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ment du pays, à quelque distance qu'ils soient, étant entièrement inconnu, non-seulement dans la pratique, mais même dans les utopies philosophiques, ce nombre immense de citoyens appelés à concourir aux comices n'aurait fourni que des instruments de corruption et de tumulte.

Il ne restait, en conséquence, qu'à modérer l'autorité des empereurs; mais comment y parvenir quand ni les nobles, ni les communes, ni le sacerdoce, n'étaient constitués en corps capable de lui opposer un contre-poids? La loi royale mettait l'empereur au-dessus de toutes les lois; les emplois étaient conférés par lui; l'armée dépendait de sa volonté; il pouvait, en vertu de l'autorité tribunitienne dont il était investi, annuler tout ce qu'auraient décrété le peuple ou le sénat : cette autorité rendait sa personne sacrée ; d'où résultait que la moindre résistance était un acte de rébellion et d'impiété, susceptible d'être puni comme un attentat à la sûreté publique.

Il eût peut-être été possible de limiter la puissance impériale après le meurtre d'un tyran; et le sénat l'essaya après la mort de Caligula; mais quand le peuple l'eût souffert, il y avait encore un pouvoir de fait, pouvoir vivace et prépondérant, l'armée. Elle voulait, avant tout, les largesses d'usage: si l'on tardait à élire le successeur à l'empire, elle le proclamait elle-même; et celui-là aurait été bien mal venu près d'elle, qui aurait prétendu modérer l'autorité absolue d'un empereur, et lui enlever ainsi les moyens d'être à son égard aussi libéral qu'elle le désirait, que même elle l'exigeait,

C'était en effet afin que la force militaire fût incarnée dans l'État, Prétoriens. qu'Auguste avait créé les gardes prétoriennes, c'est-à-dire une armée en permanence cantonnée, contrairement à l'ancienne cons→ titution, au cœur de l'Italie. Tibère, sous prétexte d'affranchir les villes de l'incommodité du logement militaire, et de maintenir la discipline, établit les dix cohortes des prétoriens sur les monts Quirinal et Viminal, dans un camp bien fortifié qui menaçait Rome. Vitellius porta le nombre des prétoriens à seize mille, ce qui suffisait bien pour tenir en respect un million d'hommes sans armes. Mais ces soldats, corrompus dans les loisirs d'une ville opulente, voyant de près les vices du souverain et la faiblesse du gouvernement, comprirent que rien ne pouvait leur résister; et ils en vinrent à donner ou à ôter, à leur gré, l'empire, sans autre motif souvent que l'espoir de nouvelles largesses. Les empereurs les ména

Armée.

geaient par prudence, fermaient les yeux sur leur indiscipline, achetaient leur faveur et le vote qu'ils se prétendaient en droit de donner comme représentant le peuple, dont ils étaient l'élite. Les capitaines de ces gardes étaient appelés à prononcer comme juges sur les crimes d'État (1); ce qui fit qu'ils surpassèrent en puissance les consuls eux-mêmes, et contribuèrent à anéantir le pouvoir du sénat. Le despotisme se consolida encore quand Commode ajouta au commandement militaire du préfet du prétoire une autorité civile, comme ministre d'État, président du conseil du prince. Alors cette dignité devint la première de l'empire; et Ulpien, Papirius, Paul, Modestinus et autres jurisconsultes célèbres furent glorieux d'en être investis.

Quand elles s'aperçurent que l'autorité suprême appartenait désormais aux plus forts, les légions des provinces s'arrogèrent aussi le droit de saluer empereur celui qu'elles voulaient soutenir de leur épée. Après l'époque dont nous venons de parler surtout, les princes dont elles faisaient choix étant le plus souvent étrangers, souvent en lutte l'un contre l'autre, et, comme élus parmi les soldats, obligés de vivre dans les camps, l'empire prit tout à fait l'aspect militaire; et l'empereur ne fut plus le premier magistrat de Rome, mais le général de l'armée, occupé uniquement à la satisfaire ou à la refréner. Mais comme l'agrandissement de l'empire imposait la nécessité d'entretenir plusieurs armées, la jalousie faisait que l'une se déclarait contre l'empereur élu par l'autre; et le roseau sur lequel s'étaient appuyés les Césars les blessait, en se brisant dans leurs mains.

