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nuons à l'envisager comme l'un des moralistes les plus pratiques de l'antiquité, en choisissant au besoin quelques-unes de ses maximes, des meilleures à notre avis.

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Ne faites aucun cas de ces censeurs incommodes de la vie des << autres, ennemis de leur propre conduite, sorte de pédagogues publics; et n'hésitez pas à être plutôt homme de bien qu'à passer « pour tel (1). Nul n'est bon par accident : la vertu veat être apprise; elle est difficile à acquérir, tandis que les vices s'appren« nent sans maître (2). L'âme libre et droite est celle qui se soumet « les choses, et ne se soumet à aucune (3). Celui qui ne sait pas vivre << avec lui-même cherche la foule des hommes et des choses. A « quoi bon prévoir les maux? Beaucoup de disgrâces imprévues « nous arrivent; beaucoup qui ne sont pas attendues ne se présen<< teront pas. Quand même elles doivent arriver, que sert d'aller au« devant de la douleur? Tu souffriras assez quand elle viendra; « en attendant, promets-toi ce qu'il y a de mieux. Parmi les au<< tres maux de la sottise est celui-ci, qu'elle en est toujours à son « commencement (4). Une grande partie de la liberté est la bonne « éducation du ventre (5). Ne dis la vérité qu'à celui qui t'écoutera. « Je n'ai jamais visé à plaire au peuple, attendu que les choses que je sais ne sont pas approuvées par le peuple, et que je ne sais pas «< celles que le peuple approuve (6). J'en ai vu beaucoup mépriser la « vie, mais j'ai plus d'estime pour ceux qui arrivent à la mort sans << haine de la vie (7). Si tu crois ta femme fidèle, tu la rendras telle; « car beaucoup ont appris aux leurs à les tromper, par la seule « crainte qu'ils avaient d'être trompés; et en les soupçonnant ils « leur ont donné le droit de faillir (8). Celui qui est ami de soi-même « est ami de tous (9). Pour beaucoup, l'acquisition des richesses ne

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(1) Déjà Socrate avait dit : Συντομωτάτη τε καὶ ἀσφαλεστάτη καὶ καλλίστη ὁδὸς, ὦ Κριτόβουλε, ὅτι ἂν βούλῃ δοκεῖν ἀγαθὸς εἶναι, τοῦτο καὶ γενέσθαι ἀγαθὸν πειρᾶσθαι. ΧΕΝΟΡΗ., Mem., II.

HORACE avait écrit ce vers élégant, Ep. 16, l. I :

Tu recte vivis si curas esse quod audis.

(2) Ep. 123. Q. N., præf.

(3) Ep. 124.

(4) Ep. 13.

(5) Ep. 123.

(6) Ep. 29.

(7) Ep. 30.
(8) Ep. 3.
(9) Ep. 6.

« fut pas le terme de leurs misères, mais un changement (1).

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Regarde avec qui tu manges et bois, plutôt que ce que tu man<< ges et bois. Une petite dette constitue un débiteur, une grosse «< fait un ennemi. Qu'est-ce que la sagesse? Vouloir et repous<< ser sans cesse les mêmes choses (2). Peu de gens se dirigent << par la réflexion; la plupart, comme ceux qui nagent sur les fleuves, ne vont pas, mais sont portés. Ce n'est pas seulement « aux hommes qu'il faut lever leur masque, mais encore aux cho« ses, et leur rendre leur aspect propre (3).

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CHAPITRE XVII.

SCIENCES.

Sénèque mérite aussi l'attention sous le rapport de la science. En effet, bien que ses Questions naturelles soient un amas confus et indigeste, et une exposition verbeuse de connaissances empiriques, sans point d'appui dans les sciences exactes, c'est le seul livre qui nous atteste que les Romains se soient occupés de physique; car ce que nous en trouvons dans le poëme de Lucrèce, dans Cicéron, dans la compilation de Pline, est un emprunt, non un examen. Le livre de Sénèque marque jusqu'où les anciens poussèrent cette science. Aussi cette œuvre sans valeur réelle resta en Europe durant plusieurs siècles ce que furent parmi les Grecs les ouvrages d'Aristote, le répertoire des connaissances physiques.

