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LIVRE QUATRIÈME.

1679-1682

Et. 58-61

gage La Fon

vailler pour

LA FONTAINE, quoiqu'il eût débuté dans la littérature par la traduction d'une comédie de Térence, n'avoit pas songé cependant à travailler pour le théâtre. C'est surtout dans la poésie théâtrale qu'en Lally enpeu d'années la gloire littéraire de la France s'étoit faine à traélevée bien au dessus de celle de tous les peuples le théâtre. modernes, et avoit peut-être surpassé celle des anciens. La variété et l'abondance se joignoient à la perfection, et il seroit difficile d'imaginer un genre de composition scénique, dont on ne pût trouver des modèles dans les théâtres de Corneille, de Racine, de Molière et de Quinault '. Ces hommes illustres avoient déjà produit la plupart de leurs chefs-d'œuvre, lorsque Lully crut qu'un poëte tel que La Fontaine pourroit facilement, et en peu de temps, composer un opéra auquel sa célébrité, bien supérieure à celle de Quinault, assureroit un succès certain. Plein de cette idée, Lully va trouver La Fontaine, le cajole, le berce des promesses les plus flatteuses, et fait si bien qu'il parvient à son but. La Fontaine se mit à composer l'opéra de Daphné. Daphne, Le musicien, pressé par le temps, obsédoit sans cesse le poëte, habitué à travailler à loisir, et pour qui toute espèce de contrainte étoit antipathique ; mais le pire fut qu'habitué à la docilité de Quinault

opéra, 1079

1679-1682 et à tout assujétir à l'effet musical, Lully tourmen58-61 toit sans cesse La Fontaine pour changer la disposition des scènes, pour allonger ou raccourcir certains vers. Au bout de quatre mois de persécution, Lully peu satisfait de l'ouvrage de La Fontaine, l'abandonna sans mot dire, pour adopter l'opéra de Proserpine de Quinault, qu'il mit en musique, et qui fut joué à Saint-Germain le 3 février 1680 3. La La Fontaine Fontaine ne put se refuser à l'indignation qu'inavec Lully spira ce procédé à tous ses amis. C'est alors qu'il exhala son humeur dans une singulière et comique satire, intitulée le Florentin 5.

se brouille

Le Florentin,

satire.

Madame de Thianges réconcilie La

Lully.

et

fut

Le Florentin
Montre à la fin

Ce qu'il sait faire.

J'en étois averti, l'on me dit : Prenez garde;
Quiconque s'associe avec lui se hasarde.

Malgré tous ces avis il me fit travailler.

Le paillard s'en vint réveiller

Un enfant des Neuf Sœurs; enfant à barbe grise,
Qui ne devoit en nulle guise

Etre dupe : il le fut et le sera toujours.

Je me sens né pour être en butte aux méchants tours,
Vienne encor un trompeur, je ne tarderai guère.
... Il me persuada,

A tort, à droit me demanda

Du doux, du tendre, et semblables sornettes,

Petits mots, jargons d'amourettes,

Confits au miel: bref il m'enquinauda.

Mme de Thianges chercha à apaiser le courroux de Fontaine La Fontaine, et à le réconcilier avec Lully; ce qui ne pas difficile. Le raccommodement fut si complet et si sincère que La Fontaine supprima sa satire qui n'a été imprimée qu'après sa mort, et qu'il fit

depuis pour Lully, deux dédicaces en vers, l'une 1679-1682 pour l'opéra d'Amadis, et l'autre pour celui de Æt. 58-61 Roland; la dernière est charmante, et Louis XIV La Fontaine y est loué avec beaucoup de grâce et de délica- pour Lully. tesse 6.

La Fontaine, pour s'excuser auprès de Mme de Thianges qui avoit désapprouvé sa satire, avoit adressé une épître en vers, dans laquelle il expose ce qui s'étoit passé alors dans son esprit avec sa gaieté, sa franchise et sa bonhomie ordinaires 7.

Vous trouvez que ma satire

Eût pu ne se point écrire,
Et que tout ressentiment

La plupart du temps peut nuire,

Et ne sert que rarement.

J'eusse ainsi raisonné si le ciel m'eût fait ange,

Ou Thiange;

Mais il m'a fait auteur, je m'excuse par là :

Auteur qui pour tout fruit moissonne
Un peu de gloire ; on le lui ravira,

Et vous croyez qu'il s'en taira!

