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1687-1689

Cette dernière plaisanterie, qui avoit bien pour

Et. 66-68 La Fontaine son côté sérieux, rappelle ce joli vers d'une de nos comédies modernes que prononce un mari enchanté de la figure et de l'esprit de celle avec laquelle ses parents l'avoient uni, et dont il s'étoit toujours tenu séparé pour se conformer aux mœurs du jour :

bituelle de La

Fontaine.

Il est bien malheureux que ce soit là ma femme 50!

Comme La Fontaine ne pouvoit plus habiter continuellement le salon de Mme de La Sablière, désormais désert, il se trouvoit forcé de recevoir ses amis. et sa société particulière dans son appartement. Cette Société ha société se composoit principalement de M. d'Hervart, qu'à cause des robes rouges que portoient les membres du parlement, il surnommoit, dans son style de fablier, l'ornement de la gent porte-écarlate; puis d'un M. Saint-Dié, qui, ainsi que M. d'Hervart, et M. Hessein, frère de Mme de La Sablière, étoit une des connoissances intimes de l'ambassadeur Bonrepaux; enfin du joyeux Vergier: tels étoient les principaux habitués de ces petites réunions. La Fontaine avoit aussi un clavecin, et quelque actrice ou chanteuse charmoit par sa voix et son jeu cette société de vrais amis. Notre poëte avoit orné la chambre où il recevoit, de bas-reliefs, et de bustes en terre cuite des principaux philosophes de l'antiquité. Il 'entretient l'ambassadeur de tous ces détails avec une joie d'enfant..

<< Il faut pourtant que je vous mande, Mon

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sieur, en quel état est la chambre des philosophes. 1687-1689 >> Ils sont cuits, et embellissent tous les jours. J'y t. 66-68 >> ai joint un autre ornement qui ne vous déplaira

orne

sa

Il chambre de

bas-reliefs.

» pas, si vous me faites l'honneur de les venir voir bustes et de avec ceux de vos amis qui doivent être de la par

>> tie. >>>

Mes philosophes cuits, j'ai voulu que Socrate,

Et Saint-Dié mon fidèle Achate,

Et de la gent porte-écarlate

D'Hervart tout l'ornement, avec le beau berger

Verger,

Pussent avoir quelque musique

Dans le séjour philosophique.

Vous vous moquez de mon dessein;

J'ai cependant un clavecin.

Un clavecin chez moi! Ce meuble vous étonne.

Que direz-vous, si je vous donne

Une Chloris dont la voix

Y-joindra ses sons quelquefois?

La Chloris est jolie et jeune, et sa personne
Pourroit bien ramener l'Amour

Au philosophique séjour.

Je l'en avois banni; si Chloris le ramène,
Elle aura chansons sur chansons;

Mes vers exprimeront la douceur de ses sons.
Qu'elle ait à mon égard le cœur d'une inhumaine,
Je ne m'en plaindrai point, n'étant bon désormais
Qu'à chanter les Chloris, et les laisser en paix.

On faisoit

chez lui de la musique.

nés a La Fontaine.

Cependant, malgré les sermons que ne lui épargnoit Conseils donpas Mme de La Sablière, à laquelle il auroit voulu complaire, il envie le sort de Waller, qui, selon ce que lui avoit dit M. Bonrepaux, étoit amoureux et poëte à quatre-vingt-deux ans. « Je n'espère pas Ses résolu» du ciel, répond La Fontaine, tant de faveurs. » C'est du ciel dont il est fait mention au pays des >> fables dont je veux parler; car celui que l'on prêche

à présent en France veut que je renonce aux Chlo

tions.

1687-1689 » ris, à Bacchus, et à Apollon.... Je concilierai tout Æt. 66-68 » cela le moins mal et le plus long-temps qu'il me 51 » sera possible 51.

Jugement de Ninon Len

>>

Ninon de Lenclos qui étoit en correspondance clos sur La avec Saint-Evremond, autrefois son amant, ap

Fontaine.

