le peuple transféra tout son pouvoir à l'empereur, mais que tout le pouvoir qu'avait l'empereur lui venait du peuple.

(2) Sources anciennes :

DION CASSIUS, livres LI-LX; du LXI au LXXX, nous n'avons que le ré sumé de :

On a supposé qu'Auguste avait désigné Tibère pour son successeur, dans la pensée que la méchanceté de ce fils de Livie ferait mieux ressortir sa modération; en prévoyant combien Rome aurait à souffrir sous la lente oppression de cet homme irrésolu, défiant, dissimulé (1). Quand Tibère se fut illustré à la guerre, Auguste le détermina à répudier Vipsania Agrippine, pour épouser sa fille Julie, et lui conféra différents honneurs avec la puissance tribunitienne : il pouvait donc se flatter d'être appelé à lui succéder, quand il vit le vieil empereur reporter ses faveurs sur les fils d'Agrippa. Autant par dépit que pour ôter au timide Auguste tout soupçon jaloux, il se retira durant huit années dans l'île de Rhodes, renonçant aux chevaux, aux armes, ayant même déposé

XIPHILIN, qui va jusqu'à Alexandre Sévère. Il est aussi partisan du despotisme que

TACITE l'est de la république. Les Annales de cet historien vont de Tibère à Vespasien; mais l'on regrette la perte de deux années de Tibère, du règne entier de Caligula, des six premières années de Claude, et des derniers dix-huit mois de Néron. Son histoire n'embrasse que trois ans, de 69 à 71.

SUÉTONE, Vies des Césars, de Jules à Domitien.

VELLÉIUS PATERGULUS, pour les règnes d'Auguste et de Tibère. Adulateur fastidieux.

HERODIEN, de Commode à Gordien :

SCRIPTORES HISTORIÆ AUGUSTÆ MINORES, d'Adrien à Dioclétien.

EUTROPE, AURELIUS Victor, Sextus Rufus, nous ont laissé des abrégés d'histoire romaine.

Sources modernes :

LE NAIN DE TILLEMONT, Histoire des empereurs et des autres princes qui ont régné dans les six premiers siècles de l'Église. — L'édition augmentée, 1717. - Compilation laborieuse, qui est un trésor d'érudition.

Les jésuites CATROU et ROUILLÉ terminent leur Hist. rom. à Tibère; mais,

comme

ROLLIN et VERTOT, ils sont peu exacts dans leurs citations, et font de la rhétorique.

HOOKE, sur lequel s'appuient les auteurs anglais de l'

HISTOIRE UNIVERSELLE, vaut beaucoup mieux pour l'exactitude des citations. CREVIER, Histoire des Empereurs romains depuis Auguste jusqu'à Constantin. Continuation de Rollin, prolixe et sans critique.

MURATORI, Annali d'Italia, qui commencent avec l'ère vulgaire, et qui embrassent l'histoire universelle tant que dure l'unité de l'empire. Ouvrage aride, mais exact et précis.

Les numismates comme LE VAILLANT, COOKE, et surtout ECKEL, Doctrina Nummorum veterum.

Le bel ouvrage récent de M. CHAMPIGNY, les Césars.

(1) Miserum populum romanum; qui sub tam lentis maxillis erit.

14. 8 août.

la toge, et se tenant éloigné de la mer, afin de ne pas être vu des na. vigateurs. Là il interrogeait les devins, et les emmenait à sa demeure située au milieu des rochers, afin que, de la terrasse qui la surmontait, ils consultassent les astres sur l'avenir. Si la réponse lui paraissait suspecte, un affranchi précipitait au retour l'astrologue maladroit du haut des rochers. Un jour le Grec Thrasyle, qu'il interrogeait, lui prédit la couronne. Et que t'arrivera-t-il à toi? lui demanda Tibère. Le devin examine, pâlit, et s'écrie qu'un grand péril le menace. Alors Tibère le serre contre sa poitrine, et lui voue depuis ce moment autant d'affection que d'estime.

