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l'homme, qui, bien que le Rédempteur lui eût prêté son aide pour se régénérer, n'était pas affranchie de la corruption. Voyez ! dixhuit siècles se sont écoulés, et l'esclavage baigne encore de ses sueurs de vastes contrées; le servage féodal subsiste encore dans des pays civilisés; l'aristocratie de naissance est brisée, mais c'est pour laisser s'élever celle qui se fonde sur l'argent, et qui spécule avidement sur les larmes du pauvre, en supputant ce qu'il faut lui donner afin qu'il serve et meure sans se révolter: une multitude qui a besoin de raison, d'industrie, d'amour, reste encore négligée; le duel subsiste toujours, ainsi que la guerre et le pouvoir matériel, qui prétendent tyranniser ce qui est du domaine de l'esprit.

Mais le Christ n'est pas descendu pour faire disparaître parmi les hommes les maux qui sont leur héritage; il est venu leur apporter le baume qui les soulage, la charité. Une vertu sans nom chez les anciens, considérée plutôt comme une faiblesse, vient désormais adoucir des misères inévitables, pleurer avec ceux qui souffrent, et transformer les disgrâces les plus cruelles en occasions de mérite, en liens de fraternité.

CHAPITRE VII.

COMMENCEMENTS DU CHRISTIANISME.

A peine les apôtres furent-ils vivifiés par l'esprit de consolation, qu'ils s'en allèrent par les rues de Jérusalem parlant à la foule accourue pour la Pentecôte, et ils convertirent trois mille personnes, nombre qui devait augmenter chaque jour. Les prosélytes étaient admis à la prière dans le temple, et, dans les maisons, au mystère eucharistique, au repas en commun; tous rendant grâce à Dieu avec enthousiasme et simplicité de cœur.

Les Hébreux attendaient dans le Messie un rédempteur terrestre; les prophètes s'expriment de telle sorte, que les apôtres eux-mêmes, tombés dans cette erreur, demandaient au Christ des emplois dans son royaume, et se scandalisaient à l'idée de ses souffrances. Les faits éclatants par lesquels le Messie signala sa venue suffirent à détromper ceux-ci; mais les Juifs persistèrent avecune obstination coupable dans une erreur excusable au premier moment. Ainsi tandis que la Judée, en reconnaissant l'accomplissement des pro

messes divines dans un sens bien plus élevé et plus fécond, aurait pu devenir le point de départ de l'histoire des sociétés modernes, elle demeure au contraire sous le coup de la réprobation, et cesse d'opérer sur l'avenir. La cité de la manifestation et de la paix, du moment qu'elle eut méconnu le symbole qu'elle exprimait, fut effacée; mais les débris du temple, dont chaque pierre était mystérieusement taillée et disposée, devaient servir à élever l'admirable palais du Dieu éternel.

Dans le principe, les chrétiens ne se séparèrent pas des juifs, attendu que leur religion ne détruisait pas la loi mosaïque, qu'elle l'accomplissait au contraire: mais, afin que les menaces du Seigneur, de donner sa vigne à cultiver à d'autres, eussent à se réaliser, les juifs eux-mêmes commencèrent à les persécuter. Pierre et Jean, qui attiraient à eux un grand nombre de personnes en guérissant les aveugles, les boiteux, en rendant la parole aux muets, sont jetés en prison, avec défense de parler du Christ et de dire qu'il fût ressuscité. Mais ils déclarent qu'ils doivent obéir plutôt à Dieu qu'aux hommes, se réjouissant d'être en butte aux outrages pour Jésus et de souffrir pour lui. Pendant qu'ils baptisent dans leur cachot, des prières s'élèvent pour eux sans interruption au trône de Dieu (1), jusqu'au moment où un ange vient les délivrer de leurs chaînes. Alors le sanhédrin se dispose à les faire mourir; mais, sur l'opposition de Gamaliel, docteur de la loi, ils sont flagellés au milieu de l'assemblée; et l'Église en demeure édifiée, sachant quel mérite son fondateur attachait aux souffrances, à l'espérance, à la résignation.

