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Le mal est que l'on voit ici

De plus sévères moralistes...

Anacréon cité devant des Jansénistes!...

Encor

que leurs leçons me semblent un peu tristes,
Vous devez priser ces auteurs

Pleins d'esprit et bons disputeurs.

Vous en savez goûter de plus d'une manière :

Les Sophocles du temps et l'illustre Molière
Vous donnent toujours lieu d'agiter quelque point.
Sur quoi ne disputez-vous point?

On aime à voir La Fontaine s'estimer franchement
ce qu'il valoit, et se placer lui-même à côté d'Ana-
créon. Ce n'étoit pas un mal, quoi qu'il en dise, de
souhaiter de plus sévères moralistes que lui; mais
c'en étoit un réel que les misérables querelles des
Jansénistes et des Molinistes: excepté La Fontaine
qu'elles ennuyoient, tout le monde s'en mêloit.
même les femmes les moins dévotes, telle que la
duchesse de Bouillon. Au moins ces disputes lais-
soient encore quelque place pour la littérature, bien
différentes en cela des discussions politiques qui nous
occupent depuis trente ans.

La Fontaine, continuant sur le même ton, ressuscite Anacréon, et suppose qu'il se rencontre en Angleterre avec cet ancien poëte, et avec Waller et Saint-Evremond.

Il nous feroit beau voir, parmi des jeunes gens,
Inspirer le plaisir, danser, et nous ébattre,
Et de fleurs couronnés, ainsi que le printemps,

Faire trois cents ans à nous quatre.

1687-1689

Et. 66-68

Waller, 21

Presque dans le même temps que La Fontaine Mort de traçoit ces lignes, Waller expiroit 55. Sans pouvoir octobre 1687 être comparé à La Fontaine, Waller fut un de ceux

1687-1689 qui contribuèrent le plus à donner du nombre et At. 66-68 de l'harmonie à la poésie anglaise. Il fut un poëte élégant et spirituel, mais il manquoit de force et de naturel.

La Fontaine, à la fin de sa lettre, revient sur les motifs qui l'empêchent de passer en Angleterre ; un des plus décisifs est qu'on lui a dit que Mme d'Hervart, Mme de Gouvernet, et Mme d'Hélang n'étoient pas disposées à faire ce voyage; et il fait entendre qu'il en coûteroit trop d'efforts à son indolence, pour les convertir. « Non plus que Non plus que Perrin-Dandin, dit-il, je ne suis bon que quand les parties sont lasses » de contester. » Enfin, après une digression en vers, sur le roi d'Angleterre, Jacques II, et sur Louis XIV, La Fontaine dit de ce dernier :

>>

On trouvera ses leçons

Chez ceux qui feront l'histoire ;
J'en laisse à d'autres la gloire,
Et reviens à mes moutons.

...

« Ces moutons, Madame, c'est votre altesse, et >> Mme Mazarin » Il n'y a que La Fontaine qui ait pu se permettre, avec une altesse, une si comique transition; mais il n'y avoit que lui aussi qui alors savoit écrire des choses aussi aimables et aussi spirituelles, que celles qui suivent immédiatement.

« Ce seroit ici le lieu de faire aussi son éloge (de >> Mme de Mazarin), afin de le joindre au vôtre; mais, >> toutes réflexions faites, comme ces sortes d'éloges » sont une matière un peu délicate, je crois qu'il » vaut mieux que je m'en abstienne.

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Vous vous aimez en sœurs : cependant j'ai raison

D'éviter la comparaison.

L'or se peut partager, mais non pas la louange;

Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange,

Ne contenteroit pas, en semblables desseins,

Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints.

1687-1689

Æt. 66-68

de Mazarin et de Bouillon

Evremond de

Fontaine.

Saint-Evre

mond.

Toute la société de Mme de Mazarin et de la duchesse Les duchesses de Bouillon, fut enchantée de cette lettre : elle aug- chargent St.menta les regrets de ne pouvoir posséder le poëte répondre a La qui l'avoit écrite. Saint-Evremond fut chargé d'y ré-Réponse de pondre au nom de tous. Sa lettre, qui est en prose et en vers, commence ainsi : « Si vous étiez aussi touché du mérite de Mme de Bouillon que nous en sommes charmés, vous l'auriez accompagnée en Angleterre, et vous eussiez trouvé des dames qui vous connoissent autant par vos ouvrages que vous connoît Mme de La Sablière par votre commerce et votre entretien. >> Saint-Evremond, dans cette lettre, apprend à La Fontaine la nouvelle de la mort de Waller, et exprime sa douleur de cette perte en vers assez touchants: il s'étend sur les qualités de la duchesse de Bouillon, et de la duchesse de Mazarin qui fondoit l'espoir de son retour en France sur la mort de son mari.

