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C'est ainsi que ces lettres révèlent d'un côté la sublimité d'un esprit vigoureux et lucide, dont parfois la langue grecque ellemême ne secondait pas suffisamment les élans et la profondeur (1); de l'autre, la simplicité de l'homme qui recommandait à Timothée de lui apporter avec ses livres le manteau qu'il avait laissé dans la Troade. Ce qu'il y a surtout d'admirable en lui, c'est l'ardeur de la charité, qui lui fait dire : « Si je parlais la langue de tous les hom<< mes et celle des anges, en restant privé de la charité je serais «< comme une cymbale retentissante. Si je prophétisais, et que je con<< nusse tous les mystères et la science, que j'eusse assez de foi pour << transporter les montagnes, et qu'il me manquât pourtant la charité, je ne serais rien; quand je donnerais tout mon bien aux « pauvres, quand j'exposerais mon corps aux flammes, cela ne me << servirait à rien sans la charité. Les prophéties seront abolies, les « langues cesseront, la science se dissipera; la charité seule ne « périt pas (2). »

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Une tradition qui remonte jusqu'aux premiers temps fait croire que Pierre et Paul scellèrent leur foi par le martyre à Rome, le 29 juin de l'an 67, et qu'ils sanctifièrent de leur sang la terre qui avait été souillée par celui de tant de victimes.

Cependant la lumière se répandait peu à peu, sans que les yeux du monde en fussent frappés, mais en gagnant toujours et en se faisant sentir par les œuvres de la charité. Y avait-il des larmes à essuyer, des ignorants à éclairer, des misères à soulager, des âmes découragées à ranimer, un apôtre se trouvait là, qui, semblable à l'ange de Dieu, ramenait le calme et disparaissait, en laissant ceux qu'il avait consolés bénir une religion qui, tout en ne paraissant occupée que du ciel, répandait tant de bonheur sur la terre. C'était chose nouvelle que cette sollicitude zélée pour la classe infime, honnie et foulée aux pieds par les doctes et les puissants; que ces anciens qui allaient prêchant à tous la parole sainte; que ces diacres portant l'aumône même à ceux qui les lapidaient; que ces hommes pieux s'empressant de recueillir les petits enfants, abandonnés par des pères ou vicieux ou fainéants, parce que le Christ

pas Je suis un homme de rang, cette occupation ne me sied pas. Le rabbin Joanan était pelletier; Nahum, copiste; un autre Joanan faisait des sandales; le rabbin Juda savait faire le pain. »

(1) Voy. le commencement de l'épître aux Éphésiens. (2) Épit. I, aux Corinthiens.

avait dit: Quiconque abrite en mon nom l'un de ceux-ci m'abrite moi-même (1).

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Corinthe, la ville de la débauche légale, où des milliers de jeunes filles se prostituaient en l'honneur de Vénus, fut transformée par les lettres des apôtres, et atteignit une perfection édifiante. « Qui « n'apprécie, écrivait saint Clément à ceux de cette Église, qui n'apprécie votre fermeté dans la foi, la modération chrétienne de « votre piété, la magnificence de votre hospitalité, la perfection et • la solidité de votre savoir? Toutes vos œuvres ont été faites sans égard aux personnes, en communiant selon la loi de Dieu; en « vous montrant obéissants envers vos pasteurs, respectueux « pour les vieillards; en insinuant aux jeunes gens l'honnêteté et « la tempérance, aux femmes la pureté et la chasteté de la cona science, l'amour de leurs maris, la soumission, l'économie mo<< deste. Pleins d'humilité, plutôt prêts à vous soumettre qu'à « soumettre les autres, à donner qu'à recevoir, contents de ce que « Dieu vous donne, gardant sa parole, une douce paix régnait parmi ❝ vous, ainsi que le désir de faire le bien avec une volonté droite << et une sainte confiance. Occupés nuit et jour dans l'intérêt de « vos frères, sincères, innocents, ne conservant pas de ressenti<< ment des injures, vous pleuriez sur les erreurs du prochain << comme si elles eussent été les vôtres. »

C'est ainsi que le troupeau était dirigé par la voix et par l'exemple des apôtres et des évêques, qui, pour soutenir la foi, étaient toujours prêts à souffrir sans pousser une plainte. Car Jésus-Christ n'avait pas promis des richesses, des jouissances, du pouvoir; mais il avait annoncé des austérités, des persécutions, et prêché l'obéissance.

