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dans lesquels nous trouvons ce que la philosophie païenne a pu concevoir de plus élevé. C'est peut-être que son esprit était illuminé, à son insu, d'un reflet de cette sagesse suprême en présence de laquelle il s'obstinait à fermer les yeux.

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« Un seul Dieu, dit-il, est partout; une seule loi, qui est la rai« son, commune à tous les êtres intelligents. L'esprit de chacun est << un dieu et une émanation de l'Être suprême. Celui qui cultive sa « propre raison doit se considérer comme prêtre et ministre des «< dieux; car il se consacre au culte de celui qui fut placé en lui « comme dans un temple. Garde-toi de faire injure à ce génie divin qui habite dans le fond de ton cœur, et sache te le conserver propice en lui rendant un hommage modeste comme à un dieu. Néglige toute autre chose, pour t'occuper uniquement du culte de ce<< lui qui est ton guide, de ce qu'il y a de céleste en toi; sois docile << aux inspirations de cette émanation du grand Jupiter, qui l'a don« née à chacun pour guide et pour direction, c'est-à-dire, l'esprit << et la raison; que le dieu qui habite en toi conduise et gouverne un « homme vraiment homme. Tu ne trouveras rien de mieux que le génie qui réside en toi et commande à tes propres désirs. Une << même raison nous prescrit ce que nous devons faire et éviter. « Une loi commune nous régit donc, et nous sommes des citoyens << sous un même gouvernement.

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Que l'on commence chaque matin par se dire: Je vais avoir << affaire à des intrigants, à des ingrats, à des insolents, à des four« bes, à des envieux, à des gens grossiers. S'ils ont ces défauts, c'est << qu'ils ne connaissent ni les vrais biens ni les vrais maux. Mais moi, qui ai appris que le vrai bien consiste dans ce qui est hon« nête, et le vrai mal dans ce qui est honteux; qui connais la na<«<ture de celui qui m'offense, et sais qu'il est mon frère non par le sang et la chair, mais par une participation commune au même esprit, émané de Dieu, je ne puis me tenir offensé de sa part, car il « ne saurait dépouiller mon âme de l'honnêteté. O homme, tu es citoyen de la grande cité du monde. Que t'importe de ne l'avoir « été que cinq ans? Personne ne peut se plaindre d'inégalité dans ce qui se fait d'après les lois du monde. Pourquoi donc te courrou

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ordre de matières, tandis qu'ils sont pêle-mêle dans l'original grec, comme des pensées que l'on met par écrit à mesure qu'elles se présentent. Maï a trouvé, dans le Fronton découvert à la bibliothèque Ambrosienne, plusieurs lettres de Marc-Aurèle à son maître.

<«cer de ce que tu te trouves banni de la cité, non par un tyran,

« ou un juge inique, mais par la nature elle-même, qui t'y avait

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placé ? C'est comme si un acteur était renvoyé du théâtre par

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« l'entrepreneur qui l'y appela. Je n'ai pas fini mon rôle, je

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<< n'ai encore joué que trois actes. - Tu as raison, mais dans la << vie trois actes font une comédie entière; car elle est toujours << terminée à propos par l'auteur qui ordonne de l'interrompre. Tu « n'as été dans tout cela ni l'auteur ni la cause de rien; va-t'en donc << en paix, puisque celui qui te congédie est toute bonté.

« Je dois à Vérus, mon aïeul, la simplicité des mœurs et la tranquillité; au souvenir que je conserve de mon père, un carac<< tère modeste et viril; à ma mère, la piété et la libéralité, non-seu«<lement pour m'abstenir du mal, mais même pour penser; la fruga« lité dans les aliments, l'éloignement pour le faste : à mon bisaïeul « de ne pas être allé aux écoles publiques, mais d'avoir eu chez moi « des précepteurs distingués, et appris que l'on ne dépensait jamais « trop en cela : à celui qui m'a élevé, à ne jamais prendre parti « pour la couleur verte ou pour la couleur bleue dans les courses du

