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plus; et les miracles que nous verrons rapportés par Apulée et par Apollonius de Tyane nous révéleront jusqu'à quel point les esprits, et non pas les plus vulgaires, allaient s'égarant dans les ténè. bres, sous l'influence de pareilles opinions.

Les riches, dont l'ambition ne pouvait plus s'exercer dans les magistratures, craignant de porter ombrage au monarque, redoublaient les prodigalités du luxe privé, s'enivrant de jouissances, comme des gens qui cherchent à oublier le glaive qu'un fil tient suspendu sur leur tête.

Les récits touchant les richesses et le luxe d'alors ressemblent à des contes orientaux. L'encens de l'Arabie suffisait à peine aux apothéoses des empereurs. Néron consomma en largesses quatre mille millions de sesterces (735,239,200 fr.); et Caligula, deux mille sept cents millions (525,000,000 fr.); Domitien, douze mille talents (66,000,000 fr.) rien que pour la dorure du Capitole (1). Adrien fit don au peuple, en l'honneur de sa belle-mère et de son prédécesseur, d'une quantité incroyable d'aromates, et fit couler des baumes dans les théâtres et dans les jardins. Héliogabale nageait dans des piscines où l'eau était mélangée d'essences, et prodiguait le nard à pleines chaudières (2). Il n'était pas jusqu'aux gens de guerre qui, aux jours solennels, n'oignissent les bannières et les aigles, et ne se parfumassent eux-mêmes d'aromates précieux. Pline va jusqu'à dire que les Romains étaient inondés d'onguents au dedans et au dehors, et qu'une femme, dont les émanations embaumées provoquaient en passant ceux qui étaient occupés de tout autre chose, était sûre d'être vantée (3).

Dans les raffineries d'encens, à Alexandrie, on mettait un masque sur le visage des ouvriers qui y étaient employés, et on les faisait sortir nus des ateliers, afin qu'il n'en fût pas distrait une parcelle (4).

PLINE, XI, 39, 95: Fabulosum arbitror de strigibus ubera eas infantium labris immulgere.

APULÉE, 5. Metam: Scelestarum strigarum nequitia.

PÉTRONE, Frag. 63: Cum puerum mater misella plangeret subito strigæ cœperunt, etc... Jam strigæ puerum involaverunt, et supposuerunt stramenticium.

(1) SUÉTONE. Dion dit trois mille trois cents millions.

(2) LAMPRIDE, dans la vie de ce prince; XIX, 24.

(3) Hist. naturelle, XIII.

(4) Id.,

XIV.

Pline a inséré dans son Histoire naturelle un traité des pierres précieuses, tiré d'un travail rédigé par Mécène sur ce sujet, et qui prouve combien les anciens avaient poussé plus loin que nous ce genre de luxe. Sauf celui du milieu, tous les doigts de la main étaient chargés d'anneaux (1). Les coupes étaient en pierres précieuses, et l'on estimait particulièrement les vases murrhins, qui venaient de la Caramanie ou de l'intérieur de la Parthiène, et dont la fragilité offrait le plaisir piquant de voir continuellement un trésor en danger. Un personnage consulaire paya un vase de cette espèce soixante-dix talents; Néron, quarante millions de sesterces. Pétrone, le ministre de ses plaisirs, possédait une coupe murrhine du prix de trois cents talents; et, avant de mourir, il la brisa pour qu'elle ne revînt pas à Néron, qu'il avait pris en haine (2).

Les perles étaient très-estimées; et les femmes s'en paraient, ou plutôt s'en chargeaient la tête, le cou, la poitrine, les bras; elles en mettaient jusque sur leur chaussure. Caligula s'en montrait couvert et en ornait la proue des navires, comme Néron lés lits destinés à ses débauches. Elles se payaient pourtant le triple de l'or, sur les côtes du golfe Persique et de la Taprobane (3).

La soie s'achetait au poids de l'or. Aussi, quand César fit couvrir son théâtre d'une tente de cette étoffe, les soldats murmurèrent, comme s'il eût épuisé le trésor. On reprocha à Claude d'avoir couronné sous un pavillon de soie les deux rois de l'Asie dont nous avons parlé (4); l'usage de la soie s'étendit cependant, bien que Alexandre Sévère et Aurélien tentassent d'y apporter quelquè mésure. On la tirait de la Perse.

(1) Sardonycas, smaragdos, adamantas, jaspidas uno

Portat in articulo.

MART. V, 11.

