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s'en attacha que plus étroitement à la lettre de la loi, dont il restreignit le sens; ce qui donna naissance au véritable judaïsme et à la secte des pharisiens. De là des disputes dans l'école, des dissentiments dans la famille, des luttes sur le champ de bataille, la servitude et la dispersion; de là les reproches des prophètes, et la confusion de la politique et de la foi.

Des dissensions au sujet du sens et de l'application de la loi ne pouvaient que devenir extrêmement funestes à un peuple que la loi gouvernait dans toute sa rigueur (1). C'est pour cela que toutes les querelles des Juifs entre eux et avec les étrangers se présentent à nous sous un aspect religieux, à commencer de la sortie d'Égypte jusqu'au temps où vécut Hérode. Celui-ci favorisait, dans un intérêt politique, les mœurs et la puissance des étrangers auxquels il était redevable de la couronne, au détriment de la nationalité juive; et, au contraire, les docteurs n'en devenaient que plus opiniâtrément attachés au sens de la loi; ils exagéraient le zèle pour les pratiques extérieures, pour l'observation minutieuse de la lettre morte.

Or, la lettre promettait un Messie vainqueur et triomphant : ils refusèrent donc de le reconnaître dans le fils de l'humble artisan, dans celui qui, mourant de leur main, changea pour eux les richesses de la miséricorde en trésors de colère (2), et, quand la mesure de leurs crimes fut comblée, arracha sa vigne du terrain ingrat qui ne produisait plus que des fruits amers.

Sa mission accomplie, Jérusalem tomba. L'enveloppe se brisa quand l'idée qu'elle contenait se développa, quand il ne lui suffit plus d'un symbole immobile, d'un temple fait de main d'homme. Les malheureux Juifs, après quelques tentatives pour relever leur ville et leur nationalité, se dispersèrent sur la surface de la terre; mais, éprouvés par tant de revers, persécutés par les gentils, par les chrétiens, par les mahométans, ils ne renoncèrent ni à leur religion ni à l'espérance. Maintenant encore, le jour où leur temple fut réduit en cendres (9 de Ab), ils jeûnent rigoureusement; et, se livrant à l'industrie, au travail, continuant d'observer leur

(1) Nous avons déjà dit que le nom de théocratie convenait mal au gouvernement hébreu, dans le sens où il est entendu vulgairement, c'est-à-dire, d'une autorité exercée par les prêtres. On pourrait plutôt lui donner le nom de nomocratie, attendu que tout y était déterminé par la loi, qui tirait son efficacité de Dieu, dont elle émanait.

(2) Crucifixerunt salvatorem suum, et fecerunt damnatorem suum. SAINT AUG.

loi, ils vivent dans la confiance que ce Dieu, qui jadis les rappela de la captivité de Babylone, fera encore briller leur jour.

Ce sera le jour où le sang versé par leurs pères descendra sur les fils, en signe de pardon et de rédemption.

CHAPITRE X.

LES FLAVIENS.

L'expédition menée à bonne fin par Titus, et la soumission d'une seule nation, parurent un si grand événement au milieu de la médiocrité universelle, que Vespasien en devint jaloux de son propre fils. Mais celui-ci accourut vers lui en lui disant: Je suis arrivé, mon père, me voici; et Vespasien, cessant de prendre de l'ombrage, l'associa à la puissance tribunitienne, lui conféra le commandement des gardes prétoriennes, et le laissa triompher avec la plus grande magnificence. C'est à cette occasion que fut élevé l'arc qui porte encore le nom de Titus, monument qui, avec la clôture du temple de Janus et l'érection du temple de la Paix, attesta la fin des guerres.

Mais Césénius Pætus, gouverneur de Syrie, ne tarda pas à en faire renaître une : désireux de se signaler dans quelque expédition militaire, il rendit Antiochus, roi de Comagène, suspect à l'empereur, qui le chargea de marcher contre lui. Il occupa donc ce royaume et le réduisit en province, sous le nom d'Euphratésiane. La Grèce, que Néron avait émancipée, devint aussi une province, avec la Lycie, la Thrace, la Cilicie, Rhodes, Bysance et Samos, Les Alains ayant commencé à déboucher des contrées situées entre le Tanaïs et les Palus-Méotides, et à faire des incursions sur les terres des Mèdes et des Arméniens, Vologèse, roi des Parthes, implora contre eux le secours de Vespasien; mais il refusa, s'applaudissant que ces terribles voisins eussent à s'occuper d'un autre côté.