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cirque, ou, en fait de gladiateurs, pour le grand ou pour le petit << bouclier; à endurer la fatigue, à me contenter de peu, à me ser« vir moi-même, à ne pas écouter les délateurs. J'ai appris de Diagnotus à ne pas m'occuper de vanités, à ne pas croire aux « prestiges et aux enchantements, aux conjurations, aux démons « méchants, ni à d'autres superstitions; à laisser parler de moi en « toute liberté, à dormir sur une couchette avec une simple peau, « et à persévérer dans les autres habitudes de l'éducation grecque. « J'ai appris de Rusticus à m'apercevoir de la nécessité de corriger « mes mœurs, à éviter l'ambition des sophistes, à ne pas écrire sur << les sciences abstraites, à ne pas déclamer des harangues comme exercice, à ne pas rechercher l'admiration en faisant pompe d'occupations profondes et de générosité; à faire usage dans les let<< tres d'un style simple; à pardonner sans retard à celui qui se

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«< repent, à lire avec attention, et à ne pas me contenter de com

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prendre superficiellement. J'ai appris d'Apollonius à être libre,

ferme, et non pas hésitant; à n'avoir que la raison en vue,

à me « montrer égal dans toutes les circonstances de la vie, à recevoir « les dons de mes amis sans froideur ni bassesse; de Sextus, la bien<«<veillance, à l'exemple d'un bon père, la gravité sans art, le « soin continuel d'être agréable à mes amis, à supporter les igno

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<< rants et les inconsidérés, à rendre aux autres ma compagnie plus agréable que celle des flatteurs, tout en me conciliant leur respect; « à applaudir sans fracas, à savoir saus ostentation. Du grammai«< rien Alexandre, à ne pas relever les mots barbares ni les fautes con<< tre la syntaxe et la prononciation, mais à faire comprendre com<< ment on doit dire, en m'arrangeant pour répondre ou pour four«nir des preuves, ou pour développer la même idée, exprimée diffé<< remment; ou en usant de tout autre moyen qui n'ait pas l'air « d'une correction. De Fronton, à réfléchir à l'envie, à la fraude, à << la dissimulation des tyrans, et à me convaincre que les patriciens << n'ont pas de cœur; du platonicien Alexandre, à ne pas dire, le << temps me manque; et, sous prétexte d'affaires, à ne pas m'af<< franchir des devoirs sociaux; de Maxime, à me dominer moi« même, à ne pas me laisser abattre par quelque accident que ce soit : << il m'a enseigné la modération, la douceur, la dignité dans les ma<< nières, à m'occuper sans me plaindre, à n'être ni pressé, ni lent, « ni irrésolu, ni irascible, ni défiant; à ne pas me montrer dédai«gneux envers les autres, et à ne pas me croire meilleur qu'eux; à « aimer la plaisanterie innocente.

« Je me reconnais redevable comme d'un bienfait envers les dieux << d'avoir eu de bons parents, de bons précepteurs, de bons amis, « de bons serviteurs, qui sont les choses les plus désirables; de n'a• voir offensé aucun d'eux inconsidérément, malgré que j'y fusse en<< clin par nature; en outre, d'avoir conservé l'innocence jusque dans << la fleur de la jeunesse de n'avoir pas usé prématurément de la virilité; d'avoir été sous la direction d'un prince et d'un père qui << éloignait de moi l'orgueil, en me persuadant qu'un prince peut << habiter dans son palais, et pourtant se passer de gardes et d'habits « pompeux, de torches, de statues et de tout luxe semblable; de « n'avoir pas fait de progrès dans la rhétorique, dans la poésie et << études pareilles, qui m'auraient distrait (1); de ne pas avoir manqué d'argent, quand je voulais secourir un indigent; de ne

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(1) Il ne veut pas dire toutefois qu'il ne se plût pas à ce genre d'études, car ses lettres à Fronton, dont nous avons parlé, fournissent la preuve du contraire. Il dit dans l'une d'elles: Mitte mihi aliquid, quod tibi disertissimum videatur, quod legam, vel tuum, Gracchi, aut poetæ alicujus. Xρńw yàp avañaúdns, et maxime hoc genus ; quæ me lectio extollat et diffundat ἐκ τῶν κατειληφνίων φροντίδων. Etiam si qua Lucretii aut Ennii excerpta habes εὔφωνα και... φρά, et sicubi ἤθους ἐμφάσεις.

vel Catonis, vel Ciceronis, aut Sallustii, aut

« pas avoir eu besoin du secours des autres; de ce que les remèdes «<propres à soulager mes maux m'ont été suggérés en songe; de ne « pas être tombé, en étudiant la philosophie, dans les mains de quel<< que sophiste, et de ne pas avoir perdu mon temps à feuilleter des << commentaires, à résoudre des syllogismes et à discuter sur la « météorologie. »>

CHAPITRE XIV.

