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d'argent que lui offraient et les villes de l'empire et les princes étrangers, il vendit, pour tenir sa parole, jusqu'aux meubles de son palais.

Vésuve.

79.

8 septembre.

Sous son règne le Vésuve, qui n'avait pas fait éruption depuis un Éruption du temps immémorial, se réveilla avec une telle fureur, qu'il ensevelit les deux villes d'Herculanum et de Pompéies; Pouzzoles et Cumes furent détruites, toute la Campanie ébranlée et bouleversée par des tremblements de terre. Titus répara à ses frais tous les maux auxquels il fut possible de remédier; il parcourut lui-même le pays, observant les désastres causés, non pour satisfaire une curiosité indifférente, mais en prodiguant l'argent à ceux qui en étaient les victimes. Il n'y eut pas jusqu'à la peste qui, en se déclarant dans l'empire, ne fournit à Titus une occasion de montrer sous un nouvel aspect sa bienfaisance, nous dirions presque sa charité.

Il déclara, en acceptant le pontificat, qu'à partir de ce moment il se conserverait pur de toute effusion de sang. Et, en effet, il ne condamna plus à mort, prêt à périr lui-même plutôt qu'à faire périr autrui. Deux patriciens sont condamnés à mort par le sénat comme conspirateurs, et Titus fait prier l'assemblée de renoncer à un châtiment inutile, la durée des règnes dépendant d'une puissance supérieure à celle des hommes. Il envoie en même temps rassurer les mères des accusés, qui, le soir, sont invités à souper avec lui. Il les conduit le lendemain aux spectacles, et remet même entre leurs mains les épées des gladiateurs, qu'on lui apporte, selon l'usage, pour les examiner.

Il abrogea la loi de lèse-majesté, et ne voulut plus que personne fût accusé pour avoir dit du mal de lui ou de ses prédécesseurs. Ou celui qui médit de moi a tort, et je le plains; ou il a raison, et alors il y aurait injustice à le punir pour avoir dit la vérité. Quant à mes prédécesseurs, s'ils sont aujourd'hui des dieux, ils peuvent à leur gré punir leurs propres outrages, sans que j'aie besoin de leur préter secours.

Qui pourrait croire que sous un tel prince un faux Néron eût trouvé des partisans? C'est ce que l'on vit pourtant; et cet imposteur, après avoir parcouru les rives de l'Euphrate, se réfugia parmi les Parthes.

Au moment où Rome respirait sous les douces lois de Titus, qu'elle appelait les délices du genre humain, une mort prématurée lui enleva ce bon prince à l'âge de quarante-un an. Sa fin fut 13 septembre.

81.

Domilien.

hâtée, dit-on, par Domitien, son frère, quifle fit mettre au rang des dieux en même temps qu'il cherchait à le dénigrer près des hom

mes.

Déjà les débauches effrénées de Domitien avaient excité le courroux de son père, que les instances affectueuses de Titus n'avaient calmé qu'avec peine. Il ne s'était appliqué dans sa jeunesse à aucun genre d'études, et il était couvert de dettes. A la guerre son plus grand soin avait été de se soustraire aux fatigues et aux dangers; puis, lorsque pour rivaliser avec son frère, vainqueur des Juifs, il alla combattre en Germanie et contre l'empire gaulois, l'incapacité qu'il se sentait pour le métier des armes le poussa à s'adonner à la poésie. Après la mort de son père, il chercha à gagner les prétoriens, dans l'espoir de supplanter Titus, et Titus lui pardonna. Quand son frère eut cessé de vivre, naturellement ou non, il fut proclamé empereur, et se vit prodiguer à la fois tous les titres et charges dont ses prédécesseurs n'avaient été revêtus que peu à peu.

