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leure manière d'apprendre à bien régner, c'était d'observer ce que l'on condamnerait et ce que l'on approuverait chez d'autres princes, et l'invitant aussi à se rappeler que la nation qu'il devait gouverner ne savait supporter ni la liberté ni la servitude.

Les soldats et le sénat approuvèrent le choix de l'empereur; mais il blessa vivement Othon, qui, ayant soutenu chaleureusement Galba, espérait que la reconnaissance lui aurait fait jeter les yeux sur lui. Voyant donc qu'il n'avait rien à attendre dans un état de choses tranquille, et que le trouble pouvait seul offrir des chances brillantes à son ambition, il tenta une révolution. Ses dettes et les suggestions des affranchis, les réponses des devins, la marche des planètes, l'autorité défaillante de Galba, celle de Pison encore mal affermie, lui inspirèrent tant d'audace, que, n'ayant pour lui qu'une poignée de fantassins, il entreprit de s'emparer de l'empire, et il réussit.

Othon fut proclamé empereur par vingt-trois gardes prétoriens seulement, gagnés à prix d'or. D'abord épouvanté de leur petit nombre, il fut au moment de s'enfuir. Mais bientôt il s'en joignit d'autres aux premiers, puis d'autres encore: les indifférents n'y mirent point obstacle, et ceux qui étaient opposés au mouvement restèrent inactifs. Pison accourut, et représenta combien ce serait un exemple honteux que de laisser trente déserteurs donner au monde un maître : alors le peuple se rua en foule dans le palais criant Mort à Othon! comme il avait coutume de faire dans les théâtres. Mais ce n'était pas par amour pour Pison, ni par la pensée du bien public; il obéissait à l'habitude de flatter les princes par des acclamations désordonnées, de leur témoigner une vaine faveur, prêt à changer une heure après.

Othon se présente au milieu de ce tumulte insensé, les mains étendues; il se frappe la poitrine, il envoie des baisers et s'humilie en cent façons, pour régner. Une foule de curieux ou de partisans s'amasse autour de lui; et les prétoriens d'abord, puis la légion des marins, qui' garde le souvenir de l'outrage reçu, lui prêtent serment de fidélité. Galba sort du palais tout armé; il est sur un siége, car l'âge lui a enlevé ses forces; il se trouve ballotté, sans conseils, au milieu d'un peuple qui n'est ni soulevé ni calme, mais dont les sourds murmures révèlent une grande crainte et une Mort de Galba. grande irritation. Enfin il est abandonné de tous et mis à mort. Il présenta tranquillement sa poitrine aux assassins, en leur disant

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de frapper, si c'était pour le bien de la république. Il était âgé de soixante-treize ans, et avait régné neuf mois et demi. C'était plutôt un homme exempt de vices que doué de vertus. Sans être avide de l'argent d'autrui, il fut économe du sien et avare de celui de l'État. Il vécut tranquille et modéré sous cinq empereurs, et parut digne de l'empire tant qu'il ne l'eut pas obtenu. Maître et ami trop indulgent, il se mit à la merci de ministres corrompus, qui le firent paraître digne de sa fin tragique; fin qui désormais sera fatalement celle des empereurs romains.

Sénat, peuple, chevaliers, comme s'ils n'eussent pas été les mêmes, coururent à l'envi féliciter le nouvel empereur, maudissant Galba, baisant les mains d'Othon, lui prodiguant les titres et les acclamations; enthousiasme d'autant plus vif qu'il était moins sincère. Othon accueillit ces hommages avec affabilité, et chercha à contenir les soldats, avides de sang et de pillage; mais il avait le pouvoir de leur commander le crime, non celui de l'empêcher; et il dut déposer plusieurs magistrats, et en nommer d'autres au gré de leur caprice.

Vinius fut massacré; il en fut de même de Lacus, d'Icélus, de Pison et de beaucoup d'autres avec eux, tant innocents que coupables, comme il arrive dans les séditions. Ce jour de boucherie fut terminé par des fêtes et des feux de joie. Le lendemain, le préteur ayant convoqué le sénat, fit décréter la puissance tribunitienne à Othon, qui traversa les rues ensanglantées de Rome et monta au Capitole, où il fut salué du titre de César Auguste. Il pardonna à ses ennemis; ou peut-être différa-t-il une vengeance que la brièveté de son règne ne lui permit pas d'accomplir.

