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Ile persécu

tion 95.

fut dépouillée de ses biens et exilée; mais elle emporta avec elle le manuscrit coupable. On fit un crime capital à Arulėnus Rusticus d'avoir loué Thraséas Pætus; Hermogène de Tarse fut mis à mort, parce que l'on crut trouver dans l'histoire qu'il avait composée des allusions à Domitien; et ceux qui l'avaient aidé à répandre ses ouvrages furent crucifiés. Par un genre de barbarie tout nouveau, Domitien fit brûler publiquement les livres les plus généralement renommés, et où brillaient les sentiments les plus généreux. Enfin il bannit tous les philosophes et les hommes de lettres. Quelquesuns renoncèrent à l'étude pour se livrer à l'infâme métier de délateur; le fameux sophiste Dion Chrysostome s'étant réfugié dans le pays des Gètes, n'emportant qu'une harangue de Démosthène et un traité de Platon, y gagna sa vie à bêcher et à porter de l'eau. La récolte de vin ayant été très-abondante une année, tandis qu'il y avait disette de grains, l'empereur en conclut que l'on négligeait le blé pour la vigne, et il décréta qu'il n'en serait plus planté de nouvelles en Italie; la moitié des vignobles devait être arrachée dans les provinces : mais cette dernière mesure ne fut pas mise à exécution.

Domitien se prit aussi de haine contre les chrétiens, et il en fit mourir un grand nombre, tant dans Rome que dans les provinces, comme ennemis de la république. Parmi eux étaient des membres de la famille impériale, comme Flavius Clémens, cousin du tyran et son collègue dans le consulat, la femme et la nièce de Flavius, toutes deux nommées Domitilla. Ce fut alors que Jean, l'apôtre bienaimé de Jésus-Christ, fut relégué dans l'île de Pathmos, où il écrivit l'Apocalypse.

C'était une volupté pour Dioclétien que de voir des larmes, de compter les battements du cœur ; et il était charmé de voir le sénat pâlir à sa voix. Il se complaisait dans son intérieur à des plaisanteries empreintes de cruauté. Ainsi, un soir il invite à un banquet les principaux sénateurs et chevaliers. Ils sont conduits, à mesure qu'ils arrivent, dans une salle tendue tout en noir, où la sombre lueur des lampes leur laisse apercevoir des cercueils portant chacun le nom de l'un des convives. A cette vue ils restent convaincus que l'instant fatal est arrivé; en effet, l'empereur les avait menacés, en disant un jour qu'il regardait la plupart des chevaliers comme ses ennemis, et qu'il ne se croirait pas en sûreté tant que respirerait un sénateur. Enfin, après une longue anxiété, apparaissent des hommes

nus, peints en noir, le glaive nu dans une main, la torche dans l'autre mais, après avoir fait silencieusement le tour de la salle, ils ouvrent les portes et congédient les deux premiers corps de l'État, pour qui la honte d'une dérision insultante succède à l'épouvante.

Très-habile à tirer de l'arc, Domitien faisait passer une flèche entre les doigts ouverts d'un esclave placé à longue distance pour lui servir de but; et, dans les loisirs solitaires de son cabinet, le maître du monde exerçait son adresse à percer des mouches avec un poinçon. C'est pourquoi Vibius Crispus, à qui l'on demandait s'il n'y avait personne avec l'empereur, répondit: Pas même une mouche; mot qu'il paya de la vie.

Ne le cédant en voluptés honteuses à aucun de ses prédécesseurs pas plus qu'en cruauté, Domitien était comme eux flatté lâchement par les Romains. Ils l'appelaient seigneur, dieu, et fils de Minerve; titres que lui-même s'attribuait dans ses lettres, et que lui prodiguaient Martial, Quintilien, Juvénal et d'autres écrivains (1). Les rues qui conduisaient au Capitole étaient encombrées de victimes égorgées devant ses statues, qui ne pouvaient être, aux termes d'un décret, que d'or ou d'argent. Il institua les jeux capitolins, qui, comme ceux d'Olympie, devaient être célébrés tous les cinq ans avec la plus grande solennité. Il donna encore d'autres jeux, les plus splendides que Rome eût encore vus. Il fit creuser près du Tibre un grand lac, où combattirent deux flottes. Des femmes eurent à se mêler aux luttes sanglantes des gladiateurs. Il offrit aux regards du peuple de véritables batailles d'armées entières dans l'amphithéâtre, lui qui avait peur en face de l'ennemi. Un orage suivi d'un déluge d'eau étant survenu pendant le spectacle, il défendit que personne sortît; ce qui causa beaucoup de maladies graves, dont plusieurs furent mortelles.