Les nouveaux croyants vivaient dans une sainte harmonie, et, pour effacer entre eux toute différence de fortune, ils vendaient dans Jérusalem tout ce qu'ils possédaient, puis en portaient le prix aux apôtres, qui le distribuaient à chacun selon ses besoins, et aucun d'eux n'avait à souffrir de l'indigence (2). Bien qu'il ne dût y avoir aucune différence entre les membres de l'association, les veuves des Hébreux obtenaient, dans les distributions journalières des aliments, quelque préférence sur celles des juifs hellénistes ou étrangers. Cela déplut, et en conséquence on élut sept diacres d'une probité reconnue, lesquels furent chargés non-seulement de distribuer la nourriture temporelle, mais encore le corps et le

(1) Actes des Apôtres, V, 29; V, 41; X, 31.

(2) Ibid., II, 42; 49, IV, 34.

sang qui était chaque jour, après le repas des fidèles, consacré en mémoire du Christ.

Au nombre de ceux-ci était Étienne, qui, plein de force d'âme et de la grâce d'en haut, allait discuter dans les synagogues, où les juifs se rendaient de tous les pays pour étudier. Il trouva un jour dans l'une d'elles, qui se composait de ceux que Pompée avait emmenés prisonniers à Rome, et qui depuis avaient recouvré leur liberté, des adversaires qui entreprirent de le contredire. Étienne leur démontra la divinité du Christ, et leur prouva qu'il était réellement le Messie annoncé par les prophètes. Dans l'impossibilité où ils étaient de le réfuter, ils l'accusèrent devant les tribunaux d'avoir blasphémé Dieu et Moïse; et comme il y soutint intrépidement la vérité, ils se jetèrent sur lui, l'entraînèrent hors de la ville, et le lapidèrent. Il pria Dieu en mourant de leur pardonner, et fut le premier à sceller de son sang les vérités divines.

Jacques le mineur, surnommé le Juste, évêque des fidèles de Jérusalem, ne buvait ni vin, ni liqueurs; il marchait pieds nus, couvert d'un manteau grossier, et, à force de prier, ses genoux étaient devenus calleux comme la peau d'un chameau. Le grand prêtre Aman le fit monter sur la terrasse du temple de Dieu pour l'interroger; et quand les pharisiens eurent entendu sa profession de foi, ils le précipitèrent de cette hauteur. Jacques le majeur avait déjà eu la tête tranchée.

Malheur à Jérusalem, qui tue les prophètes! L'heure approche où les filles de Sion devront pleurer sur leur fruit, et celles dont le sein est fécond envier les mamelles qui n'ont point allaité.

Les fidèles persécutés se répandent dans Samarie et dans toute la Judée, en multipliant les prosélytes. Le principal entre ceux-ci fut Saül de Tharse en Cilicie, qui, né citoyen romain, était benjamite d'origine et pharisien de croyance. Converti à l'Évangile, il en devint le propagateur le plus zélé, après s'en être montré le persécuteur le plus farouche. Ses épîtres développent la doctrine chrétienne; il brise les liens qui unissaient les Nazaréens à la synagogue, et, de fraction d'un peuple qu'ils étaient, il les élève au rang d'Église indépendante, non circonscrite dans un lieu déterminé, ni dans des limites de nationalité.

Après avoir semé le bon grain dans la Judée, les apôtres voulurent porter la bonne nouvelle chez les nations auxquelles le Christ ne s'était pas montré. Avant de partir comme des agneaux au

Étienne.

Paul.

milieu des loups, ils rédigent leur profession de foi; Paul se rend alors en Grèce, Pierre à Césarée et à Antioche, ville principale de l'Asie, où il applique pour la première fois le nom de chrétiens aux juifs convertis. André visite les Scythes, et revient par l'Épire et la Grèce. Thomas va prêcher chez les Parthes et les Indiens, Barthélemy dans la grande Arménie, Matthieu dans l'Éthiopie, Jude dans l'Arabie et la Mésopotamie, Barnabé et Simon dans la Perse, Mathias dans l'Égypte et l'Abyssinie; si bien que par toute la terre résonna leur parole, et leur voix retentit jusqu'aux confins de la terre. Jean suivit la vierge Marie à Ephèse; Philippe subit la mort à Hiéropolis de Phrygie.