Il n'est donc plus auteur, la conséquence est bonne !
S'il s'en rencontre un qui pardonne,

Je suis cet indulgent; s'il ne s'en trouve point,
Blâmez la qualité, mais non pas la personne.

Je pourrois alléguer encore un autre point:

Les conseils. Et de qui? - Du public. C'est la ville,
C'est la cour; et ce sont toutes sortes de gens,

Les amis, les indifférents,

Qui m'ont fait employer le peu que j'ai de bile.
Ils ne pouvoient souffrir cette atteinte à mon nom.
La méritois-je ? On dit que non.

fait des ver s

Il amène ensuite très-naturellement les éloges du roi, de son bon goût, et de son discernement en littérature. La Fontaine désiroit que son opéra fût joué devant Louis XIV; et pour que le but de

Epitre à Madame de Thianges.

1679-1682 toutes ces louanges déjà si facile à deviner soit claiEl. 58-61 rement exprimé, il termine en disant;

Déclin du cré

dit de Mon

tespan.

Retourner à Daphné vaut mieux que se venger.

Je vous laisse d'ailleurs ma gloire à ménager.
Deux mots de votre bouche, et belle, et bien disante,
Feront des merveilles pour moi.
Vous êtes bonne et bienfaisante,
Servez ma Muse auprès du roi.

me

Ce fut aussi à l'instigation de Mme de Thianges, que La Fontaine fit des vers pour Me de Fontanges; mais, pour expliquer comment Mme de Thianges pouvoit engager notre poëte à chanter une rivale de sa sœur, il faut entrer dans le détail de ce qui se passoit alors à la cour de Louis XIV.

Montespan s'apercevoit de jour en jour, avec douleur, que son ascendant sur le roi diminuoit avec ses attraits. Elle auroit vu finir sans trop de regrets, un commerce, dont les plaisirs étoient émoussés par une longue habitude; mais elle ne pouvoit, sans une peine extrême, se voir dépouill'e de la puissance qu'elle exerçoit dans la plus brillante cour que l'Europe eût encore vue, ni renoncer à l'éclat de la grandeur royale, dont elle étoit environnée. Elle aima mieux humilier son orgueil, que de sacrifier les intérêts de son ambition. C'est ainsi que, comme une autre Livie, elle chercha à inspirer du goût au roi pour une de ses nièces, la duchesse de Nevers, fille aînée de Mme de Thianges, jeune et belle personne, pleine de grâces et d'esprit. La duchesse de Nevers se seroit volontiers prêtée à ces projets, puisqu'elle se livra depuis à M. le

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pour mainte

voir.

Prince, fils aîné du grand Condé, un des hommes les 1679-1682 plus laids de son temps, mais aussi un des plus spi- Æt. 58-61 rituels, des plus galants et des plus généreux : un ses intrigues obstacle insurmontable s'opposoit au succès de son nir son pouintrigue avec le roi. Entraîné par la fougue de l'âge, Louis XIV avoit désobéi sans pudeur aux préceptes de la religion; mais, cependant par une contradiction qui ne se concilie que trop bien avec notre misérable nature, il fut toujours sincèrement attaché à ses dogmes: il ne négligea pas ses pratiques, il ne rejeta point ses conseils. Lorsque ses directeurs spirituels, et surtout Bossuet, virent que le feu des passions s'étoit amorti en lui, et que son amour pour Mme de Montespan s'étoit presqu'éteint par une longue jouissance, ils tâchèrent de l'arracher à ses habitudes 9. Ils lui représentèrent qu'un tel commerce étoit beaucoup plus coupable avec une femme mariée, qu'avec toute autre. Ces scrupules qu'ils avoient fait naître en lui, et qui lui firent prendre la résolution de se séparer de Mine de Montespan, s'appliquoient aussi à Mme la duchesse de Nevers, et empêchèrent la réussite du plan qu'on avoit formé 1o.

me

Ce fut alors que Mm de Montespan crut parvenir à son but en jetant elle-même le roi dans les bras de Mlle de Fontanges, d'une éclatante beauté, mais sans esprit, et incapable, à ce qu'elle croyoit, d'avoir aucun ascendant sur lui. S'il étoit besoin d'ajouter aux preuves que l'on a déjà que Mme de Montespan favorisoit cette liaison, ce sont les vers qui nous restent de La Fontaine, au sujet de la nouvelle maîtresse,

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