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1664-1667 sulte du quinzième siècle, et lorsque les institutions At. 43-46 de la chevalerie et les Cours d'Amour n'existoient plus que par tradition, de composer un recueil de pure imagination, intitulé Arrêts d'Amour. C'est dans ce livre de Martial d'Auvergne que La Fontaine a puisé le sujet de la petite pièce, dont nous parlons"; et notre poëte ne se doutoit probablement pas que la cause qu'il exposoit en vers avoit été réellement plaidée au tribunal de la reine Eléonore, et que la décision n'avoit pas été conforme à l'arrêt qu'il rapporte, mais à celui qu'il dit qu'il auroit lui-même rendu. La reine Eléonore avoit dit, en d'autres termes, avant La Fontaine, qui prend se vend".

« La Fontaine, dit La Harpe 23, prétend que Dieu mit au monde Adam le nomenclateur, en lui disant, Te voilà: nomme. On pourroit dire aussi que Dieu mit au monde La Fontaine le conteur en lui disant, La Fontaine, Te voilà: conte. Aussi Chaulieu, en parlant de lui de son vivant, l'appelle quelque part le conteur, bien certain qu'aucun de ses lecteurs ne se méprendroit sur celui qu'il nommoit ainsi : par la même raison Mme de Bouillon le désignoit souvent par le nom de fablier2.

est surnommé

le Conteur et le Fablier.

>>

Dans la fable, La Fontaine s'est élevé au-dessus de tous les modèles: dans le conte, on pourroit dire que l'Arioste lui est supérieur par le génie de l'invention, par une élégance plus soutenue, par une plus grande variété de ton, par une touche plus énergique, et un coloris plus vigoureux; mais le poëte de Ferrare n'a pas dans le style naïf, ni ces traits délicats, ni cette simplicité pleine de finesse qui nous

charment dans La Fontaine. Celui-ci a peut-être aussi 1664-1667 surpassé ses modèles dans l'art de préparer, comme Æl. 43-46 sans dessein, les incidents, de ménager des surprises amusantes, de s'entretenir avec son lecteur, de plaisanter sur les objections et les invraisemblances de son sujet, d'animer ses récits par la gaieté du style et par les grâces d'une poésie légère et facile. Nul n'a eu, à un plus haut degré, le talent de placer à propos des réflexions toujours heureuses, souvent sṛirituelles et malignes, souvent aussi pleines de sens et de raison. On ne sauroit trop le louer d'avoir usé sobrement et avec goût du langage piquant de Rabelais et de Marot; d'avoir passé avec adresse à côté des écueils que présentoient les sujets qu'il traitoit, et d'avoir su, presque toujours, échapper au danger sans cesse imminent des obscénités.

ami de

Fontaine.

La

La Harpe a dit que, du côté des mœurs, la plupart De Gaches, des contes de La Fontaine étoient plutôt libres que licencieux : ce qui n'empêche pas, ajoute-t-il, qu'on ait eu raison d'y voir un mal et un danger qu'il n'y apercevoit pas 26. C'est user d'indulgence envers notre poëte; un trop grand nombre de ses contes sont malheureusement licencieux, et nous sommes forcés d'avouer que l'ensemble de sa conduite prouve qu'il étoit fort insouciant sur l'espèce de danger qui pouvoit résulter de leur publication. La manière badine avec laquelle il se défend sur ce point, dans sa préface, suffiroit seule pour le prouver. On a dit, pour l'excuser, que jamais il ne consentit à réciter aucun de ses contes en société, quoiqu'il y

1664-1667 fùt plusieurs fois excité; mais c'étoit par une suite #t. 43-46 de l'indolence qui lui étoit naturelle, et non par l'effet d'aucun scrupule; car il menoit souvent avec lui un de ses amis nommé Gaches, et quand on le prioit de vouloir réciter un de ses contes ou une de ses fables, il répondoit qu'il n'en savoit pas, mais que Gaches en pouvoit dire et Gaches en récitoit à la satisfaction de tous les auditeurs enchantés, tandis que La Fontaine, à l'écart, rêvoit à tout autre chose 27.

Dissertation

de Boileau,

de La Fon

de Bouillon.

