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en même temps au surintendant d'autres petites 1658-1664 pièces de La Fontaine, parmi lesquelles étoit l'Epi- Et. 37-43 taphe d'un paresseux, épigramme que La Fontaine, dans un accès de gaieté, avoit faite contre lui-même, qui a été tant de fois réimprimée à la suite des

d'un pares

seur.

contes et des fables, sous le titre d'Epitaphe de Epitaphe La Fontaine, mais qu'il faut toujours transcrire, parce qu'elle peint avec vérité sa molle indolence et son aversion pour tous les tracas de la vie.

Jean s'en alla comme il étoit venu,
Mangea le fonds avec le revenu,
Tint les trésors chose peu nécessaire;
Quant à son temps bien sut le dispenser;
Deux parts en fit, dont il souloit passer
L'une à dormir, et l'autre à ne rien faire 43.

La date de cette pièce prouve que La Fontaine avoit déjà vendu une portion de son patrimoine pour subvenir à sa dépense. Sa fortune, sans être considérable, étoit honnête, et eût été suffisante si lui et sa femme eussent su la gérer.

Ballade pour le pont

Thierry.

Cependant, s'il ne faisoit pas ses propres affaires, il se mêloit quelquefois, par bonté, de celles des de Châteauautres ; il rendoit la faveur dont il jouissoit auprès du surintendant, utile à ses compatriotes et à sa ville natale, et au moyen d'une ballade dont le refrain est

L'argent surtout est chose nécessaire ...

il obtint que le pont et la chaussée de ChâteauThierry, renversés par les débordemens de la Marne, seroient réparés aux frais de l'Etat.

Un impromptu suffisoit souvent à La Fontaine

1658-1664 pour payer un quartier de sa pension, comme celui Et. 37-43 qu'il fit pour le mariage projeté de M. de Mezière

Fouquet.

Ballade sur le siège fait aux Augustins, en

1658.

avec la fille du maréchal d'Aumont, qui devoit se

célébrer à Vaux 44. Pour acquitter la dette qu'il

avoit contractée, notre poëte n'oublioit pas d'adres

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Pièces diver- ser à madame la surintendante une ode ou une ses pour Mad. épître, lors de la naissance de chacun de ses enfants, et il ne laissoit passer presque aucun événement sans le chanter, sur un ton ou sérieux ou badin. Le siége que soutinrent les Augustins, en 1658, contre les archers du parlement, qui vouloit les contraindre à recommencer une élection, lui inspira une ballade qui fit alors du bruit dans la société, et qui parut tellement plaisante que Boileau, longtemps après, et lorsqu'elle n'avoit pas encore été imprimée, la récitoit presque en entier. La Fontaine, par moments assez curieux de sa nature, croyant qu'un combat entrepris contre des religieux ne pouvoit être ni long ni meurtrier, couroit pour aller voir cette bagarre, lorsqu'un de ses amis le rencontra sur le Pont-Neuf, et lui demanda où il alloit; il répondit en riant: « Je vais voir tuer des Augus» tins. » Cette plaisanterie, si simple dans une telle occasion, a été rapportée par quelques biographes comme un trait de distraction ou d'insensibilité, parce qu'en effet il y eut malheureusement deux Augustins qui perdirent la vie dans cette occasion 46.

La Fontaine se consoloit de tout en faisant des vers, et son naturel heureux, jovial et doux, trouvoit, jusque dans ces petites misères qui altèrent

souvent l'humeur de l'homme le plus patient, des 1658-1664 sujets de gaieté et des occasions nouvelles pour ba- Æt. 37-43 diner avec sa Muse. Un jour il se présenta à SaintMandé pour faire une visite au surintendant, et après avoir attendu une heure, il fut obligé de partir sans le voir. Il fallut absolument qu'il exhalât son mécontentement dans une épître. Pour bien connoître La Fontaine, il faut voir comment il s'exprime quand il est fàché 47.

Seigneur, je ne saurois me taire.
Celui qui plein d'affection
Vous promet une pension,

Celui-là, dis-je, a contre vous,
Un juste sujet de courroux.
L'autre jour étant en affaire,
Vous ne daignâtes recevoir
Le tribut qu'il croit vous devoir
D'une profonde révérence.