Le gouvernement de la Bretagne fut donné à Cnéus Julius Agricola, qui mérita d'avoir pour panégyriste Tacite, son gendre. Né à Fréjus, dans la Gaule Narbonnaise, il étudia à Marseille la philosophie et la jurisprudence, plus qu'il ne paraissait convenable à un Romain et à un sénateur. Il se forma en Bretagne à l'art militaire; nommé tribun du peuple à Rome, il s'abstint d'agir, pour

Agricola.

78 85.

Cus.

ne pas donner d'ombrage à Néron. Chargé par Galba de vérifier
les offrandes faites aux temples, il fit cesser les accusations de sa-
crilége; sa mère fut tuée à Vintimille par les soldats d'Othon :
il se rangea du côté de Vespasien, et obtint le commandement de
la vingtième légion, employée dans la Bretagne : il gouverna en-
suite l'Aquitaine, puis fut nommé consul, enfin pontife et gou-
verneur de la Bretagne. Revenu dans cette contrée, il y fit cesser
les excursions des montagnards; l'île de Mona ( Anglesey) ayant
tenté de reconquérir son indépendance, il l'attaqua sans vaisseaux,
en traversant le canal à la nage avec ses troupes; et, pour ôter
toute occasion à des soulèvements à venir, il réprima la licence
militaire, prit soin que la justice régnât et non la faveur, que les
emplois fussent donnés à d'honnêtes gens, punit les prévaricateurs,
diminua les impôts, s'efforçant de faire sentir le moins possible la
servitude. Il continua, durant les années qui suivirent, à faire de
nouvelles conquêtes ou à consolider les anciennes : servi, en effet,
par l'inconstance et par la désunion des barbares, qui, combattant
isolément, se faisaient subjuguer les uns après les autres, il s'avança
jusqu'à l'embouchure du Tay, jusqu'aux bords de la Clyde et du
Forth: il se préparait même à débarquer en Irlande, qui, dans la
croyance où il était qu'elle se trouvait située entre la Bretagne et
l'Espagne, aurait facilité ses communications. Les Calédoniens,
prenant ombrage de ses succès, redoublèrent d'efforts contre lui, et
l'attendirent, au nombre de trente mille environ, au pied des monts
Grampians, sous le commandement de Galgacus; mais ils furent
entièrement défaits. Agricola fit le tour de la Bretagne et soumit
les Orcades; et, grâce à lui, une guerre commencée sous l'empereur
le plus stupide, continuée sous le plus débauché, terminée sous le
plus peureux, procura à l'empire le seul agrandissement qu'il reçut
durant le premier siècle. Mais les âpres montagnes où se perpétue
un hiver orageux, les lacs couverts d'un brouillard épais, les froi-
des et solitaires forêts où des Sauvages nus faisaient la chasse aux
cerfs, n'endurèrent pas longtemps le joug étranger.

Cependant Rome respirait après tant d'atrocités et de folies, 15 e1 vidius Pris- bien que les supplices n'eussent pas entièrement cessé. Helvidius Priscus, de Terracine, avait étudié la philosophie, non pour couvrir de ce nom une inertie voluptueuse, mais pour occuper plus dignement les magistratures ; et il avait épousé la fille de Thraseas Pætus, généreux citoyen qui lui laissa pour héritage sa constance à bien

faire et à dire la vérité. Banni lors de la mort de son beau-père, puis rappelé par Galba, il ne cessa, dans son zèle pour la liberté, de s'opposer aux actes arbitraires de cet empereur et de ses successeurs. Il fit aussi des sorties énergiques contre Vespasien, sans encourir aucune peine ayant célébré publiquement l'anniversaire de la naissance de Brutus et de Cassius, en exhortant le peuple à les imiter, l'empereur le fit arrêter; mais il lui rendit bientôt la liberté. Helvidius, ne changeant pas pour cela de manière de penser et ne modérant pas son langage, fut exilé; puis, comme il se mit encore.à décrier l'empereur de toutes ses forces, le sénat décréta sa mort. Vespasien envoya des ordres en toute hâte pour qu'on suspendît l'exécution, mais Mucien ou le hasard les fit arriver trop tard.