Digitus medius excipitur : cæteri omnes onerantur atque etiam privatim articuli. PLINE, Hist. nat., XXXVII.

(2) Quelle était la matière de ces vases murrhins, si estimés des anciens? Mercato et Baronius ont dit de benjoin; Paulmier de Grentemesnil, d'argile pétrie avec de la myrrhe; Cardan, Scaliger, Mercuriale, de porcelaine; Bélon, de coquilles; Guibert, d'onyx ; d'autres, de substances différentes. Le Blond, dans les Mém. de l'Acad. des inscriptions, tóm. XLIII, démontre qu'aucun d'eux n'a deviné, et invite à faire de nouvelles recherches. Nous ne sachions pas qu'elles aient encore produit de résultat.

(3) Margaritas quæ contra triplum aurum òbrizum, atque id quidem in India effossum, veneunt.

(4) DION CASSIUS, XLIII, LIX.

cus.

La Babylonie envoyait ses tapis aux mille couleurs; un empereur en acheta un au prix de quatre millions de sesterces (1) : il faut dire que le sévère Caton d'Utique en avait déjà possédé un qui en valait huit cent mille (163,667 fr.). Les toiles de l'Inde étaient aussi très-recherchées, mais moins que son ivoire et celui de l'Éthiopie et de la Troglodytide, dont on ornait les temples, les chaises curules des magistrats, les meubles et les plafonds des riches; la consommation s'en accrut au point qu'on l'épuisa, et que, pour y suppléer, on dut scier les os d'éléphant. L'ébène et le cèdre d'Afrique n'étaient pas moins estimés. On tirait des mers du Nord l'ambre jaune, dont on portait sur soi de petites figures qui coûtaient plus cher qu'un homme vivant (2). Des vaisseaux égyptiens partaient du port de Bérénice pour aller chercher des tortues le long des côtes d'Afrique; mais l'écaille dorée de celles de l'Océanitide, île située à l'embouchure du Gange, était la plus estimée. On amenait de l'Inde même et de l'Afrique les bêtes féroces destinées à donner au peuple, contraint à la paix par les circonstances, des spectacles sanglants.

Chaque province envoyait de plus à Rome tout ce qu'elle produisait de meilleur : l'Égypte, du'papyrus, du verre, du lin; l'Afrique, des fruits; la Mésopotamie, des tapis; l'Espagne, des laines fines, du miel et de la cire; la Gaule, des draps, du bétail, de l'huile, des ouvrages de cuivre, de fer, de plomb, d'étain; le Pont, des cuirs et du poisson salé; la Bretagne, de l'étain; la Grèce, des travaux d'art et de fins tissus.

A peine peut-on croire à la prodigieuse richesse de certains particuliers. L'aïeul de Lollia Paulina, la victime d'Agrippine, avait si bien exploité l'Asie en qualité de gouverneur, que celle-ci put se montrer, dans un banquet, portant sur elle pour une valeur de quaHérode Alti- rante millions de sesterces en bijoux (7,352,000 fr.). Hérode Atticus est cité parmi les citoyens les plus fastueux de cette époque. Son père, nommé Julius, d'une famille pauvre, et qui n'était rien moins qu'illustre, ayant trouvé un trésor immense dans un vieux logis qu'il possédait, l'empereur Nerva, auquel il en donna avis, lui dit d'en faire ce qu'il voudrait, et lui accorda remise de la part due au fisc d'après la loi. Comme il répondait qu'il craignait de

(1) PLINE, Hist. nat., VIII, 48.

(2) Toxatio in deliciis tanta, ut hominis quamvis parva effigies vivorum hominum vigentiumque pretia superet. PLINE, Hist. nat., XXXVII.

l'employer mal, l'empereur, plus généreux que prudent, reprit : Uses-en el abuses-en comme il te plaira.

Son fils Hérode hérita donc d'un immense patrimoine, à la charge de payer tous les ans à chaque citoyen d'Athènes une mine (87 fr.); obligation dont il se racheta en payant en une fois le total de cinq années, ce qui dépasserait vingt-deux millions. Élevé par les maîtres les plus habiles de la Grèce et de l'Asie, il acquit une grande réputation comme orateur; il obtint le consulat à Rome, et la préfecture des villes libres de l'Asie. Dans ce poste, il lui fut alloué par Adrien trois cents myriades de drachmes (2,700,000 fr.) pour amener de l'eau aux habitants de la Troade; mais comme la dépense devait s'élever au double, ce qui faisait murmurer les employés du trésor, Atticus fit poursuivre et achever les travaux, en suppléant de ses deniers à ce qui manquait.