Il fallut prendre patience,

Attendre une heure, et puis partir.
J'eus le cœur gros, sans vous mentir,
Un demi-jour, pas davantage;
Car enfin ce seroit dommage
Que, prenant trop mon intérêt,'

Vous en crussiez plus qu'il n'en est.

Il déplore ensuite les occupations trop multipliées de Fouquet, et dit, que si cela continue, il lui arrivera comme aux moines d'Orbais qui, lorsque les jours deviennent courts, se plaignent de n'avoir pas le temps de prendre leurs repas. Orbais étoit une abbaye de Bénédictins à cinq lieues au sud-est de Château - Thierry. Il est probable que ces bons moines avoient la réputation de faire bonne chère, et le trait satirique que La Fontaine leur décoche

Epitre à Fouquet.

1658-1664 en passant, est bien dans le caractère de sa Muse El. 37-43 dont la bonhomie n'est presque jamais sans malice.

Il continue à plaindre le sort de Fouquet condamné
aux ennuis de la grandeur, et il lui donne les con-
seils suivants :

A jouir pourtant de vous-même
Vous auriez un plaisir extrême;
Renvoyez donc en certain temps
Tous les traités, tous les traitants,
Les requêtes, les ordonnances,
Le parlement et les finances,
Le vain murmure des frondeurs,
Mais, plus que tous, les demandeurs.

Renvoyez, dis-je, cette troupe,
Qu'on ne vit jamais sur la croupe
Du mont où les savantes Sœurs
Tiennent boutique de douceurs.
Mais que pour les amants des Muses
Votre suisse n'ait point d'excuses,
Et moins pour moi que pour pas un :
Je ne serai pas importun;

Je prendrai votre heure et la mienne.

Fouquet ne savoit que trop bien secouer à SaintMandé le joug des affaires; mais c'étoit pour don

ner audience à d'autres personnes qu'aux amants Détails sur des Muses. «Il se chargeoit de tout, dit l'abbé de

Fouquet.

Choisy dans ses Mémoires, et prétendoit être premier ministre sans perdre un instant de ses plaisirs. Il faisoit semblant de travailler seul dans son cabinet à Saint-Mandé; et pendant que toute la cour, prévenue de sa future grandeur, étoit dans son antichambre, louant à haute voix le travail infatigable de ce grand homme, il descendoit par un escalier dérobé dans un petit jardin, où ses nymphes, que

je nommerois bien si je voulois, et même les mieux 1658-1654 cachées, lui venoient tenir compagnie au poids de Æ. 37-43 l'or 48. » Fouquet avoit fait construire à Saint-Mandé une superbe galerie ", et La Fontaine qui y avoit attendu une heure nous la décrit en détail, et nous apprend qu'elle étoit ornée des statues d'Osiris et des tombeaux des rois d'Egypte, que le surintendant avoit fait venir à grands frais : ainsi les merveilles des arts modernes ne suffisoient point à Fouquet, et il lui falloit encore tout ce que l'antiquité offre de plus curieux et de plus rare. La Fontaine oublie son courroux dans la contemplation de ces antiques, et il termine son épître par une de ces réflexions d'une douce mélancolie qui donnent tant de prix à ses écrits:

Vous que s'efforce de charmer
L'antiquité qu'on idolâtre,
Pour qui le dieu de Cléopâtre,
Sous nos murs enfin abordé,
Vient de Memphis à Saint-Mandé;
Puissiez-vous voir ces belles choses
Pendant mille moissons de roses!
Mille moissons, c'est un peu trop,
Car nos ans s'en vont au galop,
Jamais à petites journées.
Hélas! les belles destinées

Ne devroient aller que le pas.
Mais quoi le ciel ne le veut pas.
Toute âme illustre s'en console,
Et pendant que l'àge s'envole,
Tâche d'acquérir un renom
Qui fait encor vivre le nom,

Quand le héros n'est plus que cendre.

Il est probable qu'à cette époque (en 1658) La Fontaine avoit déjà composé quelques uns des contes qui établirent sa réputation comme poëte, car une

Epitre à une abbesse de Brabant.

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