Imatges de pàgina
PDF
EPUB

1654-1658 jolie, mais assez sotte. Colletet entreprit cependant A. 33-37 de lui faire une réputation littéraire. Il composoit

«

pour elle des vers français, qu'elle récitoit à table avec assez d'agrément, et dont on la croyoit l'auteur; quelques uns même ont été imprimés sous son nom 37. Beaucoup de beaux esprits du temps furent dupes de cette ruse, et, charmés de la figure de, la belle Claudine, plus encore que de ses vers, ils s'empressèrent de la célébrer, Le savant Nicolas Heinsius, qui la vit pendant son séjour à Paris, écrivoit à Colletet, dans une lettre en latin datée de Stockholm, Quand je vois ta Claudine, cet assemblage de toutes les grâces, il me semble que j'ai devant moi toutes les Muses ensemble 38. » Le Pelletier et d'autres poëtes firent des sonnets pour Claudine; et Colletet lui-même en composa pour elle un recueil qu'il intitula les Amours de Claudine. La Fontaine fut plus qu'un autre épris des charmes de la jeune Muse; il fit des vers à sa louange; et, parmi plusieurs autres, que sans doute il avoit composés sur le même sujet, il nous a conservé un sonnet et deux madrigaux adressés à Mademoiselle pour Made- C. (Claudine Colletet); car alors, même parmi les femmes mariées, il n'y avoit que celles d'un certain rang à qui on donnât le titre de Madame.

Sonnet

et madrigaur

moiselle Col

letel.

Colletet voulut conserver après lui, à Claudine la réputation qu'il lui avoit acquise; et, peu de temps avant de mourir, il fit sous son nom les sept vers suivants, dans lesquels elle protestoit qu'après la mort de son époux elle renonçoit à la poésie.

Le cœur gros de soupirs, les yeux noyés de larmes,
Plus triste que la mort dont je sens les alarmes,
Jusque dans le tombeau je vous suis, cher époux.
Comme je vous aimai d'une ardeur sans seconde,
Comme je vous louai d'un langage assez doux,
Pour ne plus rien aimer ni rien louer au monde.
J'ensevelis mon cœur et ma plume avec vous 39.

1654-1658 Et. 33-37

Claudine ayant tenu trop exactement parole, on se douta de la ruse. Ceux qui l'avoient le plus admirée, ne trouvant plus en elle qu'un esprit vulgaire, furent entièrement désabusés. La Fontaine désen- Stances chanté, non seulement quitta Claudine, mais fit moiselle Colcontre elle des stances satiriques qui commencent ainsi :

Les Oracles ont cessé,

Colletet est trépassé.

Dès qu'il eut la bouche close,
Sa femme ne dit plus rien.

Elle enterra vers et prose
Avec le pauvre chrétien.

La Fontaine imprima dans un recueil ces stances, à la suite même du sonnet et des deux madrigaux 4o; et comme on le railloit sans doute d'avoir été pris pour dupe, il fit précéder ces pièces de vers d'une lettre à un de ses amis, qui contient de singuliers et naïfs aveux.

[ocr errors]

contre Made

letet

Singulier aveu de La

« Vous vous étonnez, dites-vous, de ce que tant » d'honnêtes gens ont été les dupes de mademoi- Fontaine. » selle C. (Colletet), et de ce que j'y ai été moi-même attrapé. Ce n'est pas un sujet d'étonnement que » ce dernier point; au contraire, c'en seroit un si » la chose s'étoit passée autrement à mon égard. » Savez-vous pas bien que pour peu que j'aime je

»

1658-1664 » ne vois dans les défauts des personnes non plus Æt. 37-43 » qu'une taupe qui auroit cent pieds de terre sur >> elle? Dès que j'ai un grain d'amour, je ne manque

Des poésies légères de La Fontaine.