Une fois retiré des affaires, il passait ses jours tantôt à Athènes, tantôt aux alentours, discutant avec les sophistes, qui se laissaient vaincre volontiers par un adversaire si généreux, et dépensant énormément en travaux d'utilité publique. Élu président des jeux dans la ville, il fit construire en quatre ans un stade de six cents pieds de long, tout en marbre blanc, pouvant contenir la population entière. Il consacra à la mémoire de Régilla', sa femme, un théâtre qui n'avait point son pareil, sans qu'il y entrât d'autre bois que du cèdre sculpté. Il rendit son ancienne magnificence à l'Odéon (1), que Périclès avait fait édifier avec les antennes des vaisseaux perses; il embellit le temple de Neptune sur l'Isthme, qu'il se proposait de couper; il donna un théâtre à Corinthe, un stade à Delphes, des bains aux Thermopyles, un aqueduc à Canusium en Italie. Nous ne parlons pas ici des travaux moins importants exécutés à ses frais dans la Thessalie, l'Épire, l'Eubée, la Béotie, le Péloponnèse, et de ses libéralités envers les villes qui le choisissaient pour leur patron.

Voilà ce que faisait un simple particulier; et, bien qu'il ne puisse servir de terme de comparaison pour les autres, il peut au moins donner une idée du luxe étalé par ces citoyens opulents, auxquels le monde entier fournissait son tribut de jouissances et de splen

(1) L'Odéon servait à représenter les comédies et les tragédies nouvelles, sans musique ni décorations : aucune ne pouvant être produite sur le théâtre, si elle n'avait été d'abord approuvée à l'Odéon par des juges spéciaux. Voy. MARTINI, Sugli Odeoni degli Antichi, Leipsick, 1767.

deurs. Une fois la domination des empereurs sûrement affermie, les sujets, désespérant de recouvrer leur indépendance, s'étudiaient à embellir leur servitude de tous les plaisirs compatibles avec la Edifices. tranquillité du prince. Des édifices s'élevaient donc de toutes parts, et leurs débris font encore aujourd'hui notre étonnement; ceux-ci étaient l'ouvrage des Césars, ceux-là des magistrats, d'autres des communes et aussi des particuliers. Nous avons mentionné successivement les premiers. A peine Rome eut-elle érigé le Colysée, que Vérone et Capoue voulurent avoir des cirques qui pussent rivaliser avec lui; quelques communes lusitaniennes jetèrent l'admirable pont d'Alcantara. Pline trouva les villes de la Bithynie bâtissant à l'envi l'une de l'autre; à Nicomédie, on terminait une nouvelle place, un aqueduc et un canal; à Nicée, un gymnase et un théâtre; à Claudiopolis et à Prusia, des thermes; et à Synope, un aqueduc de quinze milles. On apportait surtout un grand zèle dans la construction des aqueducs, à l'aide desquels prospéraient des populations nombreuses, dans des lieux que l'incurie des Barbaresques laisse envahir aujourd'hui par les sables de la Libye: ceux de Spolète, de Metz, de Ségovie, annonceraient plutôt de vastes capitales que des villes de province. A Nîmes, à Arles, à Narbonne, près du Gard, on voit encore debout des monuments remarquables. Que devaient être Antioche, Alexandrie, Césarée, où étaient renfermées des nations entières? Afin sans doute que nous pussions nous en former une idée, deux villes se sont conservées entières sous les cendres et les laves, d'où elles sortent à cette heure, en nous révélant toute la magnificence de cette époque (1).

Que l'admiration ne nous fasse pas oublier néanmoins que les constructions des empereurs étaient une charge pesante pour leurs sujets, contraints à les exécuter de leurs propres bras. Vespasien cependant, qui entreprit dans tout l'empire tant et de si grands travaux, «< les conduisit à fin sans molester les cultivateurs (2); » ce dont on lui fit un mérite, tandis qu'on reproche à Dioclétien « son insa<< tiable manie de bâtir, ce qui faisait que la mise en réquisition << des ouvriers, des manœuvres, des chariots nécessaires pour ces « constructions, n'était pas moins onéreuse que la perception des « impôts (3). »

(1) Voy. ci-après, chap. XXXIII.

(2) AURELIUS VICTOR, de Cæsar., c. 9.

(3) LACTANCE, de Mort. persec., § 7.

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