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Les prétoriens étaient dans l'usage de payer une taxe à leur capitaine pour se racheter des corvées ordinaires; et celui qui à force de voleries et d'offices serviles parvenait à la payer en surchargeant ses camarades, passait dans l'oisiveté le temps de son service. Lorsqu'il était expiré, ces soldats se trouvant pauvres et amollis devenaient insolents, factieux, et ne pouvaient désirer que la guerre civile. Othon abolit cette taxe immorale, en offrant d'indemniser les officiers à ses dépens.

Cependant les armées qui donnaient l'empire pouvaient aussi le refuser. Vitellius, qui se trouvait dans la basse Germanie, conçut sinon l'espoir assuré, du moins le désir de régner; et, s'étant as

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2 juin.

suré le concours d'Aliénus Cæcina, qui dans la haute Germanie avait soulevé ses troupes contre Galba, il se fit proclamer empereur par les soldats, prit en main l'autorité, et se mit à récompenser et à punir. Les gouverneurs de la Gaule Belgique et de la Lyonnaise se déclarèrent pour lui, ainsi que les garnisons de la Rhétie et de la Bretagne. Il expédia alors en Italie, chacun à la tête d'une armée, Fabius Valens par le mont Cénis, et Cæcina par le grand Saint-Bernard. La terreur ouvrit au premier les villes de la Gaule Cisalpine, où parvint, lorsqu'il la traversait, la nouvelle de la mort de Galba et de l'élection d'Othon. Mais la soif de sang et de pillage dont ses soldats étaient animés ne fut pas calmée pour cela. Cæcina passa par le pays des Helvètes, déchus désormais de leur aneien courage, et gagna l'Italie, où Milan, Novare, Ivrée, Verceil s'étaient déjà déclarées pour Vitellius.

Rome, disputée entre deux hommes également méprisables pour leur inertie et leurs débauches, n'avait de chance certaine que celle d'appartenir à un mauvais maître, quel que fût le vainqueur: les guerres civiles lui revenaient en mémoire, la prise de la ville, l'Italie dévastée, les aigles combattant contre les aigles, à Pharsale, à Pérouse, à Modène et à Philippes.

Othon, pour se rendre agréable au peuple, s'arrache aux voluptés et à son insouciance oisive; il pardonne à quelques personnes, ordonne à Tigellin de mourir; cherche à faire renoncer Vitellius à son entreprise en lui faisant les plus brillantes promesses, jusqu'à lui offrir de l'associer à l'empire. Vitellius lui fait les mêmes propositions; puis ils s'adressent l'un à l'autre des injures énormes et méritées, et ils s'expédient l'un à l'autre des assassins.

Othon avait pour lui la plupart des provinces, qu'il ménageait. A Rome il se montrait assidu aux affaires, et se conciliait le peuple par des allocutions flatteuses, le sénat par des dignités, les prétoriens par des largesses. Ces soldats se figurant un soir qu'il se trame un complot contre Othon, prennent les armes, courent par la ville comme des furieux, se jettent sur le palais, où l'empereur traitait les principaux citoyens et les sénateurs; et c'est à peine s'ils s'apaisent lorsqu'ils l'ont vu vivant. La terreur fut grande, et bien que les mutins fussent rentrés dans l'ordre, grâce à l'argent distribué, la ville n'en resta pas moins dans l'effroi, d'autant plus qu'un autre empereur s'avançant, toute partialité témoignée aujourd'hui à l'un pouvait le lendemain servir de prétexte à la ven

geance de l'autre. C'est pourquoi les sénateurs, bien que favorables à Othon, n'osaient rien décréter contre Vitellius. Des prodiges, des apparitions de fantômes, des statues renversées, des naissances monstrueuses ajoutaient à l'épouvante. Un boeuf avait parlé dans l'Étrurie; le Tibre débordé avait porté plus loin que jamais l'inondation, et, entraînant les récoltes, occasionné la disette. Il n'était pas dans Rome une seule classe qui ne tremblât et ne se crût en péril. Les principaux sénateurs étaient affaiblis par l'âge ou par une longue paix; la noblesse insouciante avait oublié la guerre ; les chevaliers ne savaient plus ce que c'était que le service militaire; et tous étaient d'autant plus effrayés qu'ils s'efforçaient de dissimuler leur frayeur. Il en était cependant qui par folle ambition achetaient de belles armes, des chevaux de prix, faisaient même parade de banquets, de voluptés, comme si c'eût été là des instruments de guerre; et quand tout homme sensé tremblait pour la paix et pour la chose publique, les étourdis se montraient pleins d'une folle audace et sans inquiétude de l'avenir.