» pas d'y mêler tout ce qu'il y a d'encens dans mon magasin; cela fait les meilleurs effets du monde :

[ocr errors]
[ocr errors]

>>

je dis des sottises en vers et en prose, et serois » fâché d'en avoir dit une qui ne fût pas solennelle. » Enfin je loue de toutes mes forces. Homo sum qui ex stultis insanos reddam. Ce qu'il y a, c'est que l'inconstance remet les choses en leur ordre. Ne vous étonnez donc plus; voyez seulement ma palinodie; mais voyez-la sans vous en scanda>> liser. >>>

[ocr errors]
[ocr errors]

1

Si Claudine n'avoit pas voulu jouer le rôle de bel esprit, et paroître autre qu'elle n'étoit, La Fontaine n'auroit pas fait contre elle des stances satiriques, et probablement ne l'auroit pas quittée si promptement; il n'avoit que trop de goût pour les amours vulgaires : il parle d'après sa propre conviction quand il nous dit qu'une grisetle est un trésor, et il en fait connoître de suite la raison

On en vient aisément à bout;

[ocr errors]

On lui dit ce qu'on veut, bien souvent rien du tout.

La condition que La Fontaine avoit faite d'acquitter par des vers chaque quartier de sa pension, lui fit composer à cette époque différentes petites pièces qui n'ont rien aujourd'hui de remarquable, mais qui le paroîtront beaucoup si on les compare avec les recueils de sonnets, de madrigaux et autres poésies que publioient les Hesnault, les Colletet,

les Perrin, les Bonnecorse, et tant d'autres poëtes 1658-1664 de cette époque. On ne connoissoit, en quelque Æl. 37-43 sorte, que le style maniéré et recherché dont Voiture étoit le modèle; le style froidement ampoulé de Ronsard et de Brébeuf, et l'ignoble burlesque mis à la mode par Scarron. Les Muses françaises sembloient avoir perdu, depuis Marot, l'art de badiner avec grâce. La Fontaine, qui avoit fait une étude approfondie de cet ancien poëte, aimoit à s'approprier ses tours si énergiques dans leur naïve précision, à enrichir sa langue des mots expressifs de nos vieux auteurs, que l'usage et le temps avoient laissé perdre; et, guidé par son heureux instinct et par l'excellent modèle qu'il s'étoit choisi, il fut le premier qui, dans les petits vers de circonstance, fut aisé, naturel et vrai. Sous ce rapport, ses premières poésies méritent attention, et sont en quelque sorte des monuments pour notre histoire littéraire. La Fontaine réunit, par le caractère et le style de ses écrits, les deux beaux siècles de François Ier et de Louis XIV. Il a les grâces ingénues et spirituelles du premier, et s'élève souvent à la pompe et à la magnificence du second. C'est non seulement par le choix heureux de vieilles expressions rajeunies par lui, mais encore par la forme même de ses premiers essais, qu'il s'est rapproché heureusement des poëtes du 16° siècle. Du temps de La Fontaine, il semble qu'on ne pouvoit s'exprimer que par des sonnets ou des madrigaux. La Fontaine en a composé très-peu. Dans toutes les petites pièces de vers

1658-1664 qu'il fit ou pour Fouquet ou par ses ordres, il s'assuÆt. 37-43 jétit au mètre de la ballade chevaleresque, du rondeau gaulois, du sixain ou du dizain des troubadours, de l'épître familière, et de l'ode anacréontique.

[blocks in formation]

Quelquefois, en s'adressant au surintendant, il
badine sur l'engagement qu'il avoit pris avec lui.
Il me faudra quatre termes égaux.

A la Saint-Jean je promets madrigaux
Courts et troussés et de taille mignonne :
Longue lecture en été n'est pas bonne.

Pâques, jour saint, veut autre poésie.
J'enverrai lors, si Dieu me prête vic,
Pour achever toute la pension,
Quelques sonnets pleins de dévotion.
Ce terme-là pourroit être le pire;

On me voit peu sur tels sujets écrire 41.

On s'aperçoit, par ces vers, que La Fontaine s'étoit bien écarté des idées qui l'avoient fait entrer, vingt ans avant, à la congrégation de l'Oratoire. Il ajoute :

Mais tout au moins je serai diligent;

Et, si j'y manque, envoyez un sergent;
Faites saisir, sans aucune remise,
Stances, rondeaux, et vers de toute guise.
Ce sont nos biens; les doctes nourrissons
N'amassent rien, si ce n'est des chansons.

Et je prétends...

Qu'au bout de l'an le compte y soit entier;
Deux en six mois, un par chaque quartier.
Pour sûreté j'oblige par promesse

Le bien que j'ai sur le bord du Permesse.
Même au besoin notre ami Pelisson

Me pleigera d'un couplet de chanson 42.

Ce fut Pelisson, l'ami constant de notre poëte, qui transmit à Fouquet cette épître, et qui envoya

« AnteriorContinua »