En voyant les louanges que Tacite, Pline le Jeune et Juvénal prodiguent à ce héros imprudent, nous sommes amenés à faire de tristes réflexions sur les ressources auxquelles la vertu est forcément réduite à recourir, quand lui manquent les moyens légitimes pour s'opposer aux abus du pouvoir.

Une conjuration contre Vespasien fut ourdie par Cæcina, Éprius Marcellus, espion de Néron, et plusieurs prétoriens. Mais le complot ayant été découvert, Marcellus prévint sa condamnation en se tuant; puis, comme ce n'était pas assez, pour faire prononcer celle de Cæcina, d'avoir trouvé sur lui la proclamation préparée pour soulever les soldats, Titus l'invita à souper, et le fit assassiner, genre de procédure expéditif.

pasien.

Vespasien se sentant mourir, dit : Je crois que je deviens dieu; Mort de Vesse raillant ainsi de la divinité que les Romains décernaient à leurs princes. Il se montra calme jusqu'au dernier moment; et comme il faisait effort pour se lever, en s'écriant: Un empereur doit mourir debout, il expira à l'âge de soixante-huit ans, après en avoir régné dix.

Il était d'usage de représenter aux funérailles des grands des comédies dans lesquelles le mort était mis en scène, et souvent d'une manière burlesque. Lors des funérailles de Vespasien, le bouffon qui jouait le rôle de l'empereur mort demanda aux inten dants de sa maison ce qu'il en coûterait pour ses obsèques; et, en apprenant la somme énorme que Titus y destinait, il reprit: Donnezmoi cet argent, et jetez le corps au Tibre, si vous voulez. Rome pouvait néanmoins se considérer comme heureuse, si elle n'avait

79.

24 juin.

Titus.

eu à reprocher que son avarice au successeur de Néron et de Tibère. La grandeur et la majesté, dit Pline, ne produisirent en lui d'autre effet que de rendre la puissance de faire le bien égale au désir qu'il en avait.

Titus, son fils, lui succéda. Élevé avec Britannicus, il devint très-habile en éloquence et dans l'art des vers, plus encore dans celui de la guerre. Tant que vécut son père, son avidité et son outrecuidance faisaient espérer peu de bien de lui. Il appuyait auprès de l'empereur quiconque lui offrait de l'argent; s'il était mal disposé contre quelqu'un, il faisait demander sa mort au théâtre ou au champ de Mars par des gens soudoyés; enfin ses amours avec Bérénice, sœur du prince juif Agrippa II, étaient vues d'aussi mauvais œil par les Romains que par les Juifs; les uns, redoutant une impératrice étrangère; les autres, scandalisés de ce qu'une princesse, leur compatriote, s'abaissât jusqu'à recevoir les embrassements du destructeur de leur nation.

Mais Titus, devenu empereur, renvoya Bérénice hors de l'Italie,

malgré l'amour qu'il ressentait pour elle. Non-seulement il ne fit aucun mal à Domitien, son frère, dissolu et intrigant, mais il lui of– frit de partager avec lui l'autorité. Il confirma par un édit les prérogatives accordées par ses prédécesseurs aux personnes ou aux cités. Le peuple avait toujours accès auprès de lui, même lorsqu'il était au bain. Ayant des jeux à donner, il invita les citoyens à lui dire quand et comment ils les désiraient; et chez lui l'affabilité ne nuisait en rien à la dignité. Comme on lui reprochait sa trop grande facilité à accorder, il répondit: Il faut que personne n'ait à s'éloigner attristé de la présence du prince; et un soir qu'il ne se rappelait aucun bienfait accordé depuis le matin, il s'écria : J'ai perdu ma journée. Loin d'envier le bien d'autrui, il refusa d'accepter des dons et des legs; et pourtant il dépensa énormément en présents, en spectacles et en édifices, ne le cédant, sous ce rapport, à aucun de ses prédécesseurs. Lors de l'inauguration de son amphithéâtre colossal, outre les gladiateurs, il donna en spectacle au peuple une bataille navale, et jusqu'à cinq mille bêtes féroces. Des désastres publics lui fournirent l'occasion de montrer une générosité plus éclairée. En effet, un incendie ayant consumé le Capitole, le Panthéon, la bibliothèque d'Auguste, le théâtre de Pompée, sans parler d'autres édifices moins importants, Titus déclara qu'il prenait tout le dommage à sa charge. Refusant donc les sommes

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