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Othon voulut sortir de cette position incertaine, et marcha audevant du danger. Il s'avança vers la Provence avec la plupart des magistrats et des personnages consulaires, à la tête des cohortes prétoriennes. La fortune le seconda dans cette partie de la Gaule, qui eut cruellement à souffrir et fut mise à feu et à sang. Une mère, mise à la torture pour qu'elle révélât l'endroit où elle avait enfoui son trésor, tandis qu'elle n'avait caché que son fils, expira au milieu des tourments, sans dire autre chose que : Il est enterré là; et elle montrait son ventre. Le pays entre les Alpes et le Pô se soumit à Vitellius, non par inclination ou par haine, mais seulement par indifférence pour le maître auquel il devait obéir. La lutte se prolongea longtemps dans ces contrées, et elle fut acharnée comme le sont d'ordinaire les guerres civiles auxquelles prennent part des auxiliaires étrangers. Enfin les deux armées se livrèrent bataille à Bédriac, et celle d'Othon fut taillée en pièces, Bataille de BeUn soldat, qui était allé en porter la nouvelle à Brixellum, où Othon l'attendait, voyant qu'on ne le croyait pas et qu'on le prenait pour un fuyard, se perça de son épée. A ce trait de courage, l'empereur s'écria : Il ne sera pas dit que des gens si braves et si affectionnés seront exposés à cause de moi à de nouveaux périls; et il résolut de mourir. En vain ses soldats, pour ranimer son courage, lui représentèrent que rien n'était désespéré

driac.

14 avril,

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quand tous voulaient donner leur vie pour lui; en vain quelquesuns se tuèrent sous ses yeux pour lui en donner la preuve ; en vain d'autres lui dirent que la grandeur d'âme consistait à supporter les revers et non à s'y soustraire par la mort, il les suppliait tous de le laisser sacrifier sa vie pour sauver celle de tant d'hommes. Il ne s'agit pas, disait-il, de combattre Pyrrhus ou les Gaulois, mais des concitoyens ; et la victoire ne peut être acquise qu'au prix de beaucoup de sang fraternel. Vitellius a pris les armes, j'ai dû me défendre; mais la postérité saura que je n'ai voulu exposer qu'une fois pour moi des Romains contre des Romains. Vitellius trouvera son père, sa femme, ses enfants sains et saufs. Si d'autres ont gardé l'empire plus longtemps que moi, personne ne l'aura abandonné plus généreusement. Je ne me plains de personne; car s'en prendre aux hommes et aux dieux au moment de mourir, c'est montrer qu'on regrette la vie.

Celui qui parlait ainsi avait été le complaisant de Néron, le complice de ses turpitudes; s'était chargé de lui garder Poppée jusqu'à ce qu'il se fût débarrassé d'Octavie, s'était perdu de dettes par ses prodigalités, s'épilait tout le corps et se rasait chaque jour, s'adoucissait la peau en la frottant avec de la mie de pain détrempée, portait sans cesse à son côté, avec plus de pompe que Turnus les dépouilles d'Aruns, un miroir devant lequel il se composait un air martial avant de marcher à l'ennemi.

Lorsqu'il eut persuadé à ses amis de ne point compromettre leur salut en s'opposant à sa résolution, Othon se disposa à mourir dans Mort d'Othon. la soirée ; puis il dit: Ajoutons encore cette nuit à notre vie. Il place alors deux poignards sous son oreiller, et s'endort. Le lendemain matin, il met fin à ses jours.

15 avril.

25 mal.

Ses soldats, pleurant un empereur qui mourait à trente-sept ans pour les sauver, se mutinèrent avec une fureur d'autant plus redoutable que personne n'était là pour les apaiser. Ils offrirent l'empire sans trouver personne qui voulût l'accepter; et tandis que le sénat se déclarait pour Vitellius et décrétait des remercîments aux légions de Germanie, la licence militaire augmentait des deux côtés. Vitellius, qui était accouru en Italie, pardonna aux principaux officiers de son compétiteur, et punit de mort les autres. Il se rendit de Crémone à Bédriac pour repaître ses yeux du spectacle du champ de bataille, encore couvert de cadavres sans sépulture; il se complut à contempler leurs blessures; et en prononçant

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