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1692-1694

El. 71-73

Louis XIV n'aimoit pas

politique.

Tel on voit qu'un lion, roi de l'ardente plage,
De sang et de meurtre altéré,
Porte sur les chasseurs un regard assuré,
Et se tient fier d'être entouré

De mille marques de carnage 53,

Cette comparaison étoit plus exacte que flatteuse, Saint-Simon nous peint M. le duc avec un naturel farouche, et un courage féroce. « Il avoit, dit-il, un air presque toujours furieux, et en tout temps si fier et si audacieux, qu'on avoit peine à s'accoutumer à lui 54. » En apprenant de si grands succès, une ambition patriotique, pour l'agrandissement de la France, s'empare du bon La Fontaine ; cependant il s'arrête, parce qu'il se rappelle sans doute les motifs qui firent supprimer les vers de son opéra. Ah! si le ciel vouloit que nous eussions le tout! Quel pays! Vous voyez ses défenseurs à bout. Je n'en dirai pas plus; notre roi n'aime guères Qu'on raisonne sur ces matières.

Et en effet MADAME nous apprend que Louis XIV qu'on parlat ne pouvoit souffrir que dans la conversation on parlât de politique. «< Du temps du feu roi, dit-elle, on avoit appris à toutes les dames à ne jamais s'entretenir de ces matières 55. >>

Jusqu'ici nous avons vu La Fontaine, recherché pour son génie, aimé pour son caractère, répandu dans le monde, s'intéressant à tout ce qui s'y passoit, toujours occupé de ses plaisirs, et quelquefois de ses ouvrages, ou plutôt ne se livrant à la composition de ses ouvrages, que parce que c'étoit pour lui un plaisir de plus. Il avoit, jusqu'alors, joui d'une santé robuste; mais, vers la fin de l'année

est atteint, vers la fin de 1692, d'une maladie violente.

1692, il fut attaqué d'une maladie, qui fit craindre 1692-1694 pour ses jours, et qui porta une irréparable atteinte Et. 71-73 à cette constitution vigoureuse, dont la nature l'a- La Fontaine voit doué. La Fontaine, par l'affoiblissement de ses forces, sentit enfin que la main du temps s'appesantissoit sur lui. Alors Mm de La Sablière s'approchoit de sa fin, et alloit bientôt terminer une vie, depuis long-temps consacrée à la religion et aux bonnes œuvres. Les exhortations d'une amie presque mourante, d'une amie si constamment chérie, et si La Sablière digne de l'être, jointes à celles de Racine, firent sur La Fontaine la plus forte impression. Le curé de Saint-Roch, sur la paroisse duquel il se trouvoit, en fut instruit, et entreprit sa conversion.

Racine et Madame

de

exhortent La Fontaine à se

convertir.

Saint - Roch envoie

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Pouget

vicaire.

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Depuis quelques semaines le curé de Saint-Roch Le curé de avoit un jeune vicaire, nommé Pouget, qui s'est fait connoître depuis par de savants écrits, mais, qui alors, âgé seulement de vingt-six ans, n'avoit jamais assisté ni confessé aucun malade. Ce fut lui que le curé de Saint-Roch choisit pour convertir La Fontaine. Pouget s'y refusoit, prétendant qu'un homme si célèbre par des ouvrages scandaleux, et qui avoit vécu pendant si long-temps d'une manière si peu conforme aux règles du christianisme, avoit besoin d'un guide plus éclairé et plus expérimenté que lui. Mais le curé de Saint-Roch insista, et Pouget se prépara à obéir à son supérieur.

Le père de Pouget étoit

Le père de Pouget étoit lié avec La Fontaine ce fut une occasion toute naturelle pour le jeune vicaire avec la

de s'introduire chez notre poëte, non comme pas

Fontaine.

1692-1694 teur, mais comme le fils d'un de ses amis. Il y alla Et. 71-73 donc, ne paroissant en apparence avoir d'autre but que celui de s'informer des nouvelles de sa santé de la part de son père, et, pour mieux déguiser son dessein, il se fit accompagner d'un homme de beaucoup d'esprit, intimement lié avec La Fontaine.

Entretien de la Fontaine

Il fut facile, dès cette première visite, de faire et de Pouget tomber la conversation sur la religion, puisque La Fontaine alors en étoit assez fortement occupé.

sur la reli

gion.

