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A sa physionomie on n'eût point deviné ses 1654-1658 talents. Rarement il commençoit la conversation, et Æ. 33-37 même, pour l'ordinaire, il y étoit si distrait, qu'il

ne savoit ce que disoient les autres. Il révoit à tout autre chose, sans qu'il pût dire à quoi il rêvoit. Si pourtant il se trouvoit entre amis, et que le discours vînt à s'animer par quelque agréable dispute, surtout à table, alors il s'échauffoit véritablement, ses yeux s'allumoient; c'étoit La Fontaine en peret non pas un fantôme revêtu de sa figure. On ne tiroit rien de lui dans un tête-à-tête, à moins que le discours ne roulât sur quelque chose de sérieux et d'intéressant pour celui qui parloit. Si des personnes dans l'affliction s'avisoient de le consulter, non seulement il écoutoit avec grande attention, mais, je le sais de gens qui l'ont éprouvé, il s'attendrissoit; il cherchoit des expédients; il en trouvoit; et cet idiot (c'est d'Olivet qui parle), qui de sa vie n'a fait à propos une démarche pour lui, donnoit les meilleurs conseils du monde : autant il étoit sincère dans ses discours, autant étoit-il facile à croire tout ce qu'on lui disoit.

» Une chose qu'on ne croiroit pas de lui, et qui est pourtant très-vraie, c'est que dans ses conversations il ne laissoit rien échapper de libre, ni d'équivoque. Quantité de gens l'agaçoient, dans l'espérance de lui entendre faire des contes semblables à ceux qu'il a rimés; mais il étoit sourd et muet sur ces matières : toujours plein de respect pour les femmes, donnant de grandes louanges à

Selon d'Olivet.

1654-1658 celles qui avoient de la raison, et ne témoignant Et. 33-37 jamais de mépris à celles qui en manquoient 28

Selon

Mad. Ulrich.

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Nous voyons par là que La Fontaine étoit un convive aimable, un homme de bon ton et de bon conseil, sensible et affectueux, plein d'indulgence pour les autres, simple et sans prétention pour lui-même un composé si rare nous explique suffisamment ses succès dans le monde. Aussi la dame dont nous avons parlé plus haut, et qui publia les œuvres posthumes de notre poëte un an après sa mort, oppose-t-elle la manière dont il étoit accueilli partout, au portrait qu'en a tracé La Bruyère.

« Si l'auteur qui l'a peint sous des traits si contraires à la vérité l'avoit bien connu, dit-elle, il auroit avoué que le commerce de cet aimable homme faisoit autant de plaisir que la lecture de ses livres. Aussi tous ceux qui aiment ses ouvrages (et qui est-ce qui ne les aime pas ?) aimoient aussi sa personne. Il étoit admis chez tout ce qu'il y a de meilleur en France. Tout le monde le désiroit, et si je voulois citer toutes les illustres personnes et tous les esprits supérieurs qui avoient de l'empressement pour sa conversation', il faudroit que je fisse la liste de toute la cour 29.

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Mais c'est encore plutôt dans ses ouvrages que dans les renseignements donnés par ses contemporains, que nous devons étudier cette alliance d'un esprit plein de finesse et de malice avec cette simplicité et cette bonhomie innées et inaltérables,

qui font de La Fontaine l'homme le plus singulier 1654-1658 peut-être et le plus original qui ait paru.

Et. 33-37

Vaux.

Ce fut en 1653 que Fouquet commença les tra- Le Songe de vaux de Vaux-le-Vicomte, situé à dix lieues de Paris, près Melun et sur les bords de la Seine. L'architecte Le Vau, que Boileau prétend être le véritable auteur de la célèbre colonnade du Louvre 30 construisit le palais; Le Nostre dessina les jardins; Le Brun et les meilleurs artistes du temps exécutèrent les peintures, Bientôt Vaux surpassa en splendeur Compiègne, Fontainebleau, et les autres palais royaux qui existoient alors. Fouquet y dépensa dix-huit millions, qui en valoient près de trente-six de notre monnoie actuelle. Toutes ces merveilles enchantèrent La Fontaine, et, autant pour céder à sa propre impulsion que par le désir de louer le goût et la magnificence de son protecteur, il entreprit de célébrer ces beaux lieux dans un ouvrage mêlé de prose et de vers, qu'il intitula le Songe de Vaux. Il avoué que cet ouvrage l'a occupé pendant près de trois ans sans doute bien agréablement puisqu'il jouissoit en mêmetemps des lieux qu'il décrivoit; mais il ne l'a jamais terminé, et n'en a publié que des fragments. Le Père Bouhours, dont les décisions étoient alors une autorité en littérature, dit que ces fragments brillent d'esprit depuis le commencement jusqu'à la fin. Il est vrai; mais c'est de celui de Voiture et de Sarrasin, pour lequel on avoit une admiration beaucoup trop grande, et qu'on a trop rabaissé depuis. La