L'armée était en outre, et dans la forme et dans le fond, toute différente de celle qui vainquit le monde. Nous avons fait connaître ailleurs la composition des légions, avec leur masse compacte, leur forte armure et leur inévitable javelot. A cette heure, la jeune noblesse de Rome et de l'Italie ne s'ouvrait plus, en servant dans la cavalerie, la carrière des magistratures publiques, mais en administrant la justice et les revenus de l'État s'il arrivait qu'elle prît le parti des armes, ce n'était pas par le mérite ou par l'ancienneté qu'elle obtenait le commandement d'un escadron ou d'une cohorte, mais à prix d'argent ou en considération d'un sang illustre. Trajan et Adrien, qui donnèrent à l'armée l'organisation

(1) LAMPRIDE, Vie d'Alexandre, p. 12.

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qu'elle conserva jusqu'à la fin de l'empire (1), recrutèrent dans les provinces, et même parmi les sujets, la cavalerie de même que les légionnaires.

Certains pays étaient tenus de fournir des troupes auxiliaires que l'on exerçait à la discipline romaine, mais avec les armes auxquelles chacun était habitué, selon sa patrie et son éducation. Il en résultait que toute légion pouvait affronter quelque nation que ce fût, sans s'inquiéter de la manière dont elle était armée. Elle avait, en outre, à sa suite dix grandes machines de guerre et cinquante-cinq plus petites pour lancer des projectiles; plus, l'attirail nécessaire pour établir un camp.

Seize des vingt-cinq légions qu'entretenait Auguste furent licenciées après lui ou incorporées dans les autres : mais Néron, Galba, Vespasien, Domitien, Trajan, Marc-Aurèle et Sévère en formèrent treize autres. Chacune se composait de cinq mille hommes (2); et, au temps d'Alexandre Sévère, trois avaient leurs cantonnements en Bretagne, une dans la haute et deux dans la basse Germanie, une en Italie, une en Espagne, une en Numidie, une chez les Arabes, deux dans l'inquiète Palestine, autant dans la Mésopotamie, autant dans la Cappadoce, deux dans la basse et une dans la haute Mésie, une dans le Norique, une dans la Réthie : on ignore où se trouvaient les deux autres (3).

Un défaut capital de la constitution impériale était d'établir une séparation complète entre l'état civil et l'état militaire, laissant des citoyens désarmés en présence de légions sur le pied de guerre, et qui seules, obligées à la vie des camps et à combattre sans cesse, conservaient quelque chose de l'ancien esprit romain. Le peuple ne pouvait guère plus contre elles qu'aujourd'hui cent

(1) Le résumé de VÉGÈCE, De re militari, est fondé sur leurs règlements. Auguste assigna à chaque prétorien deux drachmes ou deniers par jour (82 centimes). Domitien porta leur paye à neuf cent soixante drachmes par an. Sous Commode, ils en recevaient douze cent cinquante, d'après ce qui semble résulter d'un passage confus de Dion, LXXVII, discuté par Valois et Reimar. Quant aux autres troupes, elles eurent, depuis l'année 536 jusqu'à l'année 703, vingt-cinq centimes par jour; sous J. César, cinquante et un ; sous Auguste, quarante-neuf, quarante-huit sous Tibère, quarante-cinq sous Néron, quarantequatre sous Galba, quarante-trois sous Othon, quarante-quatre sous Vitellius, Vespasien et Titus, cinquante-sept sous Domitien.

(2) LAMPRIDE, Vie d'Alexandre, p. 131.

(3) DION, IV.

Finances.

millions d'Indiens contre vingt mille Anglais; mais il n'était pas même un empereur en état de se maintenir, à moins d'être un vaillant capitaine. Nous verrons done l'empire occupé par une série de guerriers remarquables, qui peut-être retardèrent l'invasion dont il était menacé de toutes parts, mais qui portèrent sur le trône les habitudes despotiques et cruelles contractées dans les camps. Ils tombaient, soudain abattus, dès que les légions avaient levé l'épée contre eux toute réforme était entravée par leur durée éphémère, comme par la nécessité où ils étaient de veiller sans cesse en armes contre les étrangers et contre les usurpateurs : ceux-ci, se soulevant avec un droit égal au leur, n'étaient pas plutôt légitimés par l'événement, qu'ils mettaient tous leurs soins à conserver l'affection des soldats, par reconnaissance du passé et par crainte de l'avenir. Les soldats étaient donc tout; et comme, après l'extinction de la famille des Césars et de celles des Flaviens et des Antonins qui régnèrent ensuite, il ne restait pas même une ombre de légitimité pour soutenir des princes de fortune, ils se sentirent le pouvoir de faire et de défaire, d'élever les empereurs sur le pavois, ou de les percer de leurs épées.