L'EMPIRE SOUS LES ANTONINS.

Avant d'en venir aux temps malheureux qui devaient succéder à la prospérité du règne des Antonins, arrêtons-nous un moment à considérer la condition civile, morale et littéraire de l'empire à l'époque de sa plus grande splendeur.

A l'exception de la Bretagne et de la Dacie, aucun pays nouveau n'y fut réuni d'une manière stable, bien que d'autres, sur lesquels s'exerçait son influence, fussent réduits en province. L'Italie, centre de cette vaste unité, était toujours la résidence de l'empereur et du sénat, dont les membres devaient avoir en deçà des Alpes un tiers au moins de leurs propriétés. En Italie, il n'y avait ni arbitraire de gouverneurs, ni tributs à payer; et les communautés municipales étaient chargées de faire exécuter les lois suprêmes. Mais, après Trajan, la péninsule commença à n'être pas considérée autrement que les autres provinces ; et l'on peut dire qu'elle leur fut assimilée, quand Adrien en confia le gouvernement à quatre personnages consulaires. L'organisation municipale de ses villes devenait de plus en plus aristocratique, comme il advient dans un État monarchique, les magistrats étant choisis, non plus parmi le peuple, mais parmi les décurions illustres, et leur juridiction étant basée sur les sommes qu'ils payaient à l'État.

Italie.

Une fois que Rome eut étendu ses conquêtes hors de l'Italie, que Provinces. le sénat et ses magistrats propres ne suffirent plus pour les administrer, on y expédia des proconsuls et des préteurs, réunissant le pouvoir de faire les lois à celui de les appliquer et de contraindre à les exécuter; despotes d'autant plus absolus qu'ils étaient plus éloignés. Maîtres qu'ils étaient des biens et de l'existence de tous, ils avaient hâte de voler en une année, dans les provinces, assez

Droits de cité.

pour être riches toute leur vie. A leur suite venaient les chevaliers, qui, fermiers des impôts, n'épargnaient aucune vexation aux malheureux habitants, tandis que les citoyens romains, disséminés au milieu d'eux, affranchis du tribut, et justiciables seulement de l'assemblée du peuple, ne sentaient pas cette dure ty rannie.

La condition des provinces s'améliora sensiblement sous les empereurs; elles ne dépendirent plus de l'avidité et des passions brutales d'un Verrès ou d'un Pison, et ne s'agitèrent plus au milieu des ressentiments de famille et de tribu. Les gouverneurs, demeurant longtemps dans les provinces qui leur étaient assignées, s'instruisaient de leur condition, de leurs besoins, et y contractaient des relations d'amitié. Surveillés en outre par un despotisme ombrageux, ils devaient redouter les châtiments soudains d'un empereur, auquel les peuples opprimés pouvaient librement faire parvenir leurs plaintes, ou qui pouvait trouver dans leurs richesses mal acquises une tentation de les proscrire. A l'appui de ce que nous venous de dire, nous citerons, par exemple, les Gaules, que nous voyons croître en richesse, en instruction, et même en indépendance, puisque les affranchis n'y sont plus obligés, pour leur sûreté, de recourir à un patronage.

Afin d'affermir sa domination, le premier soin de Rome était d'enlever aux vaincus la force publique et la liberté constitutionnelle, de dissoudre les confédérations, et d'introduire dans le pays une population romaine, au moyen de colonies et en conférant les droits de cité.

Si Athènes et Sparte avaient péri par leur fol entêtement à se conserver pures de tout mélange étranger (1), Rome, au contraire, s'assimilait sans cesse de nouveaux éléments; la circulation des habitants était continuelle des provinces et des pays conquis vers la métropole, qui accordait les droits de cité à des degrés différents. Ces droits, dont les Romains se montrèrent si jaloux dans l'origine qu'ils soutinrent des guerres terribles pour ne pas en faire part à ceux qui les avaient aidés dans leurs conquê

(1) Cette différence entre la constitution romaine et les autres n'avait pas échappé à Tacite : Quid aliud exitio Lacedæmoniis et Atheniensibus fuit, quamquam armis pollerent, nisi quod victos pro alienigenis arcebant ? At conditor noster Romulus tantum sapientia valuit, ut plerosque populos eodem die hostes, dein cives haberet. Ann. XI.

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