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avoit un teint d'une blancheur éclatante, de beaux 1658-1664 cheveux d'un blond argenté, des yeux bleus, et un re- t. 37-43 gard si tendre, si doux, si modeste, qu'il gagnoit le cœur, et imprimoit le respect. Elle avoit peu d'esprit, quoiqu'elle aimât beaucoup la lecture; mais son sourire et le son de sa voix prêtoient à ses moindres paroles un charme inexprimable. Un léger vice de conformation rendoit sa démarche un peu inégale et traînante, et lui donnoit un air indolent qui plaisoit, parce qu'il étoit en harmonie avec son maintien naïf et timide. Malgré ce défaut, c'étoit une des meilleures danseuses de la cour, et celle qui montoit à cheval avec le plus de dextérité. Tous ses gestes étoient si naturellement gracieux que l'abbé de Choisy 7 qui a été élevé avec elle, et qui nous fournit la plupart des traits dont nous la peignons, dit que ce vers de La Fontaine semble avoir été fait pour elle,

Et la grâce plus belle encor que la beauté.

A ce portrait, tous mes lecteurs ont déjà reconnu La Vallière. C'est elle dont Fouquet étoit épris; la désirer et chercher à la corrompre, étoit Fouquet la même chose.

pour

Il eut donc recours à son agent ordinaire pour ces sortes d'affaires, Mme du Plessis-Bellière, femme d'un officier-général, et mère de la marquise de Crequy 77, qui rendoit à Fouquet les mêmes genres de service que le duc de Saint-Aignan à Louis XIV. Mme du Plessis-Bellière alla trouver La Vallière, et lui dit que le surintendant avoit vingt mille pis

Fouquet

en devient amoureux, et lui fait des

propositions.

1658-1664 toles à son service 78. Le rejet de cette offre et de Et. 37-43 toute autre de cette nature étonna Fouquet, qui n'y étoit pas accoutumé, et il chercha à en con

le secret des

amours

Louis XIV.

de

noître le motif. Comme il avoit des agents partout, Il découvre il découvrit bientôt un secret inconnu encore à toute la cour; c'étoit la liaison du roi avec Mlle de La Vallière. L'amour seul, et non l'ambition et l'intérêt, avoit vaincu La Vallière, dont le cœur étoit d'une sensibilité extrême, mais dont l'âme étoit pure, élevée, et portée à la vertu. Fouquet, qui n'avoit pas mieux conçu son caractère que celui du roi, renonçant à ses prétentions sur elle, chercha à se faire un moyen utile à ses projets, du secret qu'il avoit découvert, et n'ayant pu devenir l'amant de La Vallière, il aspira à devenir son confident. Un jour qu'il la rencontra dans l'antichambre de MADAME, il l'entraîna à l'écart, et lui fit un pompeux éloge du roi; il lui dit que c'étoit l'homme le mieux fait de son royaume, et en même temps le plus aimable. La Vallière, surprise et confuse, fut offensée des discours du surintendant, et le quitta brusquement. Le soir elle instruisit le roi 79, non seulement des insinuations que Fouquet s'étoit permises dans la journée, mais des indignes propositions par lesquelles il avoit osé tenter de la séduire. On peut juger de la colère et du ressentiment que l'indiscrète audace du ministre dut allumer dans le cœur d'un monarque tel que Louis XIV. Dès ce La perte de moment-là, il résolut sa perte. On adopta le plan résolue. proposé par Colbert, sous Mazarin; et même, par

Fouquet est

le moyen de la duchesse de Chevreuse, on y fit con- 1658-1664 sentir la reine-mère 80. Et. 37-43

Cependant, comme le gouvernement du jeune roi succédoit à celui d'une régence durant laquelle les esprits s'étoient familiarisés avec les troubles et l'agitation, on crut qu'on devoit user de dissimulation, et qu'il falloit quelques précautions pour rompre sans secousses, les chaînes d'or dont l'habile surintendant avoit su entourer le gouvernement, et tous les ressorts de l'administration.