Les finances changèrent aussi d'aspect avec l'empire (1). Les triomphes avaient d'abord rempli le trésor et engraissé Rome. Quand ils cessèrent, l'œuvre bienfaisante du commerce reporta dans les pays éloignés ce qui avait afflué en Italie. L'entretien d'une armée inactive et d'une cour augmenta sans mesure les dépenses; et Vespasien, prince plutôt avare qu'économe, disait que l'administration et la défense de l'empire coûtaient par an quatre mille millions de sesterces (2). Que devait-ce donc être sous des souverains follement dissipateurs?

Pour fournir aux dépenses, Auguste établit des droits de gabelles même pour l'Italie, des droits sur les ventes, et une taxe générale sur les biens et sur les personnes des citoyens romains, exempts de toutes charges depuis un siècle et demi. Les impôts étaient si pesants, que les empereurs étaient obligés, de temps à autre, d'accorder remise

(1) Le traité de HEGEWISCH sur les Finances romaines tient plus qu'il ne promet.

(2) SUÉTONE, Vie de Vespasien, 17. Quelques-uns lisent quarante mille millions, ce qui ferait sept mille millions de francs, ceci est trop; mais l'autre chiffre est trop peu élevé, à moins que Vespasien n'entendit parler que de l'argent comptant, sans évaluer les contributions en nature et les services personnels.

de fortes sommes dues au trésor par des particuliers. Les marchandises de toute sorte payaient un droit à l'entrée depuis le huitième jusqu'au quarantième de leur valeur. On peut juger de ce que ce droit devait produire, quand on sait qu'on tirait annuellement de l'Inde pour vingt-quatre millions de francs de denrées, vendues à Rome au centuple de leur valeur primitive (1).

Le droit sur les ventes n'excédait pas généralement un pour cent, mais il n'était pas si mince objet qui n'y fût assujetti. Il était destiné à l'entretien de l'armée; mais comme il ne suffisait pas, on eut recours au vingtième, c'est-à-dire à un droit de cinq pour cent sur tous les legs et successions s'élevant à une certaine somme, et n'étant pas recueillis par un proche parent. Le produit dut en être très-considérable, au milieu de familles extrêmement riches, dans lesquelles le relâchement des liens domestiques faisait souvent préférer à ses propres enfants des affranchis ou des étrangers qui avaient su flatter les passions du testateur, ou les satisfaire. Il en résultait qu'en peu d'années l'héritage entier passait dans le trésor; en outre, les amendes prononcées contre les célibataires, en vertu de la loi Papia-Poppea, rapportaient aussi beaucoup. Les biens qui revenaient au fisc, soit à défaut d'héritiers (2), soit par suite de confiscation (3), étaient en si grand nom

(1) PLINE, Hist. nat., VI, 23; XII, 18.

(2) Faisait retour au fisc; 1° tout ce qui serait revenu en vertu d'un testament à celui qui mourait avant son ouverture; 2° les donations ou legs faits soit à des personnes indignes, soit sous des conditions illicites; 3° ce qui venait à être refusé par l'héritier ou par le légataire, refus qui avait lieu fréquemment dans les cas de rébellion, pour ne pas se montrer l'ami du coupable; 4° tout ce qui était légué à des célibataires qui ne se mariaient pas dans l'année, et moitié des legs faits aux époux sans enfants; 5° neuf dixièmes des donations entre mari et femme sans enfants; 6° tout ce qui serait revenu à celui qui supprimait un testament ou empêchait quelqu'un de tester librement.

(3) En outre des crimes d'État, qui étaient très-fréquents, des délits innombrables entraînaient la confiscation, entre autres l'homicide, le parricide, l'incendie, la fausse monnaie, la pédérastie, le rapt ou le viol de jeunes filles, le sacrilége, le péculat, la prévarication, le stellionat, le monopole et l'accaparement des grains destinés à Rome ou à l'armée, l'attentat à la liberté d'autrui. La même peine atteignait le magistrat qui subornait des témoins contre un innocent, le maître qui exposait ses esclaves dans l'amphithéâtre, les faussaires; après Alexandre Sévère, les adultères ; celui qui opérait ou laissait opérer sur lui la castration, celui qui supposait un enfant, celui qui usait de violence à main armée, celui qui changeait de domicile pour se soustraire à l'impôt, celui qui empruntait de l'argent aux caisses publiques, celui qui cachait les biens

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