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santhropique de La Bruyère et de Pascal, qui, por- 1675 1679 tant le flambeau dans l'abîme du cœur humain, jette Et. 54-58 une lueur effrayante sur ses tristes profondeurs. Le mal qu'il peint, il le rencontre; les autres l'ont cherché. Pour eux, nos ridicules sont des ennemis dont ils se vengent; pour La Fontaine, ce sont des passants incommodes, dont il songe à se garantir : il rit, et ne hait point. L'âme, après la lecture de ses ouvrages, calme, reposée, et pour ainsi dire rafraîchie, comme au retour d'une promenade solitaire et champêtre, trouve en soi-même une compassion douce pour l'humanité, une résignation tranquille à la Providence, à la nécessité, aux lois de l'ordre établi, enfin l'heureuse disposition de supporter patiemment les défauts d'autrui, et même les siens leçon, qui n'est peut-être pas une des moindres que puisse donner la philosophie. »

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les Fables de La Fontaine.

Si La Fontaine, dans ce second recueil, a varié Résumé sur sa manière, heureusement il ne l'a pas changée : ce qui probablement, lors même qu'il l'auroit voulu, lui eût été impossible. Nous retrouvons encore au mème degré, et souvent à un plus haut degré de perfection, ce style enchanteur qui s'élève et descend sans effort, parcourt toutes les nuances, prend tous les tons, depuis le langage majestueux et énergique de l'ode et de l'épopée, jusqu'à la naïve et familière éloquence du jargon populaire. C'est toujours ce même fonds de bienveillance générale qui l'intéresse à tous les êtres vivants, Hôtes de l'univers sous le nom d'animaux. C'est toujours le même art de s'identifier

1675-1679 avec les personnages qu'il fait agir, de s'astreindre El. 54-58 aux lois des monarchies et des républiques d'animaux

qu'il a fondées; de ne jamais déroger aux rangs et aux titres qu'il a établis parmi eux. Le lion a toujours son Louvre, sa cour des pairs, ses officiers, ses médecins. C'est toujours nosseigneurs les ours, sultan léopard, don coursier, et les parents du loup gros messieurs qui l'ont fait apprendre à lire. C'est toujours enfin la même simplicité de dialogue, où les enfants, comme les hommes du goût le plus exercé, aiment à retrouver le langage de la conversation. C'est encore le jeu divertissant de ces scènes si courtes et si animées. En lui, chaque idée réveille soudain l'image et le sentiment qui lui est propre. Jupiter n'est qu'un homme dans les choses familières, et le moucheron, quand il combat le lion, est un guerrier redoutable, qui sonne à la fois la charge et la victoire. Il voit tour à tour dans un renard, Patrocle, Ajax, Annibal, et, dans un chat, Alexandre. Il rappelle dans le combat de deux coqs pour une poule, la guerre de Troie pour Hélène; il met de niveau Pyrrhus et la laitière ; représente dans la querelle des deux chèvres, qui se disputent le pas, fières de leur généalogic, Philippe IV et Louis XIV, s'avançant dans l'île de la Conférence; et, à propos de la tardive maternité de l'alouette, il peint les délices du printemps, les plaisirs, les amours de tous les ètres, et met l'enchantement de la nature en contraste avec le veud'un oiseau. Il passe d'un extrême à l'autre,