Nous y trouvons mentionné le grossissement que produisent à l'œil les globes de verre par réfraction (4), et les miroirs par réflexion. Il y est parlé des couleurs de l'arc-en-ciel formées artificiellement par un verre prismatique ou taillé à facettes (5); de la diminution de la chaleur dans les régions élevées de l'atmosphère (6); de la forma

(1) Ep. 17.

(2) Ep. 19, 20.

(3) Ep. 23. 24.

(4) Literæ, quamvis minutæ et obscuræ, per vitream pilam aqua plenam majores clarioresque cernuntur. N. Q., lib. I, 6.

(5) Virgula solet fieri vitrea, stricta, vel pluribus angulis..... Hæc si ex transverso solem accipit, colorem talem, qualis in arcu videri solet, reddet. I, 7.

(6) IV, 11.

tion des îles par l'action volcanique (1); des différentes couleurs des étoiles, des planètes, des comètes (2). Ces dernières sont considérées par Sénèque comme des astres au cours régulier, et visibles seulement lorsqu'elles passent dans le voisinage de la terre (3). II signale même une différence de densité entre le corps et la queue (4). Il paraît avoir connu la pesanteur de l'air (5) et le refroidissement produit par l'évaporation (6), et il attribue les tremblements de terre à des feux souterrains qui viennent à s'allumer (7). En rapportant une opinion d'Empédocle sur les eaux thermales, il propose d'échauffer les appartements au moyen de courants d'eau chaude : il explique de quelle manière l'eau de la mer, en s'infiltrant par les pores de la terre s'adoucit et forme les sources; elle pénètre, dit-il, à travers la terre comme le sang dans les veines; d'où semblerait résulter une allusion à la circulation du sang (8). Le Latin le plus illustre dans les sciences fut C. Plinius Secundus, de Côme, l'un des hommes les plus laborieux, mais dont il ne nous est parvenu, parmi beaucoup d'écrits, que l'Histoire naturelle. C'est une encyclopédie dans laquelle il a exposé, en trente-sept livres, les découvertes, les arts, les erreurs de l'esprit humain, en cherchant parfois l'occasion de tracer la description des corps.

(1) VI, 21.

(2) I, 1.

(3) VII, 17.

(4) Per stellas ulteriora non cernimus, per cometam aciem transmittimus.

(5) Ex his gravitas aeris fit; V, 5.— Eo enim crassior aer est, quo terris propior; VII, 22.

(6) Pourvu qu'au lieu de lire trahit saporem evaporatio, on lise trahit ca. lorem evaporatio, III, 24.

Voyez LIBRI, Hist. des sciences, etc., I.

(7) VI, 4-31.

(8) Placet natura regi terram, et quidem ad nostrorum corporum exemplar, in quibus et venæ sunt et arteriæ; illæ sanguinis, hæ spiritus receptacula. In terra quoque sunt alia itinera, per quæ aqua, et alia per quæ spiritus currit; adeoque illam ad SIMILITUDINEM HUMANORUM COR. PORUM natura formavit, ut majores nostri aquarum appelaverint venas. Quæst. nat., III, 15. — Nous citerons encore un passage de la Kabbale, que l'on croit des plus anciens : Sicut sanguis manat per anastomoses venarum, modo in unam, modo in alteram', modo huc, modo illuc, ex loco hoc in locum alium, et isti sinus corporis rigant se invicem, et illuminant se invicem, donec illuminentur omnes mundi, et benedictionem accipiant propter il· los. Dans l'Idra Rabba, t. II. p. 509 du recueil de KNORRIUS, Kabbala denudata.

Pline.

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Après avoir donné dans le premier livre un sommaire des matiè res et des auteurs dont il parle, il traite dans le second du monde, des éléments et des météores. Suivent quatre livres de géographie; le septième est consacré aux diverses races, aux caractères de l'espèce humaine et aux découvertes principales. Les quatre suivants ont pour objet les animaux, rangés par classes, selon leur grosseur et leur importance: il discute sur leurs habitudes, sur leurs qualités bonnes ou mauvaises, et sur leurs propriétés les moins communes. La botanique est traitée avec étendue; elle comprend dix livres, dans lesquels il décrit les plantes; il parle de leur culture, et de leurs usages dans l'économie domestique et dans les arts puis dans cinq autres il énumère les remèdes tirés des animaux. Il emploie encore cinq livres à parler des métaux, de la manière de les extraire, et de les faire servir aux besoins les plus ordinaires et au luxe. Il prend de là occasion de s'occuper de la sculpture, de la peinture et des principaux artistes: ainsi, à propos du cuivre, il passe aux statues de bronze les plus remarquables; les matières colorantes l'amènent à parler des tableaux, etc. En somme, l'ouvrage, dans son ensemble, offre une distribution capricieuse et mal digérée.

