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ces mots Le cadavre d'un ennemi sent toujours bon, et plus encore celui d'un citoyen, il se fit apporter du vin, en but, et en fit distribuer aux assistants.

Le nouvel empereur se révélait pour ce qu'il était réellement, gourmand et cruel. Ce fut sur toute sa route à qui lui apporterait ce que le pays environnant produisait de plus exquis. Il réunissait à de splendides banquets les principaux citoyens ; et ses soldats, libres de toute contrainte, l'imitaient de leur mieux; si bien qu'on aurait cru que son camp célébrait les Bacchanales. Bien qu'il n'eût gardé avec lui qu'une partie de l'armée, soixante mille soldats, sans compter les hommes à la suite, traversèrent l'Italie à l'époque de la moisson, et la dévastèrent, pillant, violant, vendant les habitants comme en pays ennemi.

L'empereur s'étant approché de Rome, allait y entrer avec la cuirasse et l'épée, comme un conquérant chassant devant lui le sénat et le peuple, si ses amis ne l'eussent invité à lui épargner ce nouvel outrage, et à prendre l'habillement de paix. Dans sa harangue au peuple et au sénat, il parla en termes pompeux de son activité et de sa tempérance; et tous applaudirent à ses paroles, quand tous connaissaient sa gourmandise, sa paresse, ses débauches honteuses.

C9.

Un de ses premiers décrets défendit aux chevaliers romains de se donner en spectacle sur le théâtre et dans l'arène; un autre bannit les astrologues ; et comme on afficha un écriteau annonçant que Vitellius mourrait le jour où les astrologues sortiraient de Rome, il fit tuer tous ceux qu'on put saisir. Il fréquentait assidûment le théâtre et le cirque, et n'était pas moins exact aux séances du sénat. Un jour qu'il y fut contredit par Helvidius Priscus, il dit: Il n'y a rien d'étonnant à ce que deux sénateurs soient d'avis différent. Incapable toutefois d'occupations sérieuses, il laissait le soin des affaires à ses favoris Valens et Cæcina, qui lui avaient donné l'empire, et au compagnon de ses débauches, Asiaticus. C'est peutêtre à leurs suggestions qu'il faut imputer tout le sang dont se souilla Vitellius, et l'assassinat de sa propre mère. Ayant trouvé une liste des personnes qui avaient réclamé des récompenses d'Othon comme ayant pris part au meurtre de Galba, il les fit mettre à mort, moins comme châtiment du passé que comme garantie pour l'avenir. Sa principale occupation était de rechercher de nouveaux Sa gourman moyens d'aiguiser l'appétit. Faisant jusqu'à cinq repas par jour,

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tous servis à grands frais, il s'invitait lui-même à déjeuner chez un ami, à dîner chez un autre, à goûter chez un troisième, et à souper chez un quatrième, le tout pour le même jour; et c'était à qui le traiterait le plus splendidement. Mais son frère Lucius l'emporta sur tous les autres en lui servant deux mille plats de poisson et sept mille d'oiseaux, les plus exquis de tous les pays du monde. L'empereur lui-même imagina un plat appelé le bouclier de Minerve, pour sa prodigieuse ampleur, et qui réunissait les mets les plus propres à chatouiller par leur délicatesse le palais ou le caprice. C'étaient des cervelles de faisans, des foies de scares, des laitances de lamproies, des langues d'oiseaux rares aux mille couleurs, tirés de la cage à une certaine heure, les femelles surprises sur leur couvée, les mâles interrompus dans leur sommeil, attendu que l'agitation fait de leur foie un mets délicieux. C'était encore du frai de poisson détaché du fond des lacs par les procédés que l'on employait pour pêcher les perles; d'autres poissons envoyés à Rome dans l'eau même où on les avait pris; des champignons dont on épiait la naissance durant les nuits humides; des fruits embarqués avec la tige et le terrain qui les pro. duisait, afin que César, les cueillant de sa main, eût les prémices de leur parfum et de leur duvet. Partout où il passait, il fallait tenir des mets préparés; autrement il se jetait sur tout ce qu'il trouvait à mettre sous sa dent, dévorant jusqu'aux offrandes déposées sur l'autel des dieux; et en peu de mois il engouffra neuf cent mille sesterces. Il dissipa aussi beaucoup d'argent à faire bâtir des écuries, à donner des courses, des spectacles de gladiateurs et de bêtes féroces; à faire célébrer enfin en l'honneur de Néron de splendides obsèques, à la grande joie de la populace, à la profonde indignation des gens de bien.