Leur vertu sévère était toutefois tempérée par une bienveillance affectueuse. Jean, le disciple bien-aimé, l'évangéliste de l'amour, l'exilé de Pathmos, ayant rencontré un jeune homme plein d'excellentes dispositions, le recommanda à un évêque; mais celui-ci lui accorda une liberté trop grande, ce qui lui fit fréquenter de mauvaises compagnies ; et il en vint jusqu'à attaquer les voyageurs sur les chemins. Jean, de retour, demanda compte à l'évêque du dépôt précieux qu'il lui avait confié; et ayant appris qu'il était mort, c'est-à-dire que son âme était perdue, il en gémit dans toute l'amertume de son cœur ; puis il s'en alla au bois infesté par les mé

(1) SAINT MATTHIEU, XVIII, 3.

faits de ce malheureux. Dès que celui-ci l'eut reconnu, il se prit à fuir; mais Jean le suivit, en le suppliant de ne pas se dérober à son vieux père désarmé, et il n'y eut point pour lui de repos qu'il ne l'eût rejoint et ramené à la vertu.

Ce même évangéliste s'amusait un jour avec une perdrix apprivoisée; et comme un chasseur s'étonnait de voir un homme si vénérable prendre plaisir à un jeu d'enfant, il lui dit: Cet arc que tu tiens à la main, pourquoi ne le laisses-tu pas toujours tendu? — Parce qu'il se briserait, lui fut-il répondu. C'est ainsi, reprit le saint, que je donne quelque reláche à mon esprit, pour qu'il résiste mieux à de nouvelles fatigues (1).

Parvenu à la vieillesse, il ne pouvait plus ni prêcher ni se soutenir; mais il se faisait porter à l'église, où il ne prononçait que ces seuls mots: Mes enfants, aimez-vous les uns les autres ; et comme ses auditeurs lui demandaient pourquoi il ne leur disait jamais autre chose : C'est, répondit-il, parce que tel est le commandement de Dieu, et qu'il suffit de l'observer.

Les chrétiens étaient d'ordinaire vêtus 'uniquement de blanc, d'étoffes communes, sans plis traînants ni luxe d'ornements, afin que l'habit n'eût pas plus de valeur que l'homme. Ils se réglaient dans la mesure de leurs aliments d'après le besoin, et non d'après la sensualité; ils se nourrissaient plus volontiers de poisson que de chair, de substances crues que de mets assaisonnés. Ils ne faisaient qu'un seul repas au coucher du soleil, ou tout au plus ils rompaient le jeûne le matin avec un peu de pain. Le vin, interdit aux jeunes gens, était permis aux vieillards dans une mesure déterminée. On ne voyait chez eux ni riche mobilier, ni vaisselle précieuse, ni parfums, ni instruments de musique. Pendant le repas ils chantaient des hymnes pieux; et, bannissant les rires bruyants, une modeste gravité régnait parmi eux. Après la cène ils louaient Dieu, puis allaient se reposer sur une couche dure, où ils abrégeaient le sommeil afin d'allonger la vie, se levant de bonne heure pour chanter les louanges du Seigneur. Dieu pour eux n'avait pas de figure, ni d'autre nom que celui de un, bon, esprit, père, créateur. Ils ne devaient pas, pour lui rendre hommage, se tourner vers le Capitole ou vers la montagne de Sion; mais ils le trouvaient en quelque lieu et à quelque moment que ce fût, parce qu'il était dans leur conscience;

(1) EUSEBE, Hist., V, 18.

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et ils lui rendaient hommage dans chacune de leurs œuvres, sant continuellement à lui. Ils destinaient cependant quelques heures spécialement à la prière, récitant leurs oraisons debout, le visage tourné vers l'orient, la tête et les mains levées vers le ciel, et soulevant, à la fin, un pied, dans l'attitude de voyageurs prêts à abandonner la terre.

Il leur fallut, dans les commencements, mettre tous leurs soins à se cacher; recourir aux réunions secrètes, aux signes de convention; renfermer le viatique dans des cassettes, pour le porter aux malades, aux prisonniers, à tous ceux qui ne pouvaient sortir; se servir de lettres et de marques pour se reconnaître. Ils considéraient la virginité comme l'état le plus parfait, et le mariage comme un vœu du Créateur. Dans les maladies et dans un âge avancé, disaient les vieillards, il n'est pas de soins comparables à ceux qu'on reçoit de sa femme et de ses enfants. Aimez l'âme, et sans faire autrement attention au corps qu'en vous souvenant que c'est une statue, dont la beauté fait penser au Créateur.