L'orgueil de la famille Claudia, concentré en lui tout entier, lui faisait, du fond de cette retraite, couver le trône du regard. Aussitôt que la mort des fils d'Agrippa (mort qui peut-être fut son ouvrage) lui en eut frayé le chemin, il revint à Rome. Adopté par Auguste, il se trouva, lorsqu'il eut cessé de vivre, le maître du monde à l'âge de cinquante-six ans. Bien qu'il se fût tout d'abord entouré des gardes prétoriennes, et qu'il eût écrit aux armées pour s'assurer de leur fidélité, afin de ne pas paraître ne devoir l'empire qu'aux manéges d'une femme et à la faiblesse d'un vieillard, il convoqua modestement le sénat en sa qualité de tribun. Quand il s'entendit offrir l'empire, il le refusa comme un fardeau auquel pouvait à peine suffire le divin génie d'Auguste : il en connaissait, disait-il, les périls, les difficultés, et il n'était pas convenable d'en charger un homme seul au milieu de tant de citoyens illustres. Il finit cependant par l'accepter, et malheur à ceux qui avaient pris cette comédie au sérieux !

Après s'être fait promettre par les sénateurs de l'assister en toute circonstance, il les consultait continuellement, permettait l'opposition, louait même les opposants, et les invitait à rétablir la républi- . que. Il cédait la droite aux consuls, se levait lorsqu'ils paraissaient soit au sénat, soit au théâtre; assistait aux procès, surtout lorsqu'il espérait sauver l'accusé; il ne voulut pas qu'on lui donnât le titre de seigneur, ni de père de la patrie, ni même celui de divus. Son seul devoir, disait-il, était de veiller au maintien de l'ordre, de la justice et de la paix publique. Il allégeait les impôts des villes, et écrivait aux gouverneurs des provinces qu'un bon berger tond les brebis, mais ne les écorche pas. S'occupant de réformer les mœurs, il fit fermer les innombrables tavernes, remit en vigueur la loi qui conférait aux pères le droit de punir la mauvaise conduite de leurs filles, même mariées; défendit en public le baiser de salut; interdit

aux sénateurs de se mêler aux pantomimes, et aux chevaliers d'accompagner publiquement les comédiens. Afin d'opposer un contraste à la prodigalité des banquets, il faisait servir sur sa table ce qui restait du jour précédent, disant que la partie n'avait pas moins de saveur que le tout. Des satires couraient-elles contre lui? il disait que dans un État libre la pensée et la parole devaient l'être aussi. Comme on voulait dans le sénat intenter des poursuites contre les diffamateurs, il répondit: Il ne nous reste pas de temps à donner à de telles affaires. Si vous ouvrez une fois la porte aux délateurs, vous n'avez plus à vous occuper que de leurs accusations, et, sous le prétexte de me défendre, chacun vous apportera sa propre injure à venger.

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Mais, quelque habile qu'il fût à feindre et à dissimuler, il ne sut jamais montrer une bienveillance gracieuse. Au lieu d'imiter les largesses et l'affabilité d'Auguste, il les désapprouvait. Il ne donna que peu de spectacles au peuple, et ne fit point de libéralités aux soldats. Il ne paya pas même les legs faits par son prédécesseur, disant Je tiens le loup par les oreilles. Il fit même égorger un des légataires, qui par plaisanterie avait dit tout bas à un mort d'apprendre à Auguste que sa dernière volonté n'était pas encore exécutée. Tibère lui paya d'abord ce qui lui revenait, puis le livra aux bourreaux en lui disant: Tu apporteras à Auguste des nouvelles plus fraiches et plus vraies. Il défendit qu'on élevât des autels à sa mère, et qu'on lui accordât des licteurs ou d'autres prérogatives: ainsi Livie ne recueillit pour fruit de tant d'intrigues et de méfaits que le regret amer d'avoir mis sur le trône un ingrat. Il supprima à Julie sa femme, dont Auguste avait adouci l'exil, subi depuis quinze ans, la modique pension que lui avait assignée son père, ce qui la réduisit à mourir de faim; et le fer trancha les jours de Sempronius Gracchus, son ancien amant.

Le caractère féroce de Tibère commençait donc à se révéler; et bientôt on le vit se livrer à une cruauté calculée, implacable, railleuse. Il lui fallait, pour s'affermir au pouvoir, se débarrasser de tous ceux qui auraient pu y prétendre, et faire disparaître les débris des formes républicaines. Agrippa, petit-fils d'Auguste, qui pouvait faire valoir quelques droits à l'empire, fut tué. Le peuple idolâtrait dans Germanicus le futur restaurateur de la république; l'armée de Germanie et de Pannonie, habituée à vaincre sous ses ordres, lui offrit l'empire, qu'il refusa. Une sédition violente éclata au milieu

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