Dans le siècle de l'orgueil, ces grands rénovateurs du monde laissent ignorer leur route, et c'est à peine si l'on connaît celle que suivirent Pierre et Paul. Le premier part d'Antioche pour se rendre à Rome (1). Le pêcheur de Génézareth vient dans la métropole du monde pour y établir le siége d'une autre unité, pour opposer aux infamies de Messaline et aux détestables atrocités de Néron la haute raison, la sublime vertu qui pardonne, instruit, console, et qui, en se sacrifiant elle-même pour l'humanité, rend inutiles les autres sacrifices sanglants. La haine des Romains contre les juifs, et surtout contre les nouveaux convertis, décida Claude à les chasser, et Pierre retourna probablement alors en Asie.

Il mangeait à Antioche avec les fidèles incirconcis; mais quelques juifs convertis étant survenus, il se sépara des premiers pour vivre avec les autres. Paul l'en reprit, lui disant que c'était s'attacher par trop aux figures, celles-ci devant tomber depuis l'apparition du figuré; et Pierre écouta son avertissement avec docilité. Paul multipliant ensuite les conversions, parmi lesquelles il faut remarquer celles de Timothée et de Luc, médecin d'Antioche, se dirigea vers Athènes. C'était l'asile de tout ce qui restait du savoir des Grecs et de leurs superstitions: les citoyens comme les étrangers y étaient continuellement en quête de ce qu'il y avait de nouveau (2). Paul y porta la vérité devant l'assemblée la plus révérée de la Grèce, et il se vit raillé par quelques-uns des aréopagites; d'autres lui dirent: Nous t'écouterons une autre fois : comme s'ils eussent cru avoir des occupations plus importantes que Dieu et l'homme, le péché et la rédemption.

(1) Le voyage de saint Pierre à Rome, quoique controversé, est presque généralement admis.

(2) Actes des Apôtres, XVII, 21.

La sévérité de ce tribunal, l'insouciance du grand nombre, les railleries des épicuriens, ne l'empêchèrent pas de faire beaucoup de conversions. La Diane d'Éphèse, symbole oriental des puissances de la nature (1), était partout très-vénérée. Son culte donnait lieu à une foule de superstitions, surtout à la fabrication de certaines amulettes et de talismans connus sous le nom de lettres éphésiaques (2).

Paul ordonna aux adeptes de lui apporter, pour premier témoignage de conversion, ces instruments magiques, avec les livres de mystères; et bien que le prix s'en élevât à cinquante mille deniers, il les fit brûler (3). Cette action et son résultat, qui fut de déshabituer d'acheter, comme on le faisait avant, de petites figures et autres choses relatives au culte de Diane, excitèrent parmi les artisans dont c'était le commerce une sédition qu'on eut beaucoup de peine à apaiser.

A son retour de Tyr à Jérusalem, Paul fut mis en prison; et comme il invoqua le droit de citoyen romain, il fut envoyé à Rome avec un soldat, auquel, selon l'usage, il était enchaîné. Comme on lui laissa à son arrivée la ville pour prison, il convoqua les principaux Juifs; et, les trouvant sourds à ses exhortations, il leur déclara d'une voix menaçante que les Gentils recevraient, à leur refus, la parole de grâce.

Dans le cours des deux années que Paul séjourne à Rome en attendant son jugement, il augmente le nombre des vrais croyants; il adresse aux Églises et à ses amis des lettres pour les affermir dans la foi, pour éclaircir des points de doctrine, pour extirper les mécontentements et les superstitions qui auraient souillé la pureté de la foi. Il y fonde la véritable théorie des pouvoirs, enseignant que Dieu est la source de toute autorité; défend le divorce, qui expose l'existence des femmes à une instabilité périlleuse, et loue la continence, pourvu qu'elle ne soit pas funeste à la santé. Il a soin en même temps de déclarer qu'il ne vit aux dépens de personne, mais qu'il gagne du travail de ses mains ce qui lui est nécessaire (4).

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(1) Cujus numen unicum, multiformi specie, ritu vario, nomine multijugo totus veneratus orbis. APULEIUS, II. Les Romains pouvaient faire des legs en faveur de cette divinité. ULPIEN, Inst., tit. XXII.

(2) PLUTARQUE, Alexandre. CLÉMENT D'ALEXANDRIE, Strom, V.

(3) Act. Apost. XIX, 19.

(4) C'était une loi, parmi les Hébreux instruits, d'apprendre quelque métier. Le Talmud (traité Kidouschim, Pessart, Aboth, Sota), dit : « Celui qui ne donne pas une profession à ses fils leur prépare une mauvaise vie. Ne dites

T. V.

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