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d'esclaves abandonnés aux blasphèmes et à la promiscuité, d'autres antres où l'humanité se régénérait au milieu des pleurs, et qui étaient creusés dans la roche même qui fournissait les matériaux pour de voluptueuses demeures. Les catacombes dites de Caligula s'étendaient en serpentant sous la terre jusqu'à une distance de sept milles. C'était là que les chrétiens enterraient leurs morts dans des niches qu'ils muraient ensuite, eu y renfermant aussi les instruments de leur supplice, une fiole de leur sang, les insignes de leur dignité, des couronnes pour les vierges; et parfois aussi on y inscrivait le nom du défunt. Ils appelaient ces asiles cimetières, c'està-dire dortoirs; expression révélatrice d'une conscience pure, consolée par la certitude du réveil dans une autre vie.

La veille des solennités, les pieux lévites venaient tour à tour dans ces lieux souterrains, pour chanter toute la nuit des hymnes au Seigneur. La mélodie sacrée servait à guider les fidèles, qui, se dérobant secrètement de la ville et de l'ergastulum de maîtres inhumains, venaient trouver leurs frères déjà mutilés dans le martyre, les évêques échappés miraculeusement au bûcher, les philosophes changés en apôtres, qui, ayant enfin rencontré la solution de tous leurs doutes, se consacraient à porter la vérité chez les nations environnées de l'ombre de la mort, et à lui rendre témoignage en sacrifiant leur vie pour elle.

Hilarie, Flavie, Sévérine, Firmine, Justa, Cyriaque, trois Priscilles, plusieurs Lucines, et plusieurs autres riches veuves transformées en diaconesses, passaient les jours à prier sur les tombes des martyrs, qu'elles ornaient avec le soin et le secret apportés par d'autres dans la décoration de leurs boudoirs lascifs. Des mères vénérables, des vierges saintes, expiaient le méfait de celles qui se prostituaient pour les déesses, en priant assidûment, en secourant les pauvres et tous ceux qui souffraient. Quand Vesta ne trouvait plus de prêtresses qui voulussent lui consacrer leur virginité, une foule de jeunes filles s'offraient à l'envi pour être préposées à la garde des ossements sacrés.

L'évêque et l'ancien des prêtres présidaient dans l'assemblée; et quand l'égoïsme rongeait mortellement l'ancienne société, la vigueur surabondait dans la nouvelle, où l'amour découlait de la source inépuisable de la foi. Pour ses membres la vie était un combat; la mort, un prix qu'ils devaient mériter. Dans les lieux dédiés au Seigneur, disparaissaient les distinctions inhumaines du siècle.

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Le riche s'asseyait près du pauvre qu'il nourrissait de ses bienfaits. Les vierges de la plus humble condition, la tête couverte de blancs voiles de lin, portant au cou l'image de l'agneau qui efface les péchés du monde, chantaient et priaient avec les matrones et les veuves des sénateurs et des proconsuls qui, après avoir donné toutes leurs richesses à l'assemblée des fidèles, répandaient, à défaut d'argent, les secours de la charité. Tout l'ornement du lieu consistait dans le tombeau d'un martyr, quelques fleurs (1), quelques vases de bois, un petit nombre de flambeaux ou de lampes pour lire l'Évangile. L'évêque, le diacre, le prêtre, c'est-à-dire le président, le serviteur, le vieillard, ne se distinguaient que par une vertu plus grande, par plus de science et de charité, afin de pouvoir mieux souffrir et consoler, rétablir la paix, compatir, et distribuer la parole.

Unis dans la même religion, dans la même morale, dans la même espérance, leur conjuration consistait à prier Dieu en commun, et à lire les saintes Écritures. Celui qui pouvait le faire apportait chaque mois un peu d'argent pour nourrir et ensevelir les pauvres, pour venir en aide aux orphelins, aux naufragés, aux exilés, aux condamnés. Comme frères, ils étaient prêts à mourir les uns pour les autres; tout était en commun, à l'exception des femmes; leurs repas s'appelaient œuvres de charité (agapes); assis à la table, ils y faisaient circuler les calices du sang divin; puis ils consommaient le repas à la gloire de celui qui la donne, et ils s'égayaient de la joie du pardon et du sacrifice au sein d'une fraternité affectueuse.