Il n'était pas de moyens qu'il ne se crût permis pour suffire à toutes ces prodigalités. Il s'emparait volontiers des riches successions, soit en accusant le défunt d'avoir mal parlé de lui, soit en apostant des gens pour affirmer qu'il l'avait institué son héritier. Les magistrats accroissaient à tel point le fardeau des impôts, que plusieurs provinces se révoltèrent ouvertement; ainsi firent les Nasamons d'Afrique. Un faux Néron apparut encore en Asie, et finit aussi par se retirer chez les Parthes, qui menacèrent de faire

(1) PLINE, Panégyrique.

la guerre à l'empire. Lucius Antonius, gouverneur de la Germanie, prit le titre d'Auguste, qui lui fut confirmé par la plupart des Germains; mais il fut bientôt défait et tué. Deux tribuns seulement, parmi tous ceux qui furent accusés de complicité avec lui, parvinrent à sauver leur vie, mais en prouvant qu'ils s'étaient prêtés à la plus honteuse des débauches, et dès lors qu'ils étaient incapables de toute entreprise hardie.

Une conjuration découverte effrayait Domitien au point de lui en faire redouter sans cesse de nouvelles, d'autant plus que divers prodiges et des prédictions formelles lui annonçaient sa fin comme prochaine. Il tremblait donc en proportion de la terreur qu'il inspirait, ce qui le força à se précautionner du mieux qu'il pût contre le danger, jusqu'à revêtir ses appartements d'une pierre qui réfléchissait les objets, afin que personne ne pût s'approcher de lui sans être aperçu. Il songea en outre à se défaire de tous ceux dont il se défiait, et il en avait déjà dressé la liste, quand un enfant, avec lequel il s'amusait, la lui enleva durant son sommeil et l'emporta. L'impératrice, épouvantée d'y lire son nom et ceux des premiers personnages, se concerta avec eux pour le prévenir. Pharthène, son premier serviteur, introduisit l'affranchi Étienne, qui, portant la main à son cou dans l'attitude d'un homme blessé, lui présenta un écrit qui lui révélait la conjuration, et saisit le moment où il le lisait pour le frapper. Domitien se défend, et le meurtrier est tué par les gens du palais étrangers au complot; mais les autres conjurés surviennent, et donnent le coup mortel à l'empereur.

Il achevait sa quarante-cinquième année, et en avait régné quinze. Le sénat, réuni immédiatement, proféra mille outrages contre celui à qui peu auparavant il prodiguait encore les adulations; il fit effacer son nom sur les inscriptions, abattre ses statues et ses arcs de triomphe, et il annula ses actes. Le peuple resta indifférent; car les persécutions ne descendaient pas jusqu'à lui, et il jouissait des magnificences et des jeux. Les soldats, dont il avait augmenté la solde, le regrettèrent plus que Vespasien et Titus ; et ils se seraient emportés à des excès, s'ils n'eussent été refrénés par leurs officiers.

Domitien est le dernier des princes désignés sous le nom des douze Césars.

CHAPITRE XI.

NERVA ET TRAJAN.

La mort de Domitien parut au sénat une belle occasion pour se délivrer du despotisme militaire. Un phénomène nouveau apparaît ici : c'est l'école stoïcienne entreprenant de s'opposer à l'influence tyrannique de l'armée. Devenue en effet prépondérante dans le sénat, cette école philosophique s'efforce de mettre sur le trône ses créatures, et elle réussit à donner à Rome une série de Césars qu'il est juste de compter parmi ses meilleurs princes. Le premier fut Marcus Coccéius Nerva, originaire de la Crète et né à Narni, qui se rendit si agréable à Néron pour ses poésies, que l'empereur lui éleva une statue. La faction stoïcienne, qui comptait sur lui, fit si bien en répandant des prédictions et des horoscopes sur son règne futur, qu'elle le détermina, malgré sa timidité, à accepter le trône. Les prétoriens, une fois les premiers regrets donnés à l'empereur défunt, ne tardèrent pas à reconnaître le nouveau. Cependant, au milieu des félicitations que recevait Nerva, Arrius Antoninus s'affligea avec lui de ce qu'après avoir échappé par sa vertu et par sa prudence à tant de mauvais princes, il se trouvât désormais dans une position où il mécontenterait amis et ennemis, mais plus en-core ses amis, dès qu'il leur refuserait une grâce.