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les

1654-1658 Fontaine feint, dans le Songe de Vaux, que 1.33-37 quatre arts qui avoient contribué à l'embellissement

et à la célébrité de ces lieux enchantés, l'architecture, la peinture, le jardinage et la poésie se disputent la préséance. Ces arts sont représentés par quatre fées, Palatiane, Appellanire, Hortesie et Calliopée, qui plaident successivement leur cause en présence d'Oronte ou de Fouquet, et de force demi-dieux, pour nous servir des termes mêmes de l'auteur. On sent combien cette allégorie est froide; l'exécution s'en est ressentie. On voit que La Fontaine, dans ce premier essai, cherchoit encore son talent; et il faut avouer qu'il le trouve quelquefois, comme dans la peinture de l'oisiveté, et dans l'invocation au Sommeil, que nous citerons, parce qu'il y saisit l'occasion, qu'il n'a jamais laissé échapper depuis, d'apprendre à ses lecteurs combien il aimoit à dormir :

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Toi que chacun réclame,

Sommeil, je ne viens pas t'implorer dans ma flamme;
Conte à d'autres que moi ces mensonges charmants
Dont tú flattes les vœux des crédules amants;

Les merveilles de Vaux me tiendront lieu d'Aminte.
Fais que par ces démons leur beauté me soit peinte.
Tu sais que j'ai toujours honoré tes autels ;

Je t'offre plus d'encens que pas un des mortels;

Doux Sommeil, rends-toi donc à ma juste prière 32.

Aucun poëte, soit ancien, soit moderne, n'a mieux que La Fontaine loué les femmes, les délices de la vie champêtre, les charmes de la solitude, les douceurs du sommeil et de la paresse. Quand ces sujets se présentent sous sa plume, il est toujours

heureusement inspiré. Dans le cinquième fragment 1654-1658 de ce Songe de Vaux, la peinture qu'il fait de la nuit t. 33-37 rappelle la grâce de l'Albane et du Corrège.

Voyez l'autre plafond où la nuit est tracée :
Cette divinité, digne de vos autels,

Et qui, même en dormant, fait du bien aux mortels,
Par de calmes vapeurs mollement soutenue,

La fête sur son bras, et son bras sur la nue,
Laisse tomber des fleurs, et ne les répand pas 33,

Puis il ajoute :

Avec tous ses appas, l'aimable enchanteresse
Laisse souvent veiller les peuples du Permesse;
Cent doctes nourrissons surmontent son effort.
Hélas! dis-je, pour moi, je n'ai rien fait encor;
Je ne suis qu'écoutant parmi tant de merveilles.
Me sera-t-il permis d'y joindre aussi mes veilles?
Quand aurai-je ma part d'un si doux entretien?

La Fontaine avoit près de trente-sept ans lorsqu'il se plaignoit, avec raison, de n'avoir encore rien fait qui pût passer à la postérité 34; mais les Muses, dont il imploroit les entretiens avec tant de charme, devoient bientôt le combler de leurs plus précieuses faveurs.

Cependant il paroît avoir été, à cette époque, dominé encore plus par son goût pour le plaisir que par son amour pour la gloire.

Liaison de

La Fontaine avec la femme

Guillaume Colletet, le père de celui que Boileau a insulté dans ses vers, étoit particulièrement en- de Colletet. clin aux amours ancillaires, comme dit Ménage dans son langage pédantesque 35: il avoit épousé successivement trois de ses servantes; la troisième, qui se nommoit Claudine, étoit une blonde 36. fort

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