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Si le peuple et le sénat s'étaient réjouis de la mort de Néron, is durent être consternés en pensant à la manière dont Galba venat d'être élu. Un empereur pouvait donc être fait hors de Rome, ce dangereux secret venait d'être dévoilé (2); le pouvoir suprême

(1) Tertullien réprouve l'usage des fleurs sur les tombeaux.

(2) Evulgato imperii arcano principem alibi quam Romæ fieri. TACITE, Hist., 1, 4.

résidait donc dans l'armée; et le despotisme, aristocratique jusque-là par l'élection du sénat, devenait démocratique par l'élection des soldats.

Servius Sulpicius Galba était né à Terracine, d'une illustre famille; riche et ambitieux, une foule de présages lui avaient annoncé l'empire, et durant sa préture il s'était fait chérir du peuple en lui procurant un spectacle nouveau, celui d'éléphants dansant sur la corde. Nommé au commandement des troupes en Germanie, il y rétablit la discipline. Il fut aimé de Claude, puis il s'effaça de son mieux sous Néron, pour ne pas exciter ses soupçons. Comme il s'attendait à chaque instant à être proscrit, il ne sortait jamais sans être muni d'une forte somme d'argent, pour le cas où il lui faudrait fuir tout à coup. Néron lui confia cependant le gouvernement de l'Espagne Tarragonnaise, où, après avoir montré d'abord une excessive rigueur, il mollit bientôt, soit par nonchalance naturelle, soit par peur.

Il se fit aimer dans cette province en réprimant les concussions; et elle lui prêta son appui lorsqu'il se révolta contre Néron, afin, disait-il, de rendre au peuple le premier des biens, la liberté, qu'un monstre lui avait ravie. Mais quand Vindex se fut tué, et quand Virginius eut déclaré qu'il ne voulait pas être empereur, ni souffrir qu'un autre le fût sans le consentement du sénat; voyant la fidélité de ses troupes chanceler, il se retira à Clunia, résolu à se donner la mort.

Sur ces entrefaites il apprend que Néron n'est plus ; et ses espérances se ranimant tout à coup, il prend le titre d'empereur, puis il se dirige vers Rome avec la foule de ceux qui s'inclinent devant le soleil levant. Mais il commence son règne sous de tristes auspices, en châtiant les villes et les individus qui avaient refusé de le soutenir dans sa révolte. Parmi les rivaux qu'il pouvait craindre', Vespasien, alors occupé à faire la guerre en Judée, lui promit obéissance; Virginius Rufus refusa l'empire qui lui était offert; seul, Nymphidius Sabinus, commandant des prétoriens qu'il avait gagnés par ses libéralités, reçut les hommages du sénat, auquel il adressa de graves reproches pour avoir expédié à Galba des dépêches sans les avoir fait sceller de son sceau. Bien qu'il n'eût pas le titre d'empereur, il n'en exerçait pas moins l'autorité souveraine, et laissait assez comprendre que si le tyran était tombé, la tyrannie existait encore. Tandis que sénateurs et patriciens se pressaient en

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foule à sa porte, le félicitant d'avoir déposé Tigellin et sauvé la patrie, il se conciliait le peuple en lui livrant en spectacle, et pour les massacrer, les amis de Néron; il poussa bientôt si loin l'abus du pouvoir, que Mauriscus, sénateur respectable, en vint à dire dans la curie: Je crains que celui-ci ne fasse regretter le gouvernement de Néron. Mais bientôt Nymphidius ayant voulu suborner les soldats et les amener à le proclamer empereur, ils se jetèrent sur lui et le tuèrent.

La boucherie qui fut faite de ses complices et de ses partisans annonça aux Romains que le doux Galba ne s'écarterait pas des voies sanglantes. Lorsqu'il arrive au pont Milvius, un corps de marins, que Néron avait organisé en légion, se présente à lui et demande à être conservé. Galba refuse; et comme ces hommes se mutinent, il les fait charger par la cavalerie. Sept mille sont tués dans le combat, et les autres sont jetés en prison. Beaucoup d'autres supplices suivirent cette exécution, et tous furent ordonnés avec une froide insouciance. Comme on le priait une fois d'épargner à un chevalier la honte du supplice, il commanda que l'échafaud fût peint et orné de fleurs.