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Il ne faut pas voir dans Pline un naturaliste qui recueille, observe, expérimente, pour ajouter au trésor des connaissances acquises; mais bien un érudit dérobant quelques heures aux occupations de la guerre et de la magistrature, pour feuilleter des livres. Tandis qu'il dîne, il a des esclaves qui lisent; il en a à cet effet lorsqu'il est en voyage. D'autres prennent note de tout ce qu'il indique, et l'aident dans la rédaction d'un travail très-utile en son temps, parce qu'il épargnait la difficulté de lectures immenses; précieux pour le nôtre, puisque des deux mille ouvrages où Pline a puisé, presque tous ont péri.

Loin d'égaler un Buffon, un Cuvier, il reste bien au-dessous même de Théophraste (1). Compilateur sans génie ni critique, il lit à la hâte, n'entend pas ou rapporte mal les passages, ou les explique selon ses préventions personnelles, et de la manière qu'il croit convenir le mieux aux réflexions ou aux déclamations d'une philosophie atrabilaire, accusant sans cesse l'homme, la nature, les dieux. Songeant plus à exciter la curiosité qu'à découvrir la vérité, visant à l'élégance plus qu'à la précision, il dirige son choix de pré

(1) Cuvier le juge avec plus de justice et moins de rhétorique que ne l'a fait

Buffon.

férence sur ce qui a un air de singularité et de bizarrerie; il accepte des absurdités déjà réfutées par le grand Stagirite, et copie avec assez peu de discernement pour ne pas distinguer la diversité des mesures de longueur, pour mettre ensemble des faits contradictoires, et tâtonner entre des systèmes disparates, opposés même.

Avec tant de conquêtes, les Romains auraient pu enrichir extrêmement l'histoire naturelle; mais, bien que nous trouvions quelques collections mentionnées, elles n'étaient ni faites avec soin ni dirigées vers un but scientifique. Les archives du palais contenaient les relations géographiques des généraux, qui eussent été une mine féconde de documents pour quiconque y eût fouillé; mais Pline ne paraît pas même avoir connu leur existence. Son mérite provient donc principalement de la perte des ouvrages dont il s'est servi; et en effet, sans son indigeste compilation, une grande partie de l'antiquité demeurerait pour nous un mystère, et la langue latine posséderait un trésor de moins.

Il faut être reconnaissant envers lui; et maintenant que ses erreurs en fait de médecine et de beaux-arts ont été relevées, il mérite que quelqu'un entreprenne l'immense travail de corriger dans son entier le texte de son ouvrage.

Énergique et précis dans son style, il est loin de la manière simple et correcte des contemporains de César; il donne souvent dans l'affectation et l'obscurité. Animé qu'il était, comme Thraséas, Helvidius et quelques autres hommes distingués, de l'esprit de l'ancienne république, il puise parfois dans ses opinions de la chaleur et même de l'éloquence; mais le mauvais goût et l'emphase de ses expressions font tort à la vigueur et à l'élévation de sa pensée. Il ne sait jamais, dans la contemplation des choses naturelles, entrevoir une idée supérieure; il trouve qu'il n'est d'aucun intérêt de scruter ce qui est au-dessus de la nature (1); ou il nie tout à fait Dieu, ou il le confond avec le monde, et se raille de la Providence (2). Le scepticisme désolant dans lequel il tombe lui fait considérer l'homme comme l'être le plus malheureux et le plus orgueilleux (3); il insulte la Divinité, qui ne peut accorder à

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(1) Mundi extera indagare non interest hominis, nec capit humanæ conjectura mentis.

(2) Voy. III, 7; VIII, 55.

(3) Solum certum nihil esse certi, et homine nihil miserius aut su perbius. II, 7.

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