Par tous moyens traversez son retour,

Jeunes beautés; tremblez au nom d'Hortense :
Si la mort d'un époux la rend à votre cour,
Vous ne soutiendrez pas un instant sa présence.

Saint-Evremond loue ensuite La Fontaine sur son esprit, et même sur sa morale, parce que c'étoit aussi la sienne.

Vous possédez tout le bon sens

Qui sert à consoler des maux de la vieillesse,

1687-1689

El. 66-68

Autre Lettre

de La Fon

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Vous avez plus de feu que n'ont les jeunes gens;
Eux moins que vous de goût et de justesse.

Après avoir parlé de votre esprit, il faut dire

un mot de votre morale. >>

S'accommoder aux ordres du destin,

Aux plus heureux ne porter point d'envie,
De ce faux air d'esprit que prend un libertin
Connoître avec le temps comme nous la folie,
Et dans les vers, jeu, musique et bon vin,
Entretenir une innocente vie ;

C'est le moyen d'en reculer la fin.

Puissiez-vous pousser la vie plus loin que n'a

fait Waller!»>

Que plus long-temps votre Muse agréable
Donne au public ses ouvrages galants!

Que tout chez vous puisse être conte et fable,
Hors le secret de vivre heureux cent ans 56!

Dans la réponse à cette lettre, nous voyons que taine à Saint-La Fontaine fut surtout très-satisfait de ce que

Evremond.

Saint-Evremond ne le comptoit pas, malgré la licence de ses mœurs et celle de ses écrits, au nombre des hommes irréligieux; car le mot libertin avoit alors cette signification.

« J'en reviens à ce que vous me dites de ma mo>> rale, et suis fort aise que vous ayez de moi l'opi>>nion que vous en avez. Je ne suis pas moins ennemi >> que vous du faux air d'esprit que prend un libertin. Quiconque l'affectera, je lui donnerai la palme » du ridicule. »

>>

Rien ne m'engage à faire un livre,
Mais la raison m'oblige à vivre

En sage citoyen de ce vaste univers:
Citoyen qui voyant un monde si divers,

Rend à son auteur les hommages
Que méritent de tels ouvrages.

Ce devoir acquitté, les beaux vers, les doux sons,

Il est vrai, sont peu nécessaires:

Mais qui dira qu'ils sont contraires

A ces éternelles leçons?

1687-1689

Et. 66-68

On peut goûter la joie en diverses façons;

Au sein de ses amis répandre mille choses,

Et, recherchant de tout les effets et les causes,

A table, au bord d'un bois, le long d'un clair ruisseau,
Raisonner avec eux sur le bon, sur le beau ;

Pourvu que ce dernier se traite à la légère,

Et que
N'occupe votre esprit et vos yeux qu'en passant.

la nymphe ou la bergère

Le chemin du cœur est glissant :

Sage Saint-Evremond, le mieux est de m'en taire,
Et surtout n'être plus chroniqueur de Cythère,
Logeant dans mes vers les Chloris,
Quand on les chasse de Paris.

On va donc embarquer ces belles;

Elles s'en vont peupler l'Amérique d'Amours 57.

Aveux de

La Fontaine sur lui-même.

portoit alors

bliques dans

Il faut avouer qu'il échappe ici au bon homme un singulier aveu. L'éditeur des œuvres de Saint-Evremond n'a voulu nous laisser aucun doute sur le sens, déjà fort clair, de ces derniers vers: il nous apprend, que lorsque La Fontaine écrivit cette lettre, on faisoit enlever à Paris un grand nombre de courtisanes, On transqu'on envoya peupler l'Amérique. L'usage étoit des filles pules transporter non seulement aux Indes occiden- les colonies. tales, mais à Madagascar. Bussy-Rabutin a décrit, assez plaisamment, dans un petit poëme, ces sortes d'exécutions de la police de Paris, qui se faisoient régulièrement, et il nomme aussi Chloris, une de ces dames, qui, embarquéc pour Madagascar, se trouve obligée,

malgré ses dents,

D'obéir à la politique

Qui règle la chose publique 58.

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