M. de La Fontaine (dit Pouget dans la relation qu'il a donnée de cette conversion 56) étoit un homme fort ingénu, fort simple avec beaucoup d'esprit ; il me dit avec une naïveté assez plaisante : « Je » me suis mis depuis quelque temps à lire le Nou>> veau Testament: je vous assure que c'est un fort » bon livre; oui, par ma foi, c'est un fort bon livre; mais il y a un article, sur lequel je ne me suis pas

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rendu, c'est celui de l'éternité des peines; je ne comprends pas comment cette éternité peut s'ac»corder avec la bonté de Dieu. » << J'avois, continue Pouget, ces matières fort présentes, parce que je sortois de dessus les bancs de Sorbonne, où ces questions sont fort agitées; je lui expliquai sur cela, avec étendue et vivacité, les principes de saint Augustin et des autres pères ou théologiens 37. »

Pouget se retira; mais l'ami qu'il avoit amené resta. La Fontaine lui dit qu'il étoit très-satisfait du jeune vicaire; que s'il prenoit le parti de se confesser, il ne vouloit pas d'autre confesseur que lui. Mais il ajouta qu'il avoit des difficultés sur lesquelles

il désiroit des éclaircissements; et il pria son ami 1692-1694 d'engager Pouget à revenir.

Et. 71-73

Nouveaux entretiens de

La Fontaine sur la reli

Jugement que porioit sur La Fon

Pouget revint dans l'après-midi, et engagea seul avec La Fontaine, de nouvelles discussions. Pouget et de Elles furent continuées deux fois par jour, pen- gion. dant dix à douze jours consécutivement. La garde de La Fontaine, qui se trouvoit en tiers à ces longues conférences, craignoit qu'elles ne fatiguassent son malade, et elle dit à Pouget, qui exhortoit le poëte à la pénitence : « Hé! ne le tourmentez pas tant, il est plus bête que méchant. »taine la garde Cette femme étoit surtout singulièrement touchée gnoit. de sa bonté et de sa douceur. Aussi, un jour que Pouget avoit été plus véhément qu'à l'ordinaire, sur les peines réservées aux pécheurs incrédules et endurcis, elle le tira dans un coin de la chambre, et lui dit, avec un air de compassion : Monsieur, Dieu n'aura jamais le courage de le damner 58. >>

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Pouget, dans sa relation, nous apprend que La Fontaine mit, dans ses discussions avec lui, beaucoup d'abandon et de franchise. « C'étoit un homme, dit-il, qui, sur mille choses, pensoit autrement, que le reste des hommes : aussi simple dans le mal comme dans le bien. Sa maladie le mit en état de faire des réflexions sérieuses: il saisissoit le vrai, et il s'y rendoit: il ne cherchoit point à chi

caner. »

qui le soi

converti veut

La Fontaine, après ces longues conférences, dé- La Fontaine clara à Pouget qu'il étoit convaincu, et voulut se se confesser,

1692-1694 confesser à lui; Pouget s'excusa sur sa jeunesse et Et. 71-73 sur son peu d'expérience; il offrit à notre poëte de mais à Pou- continuer à le voir, et à l'aider de ses conseils, mais

get seul.

Pouget n'y

deux condi

il tâcha de le déterminer à prendre un confesseur

plus âgé. La Fontaine ne voulut point y consentir, et insista pour n'en avoir pas d'autre que le jeune vicaire du curé de Saint-Roch.

Alors celui-ci lui dit qu'avant de se rendre à ses désirs, il falloit qu'il se soumît à quelques conditions consent qua indispensables, sur deux points importants : le pretions. mier étoit relatif à ses Contes. Pouget exigeoit que La Fontaine prît l'engagement de ne faire usage du talent qu'il avoit pour la poésie, que pour travailler à des ouvrages de piété, et d'employer le reste de ses jours aux exercices d'une vie pénitente et édifiante; que, non seulement il promît de ne contribuer jamais à l'impression ni au débit de ses Contes, mais encore qu'il fit une satisfaction publique, soit devant le Saint-Sacrement, s'il étoit obligé de le recevoir dans sa maladie, soit dans l'assemblée de l'Académie française, la première fois qu'il s'y trouveroit; et enfin qu'il demandât pardon à Dieu et à l'Eglise d'avoir composé ce livre.

« M. de La Fontaine, dit Pouget, eut assez de peine à se rendre à la proposition de cette satisfaction publique. Il ne pouvoit s'imaginer que le livre de ses Contes fût un ouvrage si pernicieux, quoiqu'il ne le regardât pas comme irrépréhensible, et qu'il ne le justifiât pas. Il protestoit que ce livre n'avoit jamais fait de mauvaises impressions sur

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