Les nouvelles d'Orient vinrent troubler, mais non pas interromVespasien. pre, ses immondes loisirs. Vespasien, qui faisait la guerre aux Juifs, ayant appris la mort de Néron, envoya Titus son fils féliciter Galba; mais, informé en route de la fin de ce prince et de la lutte engagée entre Othon et Vitellius, Titus était revenu sur ses pas pour exhorter son père à s'emparer du pouvoir que se disputaient ces deux rivaux. Les légions d'Orient, se croyant en droit d'imposer un maître à l'univers aussi bien que celles de la Germanie et de la Gaule, jetèrent naturellement les yeux sur Vespasien: ses soixante ans, la pensée de jouer son avenir et celui de ses enfants

dans une tentative dont le résultat était le trône ou les gémonies, le firent balancer quelque temps: enfin il se laissa proclamer empereur. Les provinces d'Orient jusqu'à l'Asie et à l'Achaïe n'hésitèrent pas à lui jurer obéissance; alors, ayant pour lui des légions aguerries, des rois fidèles à sa cause, une grande expérience militaire, il s'apprêta à délivrer l'empire de l'ignoble Vitellius.

Il établit à Béryte un sénat pour la discussion des affaires, rappela les vétérans, ordonna de nouvelles levées, fit fabriquer des armes, battre monnaie; et, ayant laissé Titus en Judée pour continuer la guerre, il se rendit en Égypte. Il dirigea contre Vitellius le commandant de l'armée de Syrie, Mucien, qui se regardait comme son égal, et dont les forces augmentaient chaque jour. Levant des impôts sur sa route, il arriva en Europe, où, de l'Illyrie à l'Espagne et à la Bretagne, les légions proclamèrent Vespasien.

Le nouvel empereur voulait que les légions d'Illyrie s'avançassent jusqu'à une lieue d'Aquilée, en occupant les Alpes Pannoniennes, pour pénétrer en Italie quand d'autres forces les auraient appuyées; la flotte, en attendant, aurait croisé dans la Méditerranée, et réduit par famine la péninsule à se rendre sans effusion de sang. Mais Antonius Primus persuada à l'armée d'Illyrie de descendre des Alpes sans s'arrêter à Aquilée ; les villes d'Altinum, d'Este, de Padoue, de Vicence furent surprises, ainsi que Vérone, ville florissante; ce qui coupa à Vitellius les communications avec la Germanie et la Rhétie. Celui-ci bannissait le souci en faisant bonne chère; et comme il ne croyait pas le danger aussi pressant, il se figura qu'il suffirait de distribuer quelques troupes dans les différentes villes, pour les tenir en respect. Quand pourtant il se vit menacé de près, il se prépara à combattre, et mit son espoir dans les légions de Germanie. Mais Cæcina, qui commandait l'armée, le trahit. La flotte de Ravenne proclama Vespasien. Enfin une bataille fut livrée sous les murs de Crémone, et trente mille vitelliens y furent tués par des compatriotes et par des amis. Un fils immola son propre père, qu'il reconnut en le dépouillant; et, après l'avoir prié de ne pas le maudire, lui creusa sa tombe. Le camp des vitelliens une fois emporté, Crémone fut assiégée, et obtint après une résistance vigoureuse, la vie sauve pour ses habitants. Mais bien qu'Antonius Primus désirât vivement épargner une ville entourée d'habitations délicieuses, remplie d'une foule de gens accourus pour une foire solennelle et renfermant tant de richesses, il ne put

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à l'empire.

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réprimer la soif du butin, jointe à une haine invétérée. Crémone fut saccagée durant quatre jours, et détruite. Primus, irrité de la conduite des soldats, leur défendit de garder prisonnier aucun Crémonais; pour lui obéir, ils les tuèrent.

Valens, désireux de ramener la fortune sous les drapeaux de Vitellius, conçut le projet (la réussite en eût été terrible) de passer de l'Étrurie dans la Gaule, de la soulever ainsi que l'Allemagne, et d'apprêter à Vespasien une résistance vigoureuse. Mais une tempête le repoussa à Monaco, où, ayant appris que les Gaules avaient prêté serment à Vespasien, que l'Espagne et la Bretagne chancelaient dans leur fidélité, il congédia ses troupes, et s'en alla errant jusqu'aux environs de Marseille, où il fut arrêté.