Joconde, publié séparément avec la Matrone Sur le Joconde d'Ephèse, au commencement de l'année 1664, avoit taine et celui donné lieu à une contestation qui augmenta la célébrité de ce petit ouvrage. L'année d'avant, on avoit mis au jour les œuvres poétiques et posthumes d'un M. de Bouillon, secrétaire du duc d'Orléans, dans lesquelles se trouvoit cette histoire de Joconde, traduite de l'Arioste d'une manière plate et ennuyeuse. Cependant l'envie et le mauvais goût opposèrent cette insipide production à celle de notre poëte. Les partisans de Bouillon lui faisoient un mérite d'avoir traduit l'Arioste littéralement, et soutenoient que le conte de Joconde, dans La Fontaine, étoit défiguré par les changements qu'on y avoit faits. Les admirateurs de La Fontaine prétendoient, au contraire, que le conte étoit devenu plus agréable par ces changements mêmes. Beaucoup de personnes prirent parti dans cette contestation, et elle s'échauffa tellement qu'il se fit des gageures considérables en faveur de l'un et de l'autre poëte 28. C'est

alors que Boileau écrivit sur Joconde une disserta- 1664-1667 tion en forme, en faveur d'un de ses amis qui avoit Æ. 43-46 parié mille francs pour la supériorité du Joconde de La Fontaine 29. Le sévère critique analyse l'une et l'autre production, et les compare entre elles et avec l'Arioste, l'original de toutes deux. Non seulement Boileau établit la grande supériorité de La Fontaine sur Bouillon, mais il donne même à La Fontaine l'avantage sur l'Arioste. Voltaire a pris le parti du poëte italien; «< mais il me semble, dit La Harpe, que dans tous les endroits où Despréaux rapproche et compare les deux poëtes, il est difficile de n'être pas de son avis, et de ne pas convenir que La Fontaine l'emporte par ces traits de naturel et de naïveté, par ces grâces propres au conte, qui étoient en lui un présent de la nature 3°.

30

31

Liaison entre

La Fontaine,
Racine, Mo-

liere, Boileau

et Chapelle.

C'est vers cette époque que se forma cette étroite liaison entre Boileau, Racine, La Fontaine et Molière, qui composèrent pendant quelque temps une sorte de quadrumvirat littéraire 3. L'antiquité nous montre l'exemple de l'amitié qui unissoit Horace et Virgile, nos temps modernes celle de Pope et de Swift; mais peut-être aucun siècle et aucun pays ne peuvent offrir une intimité semblable à celle de quatre poëtes d'un aussi grand génie et d'une nature si diverse. Jamais l'on ne vit réunis quatre auteurs aussi éminents dans des genres si différents, et quatre De la difféhommes qui présentassent plus de contrastes dans leurs caractères et dans leurs manières. Boileau, bruyant, brusque, tranchant, mais loyal et franc;

rence des ca

ractères de

ces hommes illustres.

1664-1667 Racine, d'une gaieté douce et tranquille, mais malin Æt. 43-46 et railleur; Molière, naturellement attentif, mélancolique et rêveur; La Fontaine, souvent distrait, mais quelquefois follement jovial, et réjouissant par ses saillies, ses naïvetés spirituelles, et sa simplicité pleine de finesse. J'oublie le plus aimable de cette fameuse réunion, et celui qui, dès qu'il paroissoit, inspiroit la joie à tous les autres; c'est Chapelle: il n'eut pas le génie de ses quatre amis, mais il leur fut supérieur, comme homme de société. Jamais, dit le célèbre Bernier, qui a vécu avec lui32; jamais la nature ne fit une imagination plus vive, un esprit plus pénétrant, plus fin, plus délicat, plus enjoué, plus agréable. Les Muses et les Grâces ne l'abandonnèrent jamais; elles le suivoient chez les Crenets et les Boucingauts 33, où elles savoient attirer tout l'esprit de Paris. Les faux plaisants n'avoient garde de s'y trouver; à l'ombre seule il connoissoit le fat, et le tournoit en ridicule 34. »

Portrait de

Chapelle par

Bernier.

Réunions ré

elix.

32

Despréaux loua, pendant quelque temps, un petit gulieres entre appartement au faubourg Saint-Germain, dans la rue du Vieux-Colombier 35, où ces cinq amis se réunissoient deux ou trois fois la semaine, pour souper ensemble, et se communiquer leurs ouvrages. Si on excepte Molière qui étoit le Nestor de cette petite assemblée, et dont la réputation étoit déjà établie, tous les autres, quoique d'âges différents, prenoient place, en quelque sorte, en même temps, sur le Parnasse français; et il est remarquable que la publication de la Thébaïde et de l'Alexandre de Racine,

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