tion de Louis

Louis XIV accepta donc la fête de Vaux; mais la Dissimulasurprise que lui causa le luxe du surintendant l'irrita XIV. encore davantage contre lui. Les courtisans remarquèrent malignement que sur les frises des superbes appartements du château de Vaux, on avoit peint plusieurs fois la couleuvre qui appartenoit aux armes de Colbert, et l'écureuil, avec cette devise orgueilleuse : Quò non ascendam? (où ne monterai-je pas?), qui faisoit partie des armes de Fouquet. Enfin Louis XIV ne put se contenir, lorsqu'il aperçut un portrait de La Vallière, dans le cabinet de l'imprudent ministre . Il avoit donné l'ordre de le faire arrêter sur-le-champ; mais la reine-mère lui fit sentir l'inconvenance de sévir contre un sujet, au milieu même d'une fête qu'il lui donnoit. L'ordre fut révoqué. Un billet de Me du Plessis-Bellière avertit Fouquet du danger qu'il avoit couru. Le secret de la disgrâce du surintendant se trouvant presqu'à moitié découvert, le roi se vit obligé d'user encore d'une plus grande

1658-1664 dissimulation. Fouquet, naturellement vain et disEl. 37-43 posé à se flatter comme tout homme dont le succès a toujours couronné les entreprises, y fut trompé. Il crut faire plaisir au roi, en vendant sa charge de procureur-général au parlement, et il ne s'aperçut pas qu'on ne l'y avoit engagé, que pour lui ravir l'appui d'un corps auquel, par cette résignation, il cessoit d'appartenir. Il se crut encore en faveur, lorsque Louis XIV eut décidé de faire un voyage en Bretagne, province où Fouquet étoit né. Enfin le Fouquet 5 septembre 1661, il fut arrêté à Nantes, et conduit 5 septembre en prison; on mit les scellés sur tous ses papiers,

est arrêté le

1661.

et sur ceux de Mme du Plessis-Bellière, sa confidente. De honteux secrets furent révélés. Saint-Evremont et plusieurs autres seigneurs furent exilés et forcés de s'enfuir pour jamais du royaume. On créa une commission pour juger Fouquet. Après quatre ans d'une dure captivité, et toutes les peines et les anxiétés qu'entraîne un procès criminel, ses amis le regardèrent comme heureux de n'avoir été condamné qu'à un bannissement perpétuel. Mais Louis XIV, peu satisfait de cette vengeance, et ne voulant pas que Fouquet pût porter dans l'étranger les secrets de l'Etat, le fit renfermer dans la forteresse de Pignerol, où il termina sa vie dans les sentiments de la plus sincère piété 83.

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Les courtisans que Fouquet avoit enrichis l'abandonnèrent dans son malheur; les gens de lettres qu'il avoit aidés à vivre, le défendirent tous 4. Pelisson surtout se couvrit de gloire par son héroïque dévoue

ment de la Bastille où on l'avoit renfermé, oubliant 1658-1664 le soin de sa propre défense, il sut faire parvenir £1. 37-43 en faveur de Fouquet des plaidoyers, dont Voltaire compare l'éloquence à celle des discours de Cicéron; ni les promesses ni les menaces ne purent le faire fléchir. Après avoir fait parler le langage des lois avec énergie afin de convaincre, il s'efforça de toucher le monarque, en prêtant à ses supplications et à ses nobles sentiments, les couleurs de la poésie

85

Fouquet, a

Nymphes de

Mais personne ne contribua plus que La Fontaine _Elegie pour à intéresser le public en faveur de Fouquet. Dès dressée aux qu'il eut fait paroître son Elégie aux Nymphes de Vaux. Vaux, toute l'animosité qui existoit contre le surintendant se calma. Les Muses françaises n'avoient point encore fait entendre des sons aussi harmonieux et aussi touchants: on imprima cette élégie dans tous les recueils du temps, et les amateurs de poésie la récitoient tout entière. La Fontaine, dans une sorte d'épître à Ariste (qui est, je crois, Pelisson) auquel il adressoit le Songe de Vaux, se glorifie avec raison de ce succès ce n'étoit pas un poëte dont l'amourpropre jouissoit d'une vaine renommée, mais un ami dont le cœur étoit satisfait d'avoir fait quelque chose d'utile pour un ami dans l'infortune.

Je soupire en songeant au sujet de mes veilles;
Vous m'entendez, Ariste, et d'un cœur généreux
Vous plaignez comme moi le sort d'un malheureux.
Il déplut à son roi; ses amis disparurent :
Mille vœux contre lui dans l'abord concoururent,
Malgré tout ce torrent je lui donnai des pleurs.
J'accoutumai chacun à plaindre ses malheurs 87.

Ode pour

La Fontaine ne se contenta pas de son élégie; il Fouquet.

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