Il montra d'abord tant d'éloignement pour toute espèce de cruauté, qu'il alla jusqu'à défendre tout sacrifice sanglant. Il faisait des largesses aux employés de l'État, afin que leur pauvreté ne les mît pas dans le cas de se laisser corrompre; il refusait d'hériter des citoyens qui laissaient des enfants; et, après avoir partagé les terres confisquées entre les vétérans, il ne réservait pas le surplus pour lui, comme c'était l'usage, mais le rendait aux anciens propriétaires. Il fit faire des constructions splendides, reforma la bibliothèque incendiée, dépensa douze mille talents pour la dorure du Capitole, et pourtant la magnificence de ce temple n'était rien en comparaison d'une seule des galeries ou des salles du palais. Il s'occupait de rendre la justice, notait d'infamie les juges qui acceptaient de l'argent, ou les gouverneurs concussionnaires. Il réprima la licence publique et l'impudence des libelles; défendit aux chevaliers de se montrer sur les théâtres publics; dégrada un sénateur qui dansait; exclut les femmes perdues de la faculté de recevoir des legs et d'aller en litière; déclara indigne d'être juge un chevalier qui avait repris sa femme après l'avoir répudiée pour impudicité; punit de mort plusieurs adultères, et défendit sévèrement de faire des eunuques.

Domitien ne dissimulait pourtant qu'avec peine son naturel farouche, sanguinaire et bassement jaloux. Aussi avide de gloire

militaire qu'incapable de l'acquérir, il prit quatre fois, dans une année, le titre d'imperator pour des victoires remportées par d'autres. Étant tombé à l'improviste sur les Cattes, la nation la plus civilisée et la plus guerrière parmi les Germains, il leur fit quelques prisonniers qu'il traîna en triomphe; et, depuis lors, il ne quitta plus la toge de triomphateur. Mais quand les Cattes chassèrent Cariomer, roi des Chérusques, qui s'était fait l'allié des Romains, Domitien n'osa le soutenir; et il laissa les Suèves et les Sarmates, révoltés contre l'empire, exterminer dans la Mésie, la Dacie et la Germanie, des armées entières, par la faute de généraux ou timides ou téméraires. Le dépit que lui causaient les victoires d'Agricola sur les Calédoniens fit rappeler ce grand capitaine, qui ne conjura la colère de l'empereur qu'en vivant dans l'obscurité; encore, s'il faut en croire les soupçons des contemporains, son éloignement des affaires ne le sauva pas du poison.

La guerre la plus dangereuse qu'il eut à faire fut celle qu'il soutint contre les Daces, peuple belliqueux, auquel un ancien philosophe nommé Zamolxis avait appris à considérer la mort comme le terme d'une vie ingrate et de transition, en même temps que le commencement d'une existence heureuse et éternelle. Ils avaient été gouvernés avec sagesse par Dura, qui transmit son autorité à Décébale. Non moins habile dans les combats que dans le conseil, ce chef passa le Danube, défit les Romains, et tua le gouverneur de la Mésie : non-seulement il marqua son passage par d'horribles dévastations, mais il occupa tous les forts construits par les Romains dans ces contrées.

il

Quand Décébale apprit que Domitien s'approchait avec l'armée, proposa de déposer les armes et de renouveler l'ancienne alliance, ce qui lui fut refusé. Mais Cornelius Fuscus, commandant des gardes prétoriennes, qui marcha contre lui, fut vaincu. Alors Décébale exigea que les Romains lui payassent deux oboles par tête, faute de quoi il les menaça de rentrer sur leur territoire, et d'y mettre tout à feu et à sang. Tant d'insolence irrita l'orgueil des soldats; et, après avoir vaincu les Daces dans neuf combats, ils leur refusèrent la paix qu'ils imploraient à leur tour.

Au lieu de poursuivre de ce côté ses avantages, Domitien tourna ses armes contre les Conades et les Marcomans, coupables d'avoir secouru les Daces, et il fit égorger leurs envoyés. Il ne tarda pas à s'en repentir; car, assailli avec fureur, il vit son armée réduite à

T. V.

12

Guerre des

Daces.

92.

fuir dans une déroute complète. Aussi lâche dans les revers qu'il avait été insolent dans la victoire, il députa vers Décébale pour le supplier de consentir à la paix, en lui envoyant de riches présents, des artisans de toute espèce, et une couronne d'or pour montrer qu'il le reconnaissait comme roi. Il se résigna enfin à lui payer un tribut annuel. Ce fut la première guerre contre l'empire dont l'issue fut heureuse pour les barbares.

Domitien écrivit cependant au sénat qu'il avait enfin imposé un frein aux indomptables Daces; et, après avoir en revenant causé plus de dégâts dans un pays tranquille qu'on n'eût pu le faire en temps de guerre, il se décerna le triomphe, tandis que les poëtes (1) le comparaient à César et aux Scipions.