Galba jouissait pourtant d'une réputation de douceur; mais la nonchalance dominait chez lui; et si ce défaut était supportable chez l'homme privé, les conséquences en devinrent funestes lorsque, parvenu à l'empire, il se laissa mener aveuglément par Cornélius Lacus, Marcianus Icélus et Titus Vinius, que le peuple appelait ses pédagogues parce qu'il les avait sans cesse à ses côtés. Vinius, souillé des vices les plus odieux, avait poussé la bassesse jusqu'à voler une coupe d'or à la table de Claude, qui ne l'en avait puni qu'en le faisant boire le lendemain dans une coupe de faïence; ménagement dont il fut redevable au souvenir de la ruse et de l'audace qu'il avait déployées à la mort de Caligula. Cornélius Lacus, chef des prétoriens, n'avait de courage et d'activité que dans l'opinion qu'il avait de lui-même. L'affranchi Icélus, élevé par Néron au rang de chevalier, amassa en sept mois de faveur plus de richesses que les plus avides affranchis de Néron en quatorze années. Il n'était pas de méfait honteux que ces trois hommes ne se permissent audacieusement. Ne tenant compte ni du mérite pour les emplois, ni du bon droit pour les jugements, et favorisant ceux qui donnaient le plus, ils firent renaître les misères et les horreurs du temps de Néron. La haine que leurs cri

mes inspiraient s'accumulait donc sur Galba, en même temps que le mépris pour son insouciance personnelle; et sa domination devenait insupportable au peuple.

La populace avait vu mettre à mort avec des transports de joie ceux qui s'étaient faits les instruments des atrocités de Néron, entre autres Narcisse et l'empoisonneuse Locuste; et chaque fois que Galba paraissait en public, elle lui demandait à grands cris le supplice de Tigellin. Galba n'aurait pas tardé à jeter encore cette tête à la multitude, si Vinius, dont l'avidité convoitait la somme immense que lui avait promise Tigellin, n'eût persuadé à l'empereur qu'il y aurait cruauté à livrer au bourreau un homme qui se mourait de consomption. Galba parla en effet dans ce sens aux Romains; et, afin de colorer le stratagème, Tigellin sacrifia aux dieux pour sa guérison; mais le soir même il fit une orgie en compagnie de Vinius, et le peuple, qui le sut, n'en fut que plus irrité contre Galba.

En même temps que le nouvel empereur laissait ceux qui l'entouraient se livrer à la corruption la plus éhontée, il poussait à l'excès la rigueur envers les autres; et son avarice mesquine le rendait ridicule et odieux à une multitude accoutumée à de folles prodigalités. Un musicien qui l'avait amusé durant tout un souper reçut de lui une pièce d'argent; encore Galba l'avertit qu'il la lui donnait de sa propre bourse. S'il voyait qu'on le servit plus splendidement que d'habitude, il montrait beaucoup de mauvaise humeur. Il voulut même apporter remède aux libéralités excessives de son prédécesseur, et ordonna que quiconque avait reçu de lui des dons fût tenu d'en restituer les neuf dixièmes. Il créa à cet effet un tribunal qui porta le désordre dans les propriétés, et causa plus de mécontentement qu'il n'enrichit le trésor. La même lésinerie lui fit refuser aux prétoriens la distribution qui leur avait été promise. J'ai choisi les soldats, répondit-il, je ne les ai pas achetés; mot digne d'un ancien Romain, s'il avait su le soutenir par les faits. Se voyant méprisé par le peuple et haï des soldats, notamment à cause de la rigueur de la discipline, et ayant appris la révolte de plusieurs légions en Germanie, il résolut d'adopter un successeur. Son choix fut bon, et dicté par la sagesse ; il tomba sur Pison Licinianus, jeune homme estimé pour sa modestie et la sévérité de ses mœurs. Il l'exhorta à supporter sa haute fortune non moins dignement que sa condition obscure, lui disant que la meil

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