Son erreur à cet égard.

prit les tentatives que l'on faisoit pour attirer La Fontaine en Angleterre : elle savoit très-bien que, quoiqu'il eût passé le temps d'aimer, il n'avoit pu encore renoncer aux femmes, et qu'avec l'âge, devenu peu délicat, il ne se refusoit pas des jouissances faciles auprès des Jeannetons et des Chloris. Comme d'ailleurs elle connoissoit peu intimement notre poëte, alors moins répandu dans le monde, parce qu'il se renfermoit dans un petit cercle d'amis, elle le jugeoit avec sévérité, et croyoit que son esprit avoit baissé. « J'ai su, écrivoit-elle à Saint-Evremond, que vous souhaitiez La Fontaine en Angleterre : on n'en jouit guère à Paris; sa tête est bien affoiblie. C'est le destin des poëtes; le Tasse et Lucrèce l'ont éprouvé. Je doute qu'il y ait eu du philtre amoureux pour La Fontaine; il n'a guère aimé de femmes qui en eussent pu faire la dépense 52. »

Mais, dans le même temps que la moderne Aspasie portoit un jugement si sévère sur l'Anacréon français, Saint-Evremond lisoit une lettre que notre poëte venoit d'écrire à Mme la duchesse de Bouillon. Cette lettre seule suffisoit pour prouver que La Fontaine n'avoit rien perdu des grâces de son esprit. Il badine sur son projet de voyage en Angleterre,

et indique assez qu'il n'a pas dessein de le réaliser. 1687-1689 Il se plaint aussi de ce que Ma la duchesse de 7.66-68 Bouillon reste aussi long-temps à Londres auprès,

dame la du

Bouillon.

de

de sa sœur. « Mais, dit-il, on ne quitte pas Mme la Lettie à Ma-
duchesse Mazarin comme l'on voudroit. Vous chesse
>> êtes toutes deux environnées d'enchantements
» et de grâce de toutes sortes. >>

Vous portez en tous lieux la joie et les plaisirs :
Allez en des climats inconnus aux zéphyrs,

Les champs se vêtiront de roses.

La duchesse de Bouillon avoit eu sans doute quelque
motif grave pour se retirer à Londres, et son voyage
en Angleterre étoit probablement un exil forcé;
car La Fontaine ajoute :

Mais comme aucun bonheur n'est constant dans son cours,
Quelques noirs aquilons troublent de si beaux jours.
C'est là que vous savez témoigner du courage :
Vous envoyez au vent ce fâcheux souvenir.
Que n'en aviez-vous un qui sût le prévenir!

Descartes n'est pas le

teur du système sur l'à

D'après cette lettre, il paroît que Saint-Evremond fut fort étonné d'apprendre que Descartes n'étoit pas le premier auteur du système sur l'âme des bêtes. premier auEn effet, Bayle, à qui rien n'échappoit, découvrit me des bètes. qu'un médecin espagnol, nommé Gomesius Pereira, avoit établi cette doctrine dans un livre, imprimé à Medina del Campo, en 155453. « Quand on n'en >> auroit pas apporté de preuves, dit La Fontaine,

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je ne laisserois pas de le croire, et ne sais que les Espagnols qui pussent bâtir un château tel que >> celui-là.» On voit, d'après cela, que La Fontaine ne croyoit pas que les bêtes fussent de pures ma

1687-1689 chines. La remarque de Bayle semble avoir diminué 1. 66-68 le respect de notre poëte pour Descartes, car il ajoute : Tous les jours je découvre ainsi quelque opi

El.

Réflexions de La Fontaine à ce sujet.

La Fontaine

mêle son propre éloge à celui de Waller

et de SaintEvremond.

>>

» nion de Descartes répandue de côté et d'autre » dans les ouvrages des anciens, comme celle-ci : qu'il n'y a point de couleur au monde; ce ne sont » que de différents effets de la lumière sur diffé>> rentes superficies. Adieu les lis et les roses de nos » Amintes. Il n'y a ni peau blanche ni cheveux noirs : >> notre passion n'a pour fondement qu'un corps sans » couleur. Et, après cela, je ferai des vers pour la principale beauté des femmes ! » En effet, La Fontaine a pu trouver cette idée sur les couleurs dans Platon, et dans Plutarque, deux auteurs qu'il lisoit beaucoup, ainsi que dans Aristote qu'il ne lisoit guère 54.

>>

Notre poëte revient ensuite à l'éloge de Mme la duchesse de Bouillon, et il lui dit qu'elle vouloit tout savoir sans se donner d'autre peine, que d'en entendre parler à table.

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« Vous jugez de mille sortes d'ouvrages, et en
jugez bien. »>

Tout vous duit, l'histoire et la fable,
Prose et vers, latin et françois.

Parmi ceux qu'admet à sa cour
Celle qui des Anglais embellit le séjour,
Anacréon et les gens de sa sorte,
Comme Waller, Saint-Evremond et moi,
Ne se feront jamais fermer la porte.
Qui n'admettroit Anacréon chez soi?
Qui banniroit Waller et La Fontaine?

Tous deux sont vieux, Saint-Evremond aussi :
Mais verrez-vous aux bords de l'Hippocrène,
Gens moins ridés en leurs vers que ceux-ci?

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