En même temps que l'espèce humaine se trouvait rendue à sa nature, la femme était sortie de l'outrageante nullité antique; et elle était devenue l'égale de l'homme par son origine commune, quoiqu'elle lui restât soumise à cause de la différence de ses occupations et de sa destination. Marie, l'élue du Seigneur, sanctifiait son sexe; des femmes pieuses s'étaient montrées au pied de la croix ; le Christ s'était entretenu avec elles, et leur avait pardonné leurs fautes. Des femmes suivaient les apôtres pour les servir, comme avaient fait pour J. C. Madeleine et les deux Maries. Il est souvent mention d'elles dans leurs épîtres, et elles y reçoivent le salut de paix. Elles sont admises dans les assemblées, où elles prennent part à l'instruction, au sacrifice, au ministère. Bientôt après furent instituées les diaconesses, qui devaient être veuves, âgées au moins de soixante ans, avoir allaité leurs enfants, exercé l'hospitalité, lavé les pieds des voyageurs, consolé les affligés, s'être toujours montrées chastes, sobres, fidèles. D'autres femmes s'empressaient de visiter les prisonniers, de porter en secret des messages ou le viatique, de distribuer aux malades les dons de cette pitié qui n'appartient qu'à leur sexe. On les voyait secourir des martyrs, baiser leurs blessures, leur présenter une goutte d'eau durant leurs souffrances, recueillir leur sang et leurs os lorsqu'ils avaient rendu le dernier soupir. Puis elles se présentaient intrépides devant les tribunaux, défiant l'orgueil des juges et la cruauté ingénieuse des

tyrans, confiant leur pure innocence à ce Dieu qui multipliait les miracles en leur faveur. Elles démentaient dans le martyre cette faiblesse dont notre insultante flatterie fait le doux attribut de leur sexe; et, se mettant au niveau des hommes au milieu des supplices, elles méritaient de jouir des mêmes droits, préparant ainsi à la femme, au prix de leur propre sang, l'égalité qui lui était réservée dans des siècles de lumières.

Tertullien écrivit deux livres sur la beauté et sur les ornements des femmes, dans lesquels il démontra que l'excès de ceux-ci était messéant à une femme chrétienne; et que ni des bras ni des cous chargés de bracelets et de colliers ne pouvaient être préparés aux chaînes et au tranchant de la hache. Dans son traité Ad uxorem, la femme apparaît sous un tout autre aspect que dans la société païenne. Elle partage avec son mari les occupations, les croyances, la foi, comme aussi la fortune employée à secourir des frères indigents. La femme convertie est une semence qui germe près du foyer domestique; et si elle ne peut amener son époux à l'imiter, elle inspire à ses enfants, à ses serviteurs, de nouvelles idées, de nouvelles admirations, de nouveaux désirs.

Les femmes devaient plus tard, assises sur des trônes, convertir des nations entières; d'autres devaient consacrer leurs richesses à fonder des hôpitaux, mériter l'amitié et les éloges des saints; comme Albina et ses deux filles Marcella et Asella, Principia sa petitefille, Paula leur amie, qui méritèrent l'affection de Jérôme, ainsi que Pauline, Eustoche, Lea et Fabiola, qui vendit tout ce qu'elle possédait pour fonder le premier hôpital que Rome eut alors à opposer aux monuments du carnage et de la prostitution.

Semblable au lotos des fables indiennes flottant sur les eaux du déluge, et portant dans son sein les germes de l'avenir, au-dessus de l'immense corruption de Rome apparaissait une Église qui prêchait le Dieu un, bon, mort sur la croix, et la vertu de la résignation et du pardon. Dans cette Rome incestueuse et parricide, des âmes que le monde n'était pas digne de posséder vivaient d'une tout autre vie, fuyant la persécution au fond des cavernes, jusqu'à l'heure où elles étaient appelées à féconder de leur sang l'arbre de la régénération. Dans le Latium, aux alentours des villes d'Ostie, de Velitres, de Tibur, de Préneste, de Palestrine, le long des sinueuses vallées qui débouchent dans la plaine du Latium, on trouvait, à côté des antres où les maîtres renfermaient le soir des centaines

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