vage

avec une justesse parfaite et une étonnante rapidité, 1675-1679 et finit par vous persuader que c'est sérieusement Æt. 54-59 et de bonne foi qu'il confond les grandes choses avec les petites, et qu'il met tant d'intérêt à ces dernières. Ce n'est point un poëte qui imagine, ce n'est pas un conteur qui plaisante, c'est un témoin présent à l'action, et qui veut vous y rendre présent lui-même. Ecoutez la belette et le lapin plaidant pour un terrier : tout est mis en usage: coutume, autorité, droit naturel, généalogie: on y invoque les dieux hospitaliers. Voyez s'il est possible de mieux plaider une cause? Entendez le loup qui daube, au coucher du roi, son camarade absent, le renard, et dites si vous n'avez pas assisté au coucher de sa majesté lionne, si vous ne savez pas ce qui s'y est passé. Si un rat, bon citoyen, vient demander des provisions à un autre rat égoïste et solitaire, que de motifs ne fait-il pas valoir? le blocus de Ratopolis, la république attaquée, son état indigent, le secours qu'on attend, et qui sera prêt dans quatre ou cinq jours ne voyez-vous pas à la gravité de ces raisons, que de ce simple secours il s'agit de la chose la plus importante, de la destinée entière du peuple rat, dont le peuple chat a juré la destruction? Quand ce rat gros et gras se retire dans un fromage de Hollande, c'est que, comme un moine, il est las des soins d'ici bas. Le chat, priant le rat de le délivrer, l'assure qu'il l'aime comme ses yeux, et lui dit qu'il étoit sorti pour aller faire sa aller faire sa prière aux dieux comme tout dévot chat en use tous les matins. Tartufe

1675-1679 parle-t-il mieux? Si La Fontaine vous fait voir la Et. 54-58 belette extrêmement maigre, c'est qu'elle sortoit

de maladie. Si ce cerf ignore une maxime de Salomon, le poëte se croit obligé de nous avertir que ce cerf n'avoit pas accoutumé de lire. S'il parle de ce vieux rat, qui a échappé à beaucoup de dangers, il n'oublie pas qu'il a perdu sa queue à la bataille. Si des chiens et des chats vivent en bonne harmonie, il a soin d'ajouter que cette union presque fraternelle édifioit tous les voisins. A-tous ces traits nous rions de la simplicité et de la naïveté du poëte, et c'est à ce piége si délicat que se prend notre vanité. Grâce à l'art que l'auteur a mis à dessiner les caractères de tous ses personnages, au soin qu'il a pris de nous intéresser à tout ce qui les concerne, les scènes qu'il nous présente détachées et isolées les unes des autres n'en semblent pas moins unies par un lien commun, et forment, comme il le dit lui-même,

Une ample comédie à cent actes divers.

Quand nous songeons que celui qui a fait converser en un langage tout entier le sien, dame belette ou jean lapin, est le même homme qui, ensuite, avec l'éloquence d'un Démosthène, fait tonner contre la tyrannie le paysan du Danube, et qui, majestueux et énergique comme Bossuet pour combattre les chimères de l'astrologie, demande au ciel

S'il auroit imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps renferme dans ses voiles,

nous croyons pouvoir dire que les anciens ni les 1675-1679 modernes n'offrent rien de comparable à l'ori- . 54-58 ginalité et à la flexibilité d'un tel génie 96. Mais finis

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sons. La Harpe dit vrai il ne faut pas louer La Fontaine, il faut le lire, le relire, et le relire encore. Il en est de lui, comme de la personne que l'on aime en son absence, il semble qu'on aura mille choses à lui dire, et quand on la voit, tout est absorbé dans un seul sentiment, dans le plaisir de la voir. On se répand en louanges sur La Fontaine, et dès qu'on le lit, tout ce qu'on voudroit dire est oublié; on le lit, et on jouit.

La Harpe sur le nombre des bonnes fables de La Fontaine.

Ce grand critique observe encore que, sur près Jugement de de trois cents fables que La Fontaine a faites, il n'y en a pas dix de médiocres, et qu'il y en a plus de deux cent cinquante, qui sont des chefs-d'oeuvre. Nul n'a composé un plus grand nombre de vers devenus proverbes. En général ses moralités sont courtes. La précision est une qualité qui tient essentiellement au caractère de la philosophie, plus occupée à méditer qu'à discourir. C'est une tradition constante, parmi les gens de lettres, que de toutes ses fables, celle que La Fontaine préféroit, étoit celle qui a pour titre, le Chêne et le Roseau. Mais dans ce beau jardin de poétiques fleurs, tous les critiques ont accordé le prix à l'apologue, qui ouvre le second recueil, les Animaux malades de la peste. La poésie est aussi parfaite dans cette fable que dans celle du chêne et du roseau; mais le fonds est beaucoup plus riche et plus étendu, et les applications morales autrement importantes.

Quelle est
Fontaine?

la plus belle
des Fables de

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