Nerva se croyait placé au rang suprême dans l'intérêt du peuple, et non pour sa propre satisfaction: aussi sut-il concilier la douceur de la liberté avec la tranquillité de la monarchie. Il rendit aux citoyens exilés pour crimes de lèse-majesté leur patrie et leurs biens; il menaça de son courroux les délateurs, punit les esclaves et les affranchis qui avaient dénoncé leurs maîtres et patrons. Il défendit toutes poursuites pour crimes de lèse-majesté et contre ceux qui vivaient à la manière des Juifs (1), et il jura de n'envoyer à la mort aucun sénateur. Afin d'alléger les impôts et de pouvoir abolir l'odieuse taxe du vingtième due sur toute succession ou legs, il diminua les dépenses en supprimant des sacrifices et des spectacles, en ne permettant pas qu'on lui élevât des statues d'or

(1) Les chrétiens probablement. DION, LXVIII.

Trajan.

ou d'argent, et en modérant le faste dans son palais. Puis, comme il se trouvait encore trop pauvre pour récompenser des services ou pour secourir des infortunes, il vendit une partie de sa vaisselle particulière et plusieurs de ses propriétés. De vastes terrains furent aussi distribués par lui à la classe des pauvres citoyens. Il fit élever partout aux frais de l'État les enfants indigents, défendit l'éviration, et s'appliqua à corriger les mœurs et à rendre la justice. Il se conduisit toujours enfin comme s'il eût dû, à un instant donné, rentrer dans la vie privée.

Habitués que nous sommes à voir d'heureux commencements à des règnes détestables, on pourrait s'attendre à voir Nerva se démentir; mais il n'en fit rien, et le seul reproche qu'on puisse lui adresser, c'est que, trop débonnaire, il ne châtiait pas même les méchants. Il est vrai que le sénat, s'étant remis en libre possession du droit de jugement, admit les accusations contre les espions du règne précédent, et qu'il punit les uns de la peine de mort, les autres de celle de l'exil; mais lorsqu'il voulut intenter des poursuites contre certains conspirateurs, Nerva, fidèle à son serment, s'opposa à ce qu'il fût passé outre. Une semblable clémence parut impolitique au consul Fronton, qui disait que si c'est un grand malheur d'être gouverné par un prince sous qui tout est défendu, ce n'en est pas un moindre d'en avoir un sous qui tout est permis.

Les prétoriens en effet abusèrent de cet excès de bonté : s'étant soulevés en tumulte, ils assaillirent le palais pour obliger Nerva à livrer les meurtriers de Domitien. Ce fut en vain qu'il s'opposa à leur fureur, allant jusqu'à leur présenter sa poitrine nue : il lui fallut céder, laisser tuer les conjurés, et remercier les prétoriens d'en avoir purgé le monde.

Il comprit alors la nécessité de choisir pour lui succéder un homme capable de tenir d'une main ferme les rênes de l'État ; et la

Adoption de plus belle action de son règne fut d'avoir adopté Marcus Ulpius Trajan, avec qui il partagea aussitôt l'autorité en l'élevant au tribunat.

98. 27 juin.

Trajan, issu d'une famille italienne plus ancienne qu'illustre, était né près de Séville, et avait servi dans sa jeunesse contre les Parthes. Sous Domitien, il s'était retiré pour sa sûreté dans sa patrie, d'où celui-ci l'envoya gouverner la basse Germanie. Il s'y fit aimer des soldats: mais, sans rien machiner dans une pensée ambitieuse, sans rien espérer même, il se contentait de cette position,

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