Plus tard, le petit royaume de Chalcide, possédé par le frère, puis par le fils d'Agrippa, dernier roi des Juifs, fut réuni à l'empire. Domitien marcha aussi contre les Sarmates, qui avaient exterminé une légion; mais il ne retira de cette expédition qu'un sujet de feints triomphes et d'adulations poétiques.

Il ne savait que trop donner carrière durant la paix à cette énergie farouche qui lui faisait défaut sur le champ de bataille. Le héraut, par une erreur involontaire, ayant proclamé (1) STACE et MARTIAL. Voici quelques échantillons de leurs adulations : Invia sarmaticis domini lorica sagittis

Et Martis getico tergore fida magis....
Felix sorte tua, sacrum cui tangere pectus
Fas erit, et nostri mente calere dei....
Redde deum votis poscentibus: invidet hosti
Roma suo, veniat laurea multa licet.
Terrarum dominum propius videt ille; totoque
Terretur vultu barbarus, et fruitur....

Hiberna quamvis Arctos, et rudis Peuce,
Et nugularum pulsibus calens Ister
Fractusque cornu jam ter improbo Rhenus,
Tencat domantem regna perfidæ gentis,
Tu, summi mundi rector, et parens orbis,

Abesse nostris non tamen potes votis....

Nunc hilares, si quando mihi, nunc ludite, Musæ,

Victor ab Odrysio redditur orbe deus....

Ailleurs Janus se plaint, en voyant passer Domitien, de n'avoir pas assez d'yeux pour le regarder (liv. VIII, 2). L'étoile du matin peut différer son lever; car si César apparaît, le peuple ne s'apercevra pas de son absence (liv. VIII, c. 21). Croyez donc les poëtes!

empereur, au lieu de consul, Flavius Sabinus, gendre de Titus, il ordonna de mettre à mort et le héraut et son neveu. Ce fut là le prélude de terribles tragédies. Il s'avisa de faire tirer l'horoscope des grands de l'empire, et il en prit occasion de verser le sang d'un grand nombre de sénateurs et de chevaliers. Les délateurs, encouragés par lui, le mirent à même de se gorger, en s'engraissant eux-mêmes, des richesses qu'il confisquait sous les prétextes les plus frivoles. Un citoyen illustre se montrait-il populaire? il méditait la guerre civile. Vivait-il retiré? c'était un reproche indirect qu'il adressait au temps actuel. Sa conduite était-elle exemplaire? C'était un nouveau Brutus. Celui qui se montrait insouciant et stupide déguisait des projets sanguinaires. Si l'on était actif et résolu, on intriguait, on remuait. Le riche possédait trop d'argent pour un particulier; le pauvre, n'ayant rien à perdre, pouvait se lancer dans quelque entreprise dangereuse. Plus les espions étaient lâches et détestables, plus l'empereur les caressait et les soutenait. Convaincus de calomnie, ils n'en avaient que plus de mérite à ses yeux. C'était à eux que revenaient les dépouilles de l'État, les dignités pontificales, le consulat même. Les uns étaient envoyés dans les provinces comme procurateurs ; les autres restaient près de lui comme confidents intimes et comme ministres. Des esclaves furent subornés pour déposer contre leurs maîtres, des affranchis contre leurs patrons; et ceux qui n'avaient pas d'ennemis se trouvaient trahis par des hommes de l'amitié desquels ils n'avaient jamais douté.

Sous le règne de ce tyran, les Romains n'osaient se communiquer leurs pensées, ni même gémir ensemble. Ils voyaient dans un silence pusillanime les tribunaux devenus des instruments de ruine; les rapines et les assassinats palliés sous le nom d'amende et de châtiment; les îles regorgeant de bannis, les écueils de malheureux égorgés. Quelques-uns affrontèrent la mort avec intrépidité; des mères et des femmes généreuses suivirent dans l'exil les objets de leur affection.

Comme tous les mauvais princes, Domitien avait en horreur l'histoire et les historiens, dont il se défiait. Hérennius Sénécion fut accusé d'écrire la vie d'Helvidius Priscus ; et, bien qu'il eût adouci ses expressions, comme il faut s'y résigner sous les tyrans, il lui suffit d'avoir donné des éloges à un citoyen généreux pour être jugé digne de mort. Fannia, femme d'Hérennius, qui avoua ouvertement qu'elle avait poussé son mari à ce travail et qu'elle l'avait aidé,

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