Cependant Vitellius croyait remédier au danger en le taisant, erreur commune à d'autres époques ; aussi malheur à qui aurait dit, près de l'empereur, un mot des désastreuses nouvelles du jour! II envoyait des espions à la découverte dans le camp de Vespasien, et les faisait tuer aussitôt pour qu'ils ne parlassent pas; en même temps il désignait les consuls pour dix ans, donnait le droit de cité à des étrangers avec de larges concessions; et dans les salles de Rome, dans les parcs d'Aricie, oubliant le passé, le présent, l'avenir, il buvait, mangeait et s'abandonnait à la luxure. Le centurion Julius Agrestis ayant en vain cherché à le tirer de sa torpeur, lui demanda la permission d'aller vérifier par ses yeux les forces et l'attitude de l'ennemi. Il l'obtint, et se rendit près de Primus, à qui il déclara le motif qui l'amenait. Après avoir vu Crémone en ruines, les légions prisonnières et le camp puissamment défendu, il revint faire son rapport à Vitellius; et comme il le trouva incrédule, il se tua, en témoignage de la véracité de son récit. Tant l'on faisait alors peu de cas de la vie!

Enfin l'empereur envoya occuper les passages de l'Apennin: puis, le péril devenant plus imminent, il rejoignit l'armée avec une suite de sénateurs qui ne le rendaient que plus méprisable. Demandant avis tantôt à l'un, tantôt à l'autre, on le voyait, à chaque nouvelle de l'approche de l'ennemi, se décourager, et boire jusqu'à s'enivrer. Quand il apprit que la flotte de Misène avait passé du côté de son rival, il regagna Rome, où il employa pour attendrir le peuple les prières, les larmes, les promesses, dont il était d'autant plus prodigue qu'il ne pouvait les tenir ; et il réunit ainsi une tourbe de gens sans aveu, à laquelle il donna le nom de légion. Mais à peine

Primus eut-il traversé l'Apennin avec la rapidité de la foudre, qu'ils désertèrent par bandes, surtout lorsqu'ils eurent vu la tête sanglante de Valens, le dernier espoir des vitelliens.

Après avoir, contrairement aux ordres de Vespasien, versé des torrents de sang, on songea à faire cesser le carnage en persuadant à Vitellius de renoncer à l'empire: lui, qui ne voyait plus de chance favorable, y était assez enclin; mais le peuple s'y opposa. Rome avait alors pour gouverneur Sabinus, frère de Vespasien, qui, nonobstant les conseils de l'ambition domestique, les exhortations des grands, et le désir de mettre fin à la guerre, restait fidèle. Ce ne fut qu'au moment où se répandit le bruit de l'abdication de Vitellius, qu'il se décida à prendre les armes ; mais le peuple, atteint d'une frénésie subite, le cerna dans le Capitole, où il fut attaqué avec le fer et le feu; les maisons voisines furent incendiées; et les vitelliens, pénétrant dans le Capitole à travers les flammes qui en avaient gagné les portiques, y passèrent au fil de l'épée tout ce qui fit résistance. Sabinus fut massacré par ce peuple furieux, qui, sorti, on ne sait pourquoi, de son indifférence, mettait la plus grande ardeur à défendre une cause qui n'était pas la sienne, et un empereur qu'il devait le lendemain traîner dans le Tibre.

A la nouvelle de l'incendie du Capitole et du meurtre de Sabinus, Primus marche sur Rome. Vitellius, bien qu'enhardi par le zèle de la multitude, lui envoie avec les vestales un ambassadeur, pour réclamer un seul jour de réflexion; mais il ne l'obtient pas, et ses partisans sont refoulés dans la ville. Bientôt la ville elle-même est prise; mais la bataille continue longtemps dans les rues, ой périssent cinquante mille hommes. La populace, trouvant une sauvegarde dans sa bassesse, applaudissait ou sifflait les combattants, comme elle faisait aux spectacles: si l'un d'eux se réfugiait dans quelque maison, elle se faisait un jeu de le repousser, criant, Qu'il meure! comme atteinte de démence.

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lius.

Vitellius, abandonné, chercha à s'enfuir; puis il se cacha dans un chenil, où il ne tarda pas à être découvert. Alors, les vêtements dé- Mort de Vitelchirés, une corde au cou et les bras liés derrière le dos, il fut 20 décembre. promené par la ville au milieu des hurlements de cette populace qui l'adorait deux jours auparavant. A tous les outrages dont on l'accablait, il ne répondit que par ces seuls mots : Je fus pourtant votre empereur. Peu de moments après, il avait cessé d'exister.

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