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1671-1675 tous ses besoins; persuadée qu'il n'étoit guère caEt. 50-54 pable d'y pourvoir lui-même. La Fontaine devint

Portrait de Madame

de

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une partie inséparable de sa famille. « J'ai renvoyé tout mon monde, disoit-elle un jour; je n'ai gardé que mon chien, mon chat et La Fontaine 3. » Elle avoit une telle confiance dans la sincérité de ses discours, qu'elle répétoit souvent : « La Fontaine ne ment jamais en prose3. » Le lecteur ne sera pas étonné si la vie de Mme de La Sablière se trouve désormais mêlée avec la vie de La Fontaine rien de ce qui concernoit les destinées de cette généreuse bienfaitrice, ne pouvoit être étranger à celles de notre poëte. Essayons donc de la faire connoître.

Parmi ce grand nombre de femmes charmantes La Sablière. douées des dons de la beauté et de ceux de l'esprit,

qui exercèrent, suivant nous, une si forte influence sur la perfection de la littérature et des arts dans le siècle de Louis XIV, nulle ne fut plus remarquable que Mme de La Sablière. Non seulement elle entendoit parfaitement la langue du siècle d'Auguste, et savoit par coeur les plus beaux vers Son goût d'Horace et de Virgile, mais elle n'étoit étrangère à aucune des connoissances humaines cultivées de son temps. Sauveur et Roberval, tous deux de l'académie des sciences, lui avoient montré les mathématiques, la physique et l'astronomie 3. Le célèbre Bernier, son ami particulier, et que, comme La Fontaine, elle avoit retiré chez elle, lui avoit enseigné l'histoire naturelle et l'anatomie, et l'avoit

pour sciences.

les

initiée aux plus sublimes spéculations de la philoso- 1671-1675 phie c'est pour elle qu'il fit cet excellent abrégé Æt. 50-54 : des ouvrages de Gassendi, où le système de ce précurseur de Newton et de Locke se trouve exposé avec plus de clarté que dans aucun autre 34. Tant de science dans Mme de La Sablière ne nuisoit en rien aux charmes de son sexe sa maison étoit le Sa maison séjour des grâces, de la joie et des plaisirs. Les dez-vous des seigneurs de la cour les plus dissipés, tels que les Lauzun, les Rochefort, les Brancas, les La Fare, les de Foix, les Chaulieu, des étrangers illustres, tel que le comte Jean Sobiesky, qui devint depuis roi de Pologne, se réunissoient chez elle avec les hommes de lettres et les savants

35

étoit le ren

plaisirs.

s'étoit répandue dans l'é

tranger.

Quoique Mme de La Sablière n'ait jamais rien Sa réputation écrit, telle étoit sa réputation dans l'étranger, que Bayle, en rendant compte, dans son journal, d'un livre, que Bernier avoit dédié à cette dame, dit: « Mme de La Sablière est connue partout pour un esprit extraordinaire et pour un des meilleurs; M. Bernier, qui est un grand philosophe, ne doute pas que le nom illustre, qu'il a mis à la tête de ce traité-là, n'immortalise son ouvrage, plus que son ouvrage n'immortalisera ce nom 36. » Louis XIV, à l'œil scrutateur duquel aucun genre de mérite n'échappoit, sut apprécier Mme de La Sablière, et l'honora plusieurs fois de ses dons 37. Ce n'est pas seulement La Fontaine, qui loue, dans cette femme célèbre,

.Ses traits, son souris, ses appas,

Son art de plaire, et de n'y penser pås,

Louis XIV

sut la distin

guer.

1671-1675

At. 50-54

Et ce cœur vif et tendre infiniment
Pour ses amis...

Et cet esprit qui, né du firmament,

A beauté d'homme avec grâces de femme; 38

Boileau seul ce sont tous les écrits, tous les mémoires du temps.

pour se ven

ger, tre

vers

ques.

fait con

elle des Elle eut le bonheur, tant qu'elle vécut, de recueillir

satiri

Mort de Molière, le 17 févr. 1673.

Son épitaphe par La FonTaine.

Virelai sur les
Hollandais.

les suffrages universels 39; et si Boileau, pour se venger de ce qu'elle avoit justement critiqué quelques uns de ses vers, la poursuivit de ses traits satiriques, ce fut du moins lorsqu'elle fut descendue dans la tombe 4o.

Mes lecteurs, qui connoissent maintenant l'amie de La Fontaine, tranquilles désormais sur le sort de ce poëte, pourront plus facilement fixer leur attention sur ce que nous avons à dire relativement à ses écrits.

Il eut la douleur de perdre, en 1673, son ami Molière, né seulement un an avant lui, et auquel il survécut plus de vingt ans. La prédiction que renferment les vers qu'il écrivit sur ce grand homme, sous le titre d'épitaphe, ne s'est malheureusement que trop vérifiée.

Sous ce tombeau gisent Plaute et Térence,
Et cependant le seul Molière y gìt.

Ils sont partis! et j'ai peu d'espérance

De les revoir. Malgré tous nos efforts,
Pour un long-temps, selon toute apparence,
Térence, et Plaute, et Molière sont morts.

Cette époque est celle des grandes conquêtes et 1 mai 1672. de la plus grande gloire de Louis XIV. Lorsqu'il se disposoit à envahir la Hollande, il courut un

virelai assez plaisant que l'on attribua dans le 1671-1675 temps à La Fontaine, et que nous avons pour la Et. 50-54 première fois introduit dans les oeuvres complètes de ce poëte, non que nous soyons convaincus qu'il est de lui, mais parce que l'éditeur de ces nouvelles œuvres complètes, à l'exemple de ceux qui l'ont précédé, a cru devoir réimprimer, non seulement les ouvrages qui sont réellement de La Fontaine, mais encore ceux qu'on lui a attribués, et dont les auteurs sont ignorés système condamnable, qui a surchargé les œuvres de notre poëte de mauvaises pièces de vers, auxquelles il n'a eu aucune part, et qui sont indignes de lui".

Turenne joignoit à ses grands talents pour la guerre, un goût très-vif pour la littérature; il aimoit surtout nos anciens poëtes 43, et, par cette raison peut-être, il goûtoit beaucoup les ouvrages de La Fontaine; il l'honoroit, ainsi que nous l'avons dit, d'une amitié toute particulière. Lorsqu'après les succès de sa belle campagne sur le Rhin, Turenne eut dispersé, avec vingt mille hommes, une armée de soixante et dix mille Allemands commandés par Caprara et le vieux duc de Lorraine, La Fontaine lui adressa successivement deux lettres en vers, dans la première, il dit :

Grande est la gloire, et grande est la tuerie.

Et en effet, l'incendie du Palatinat, le sanglant combat de Sénef, livré par Condé, rendirent cette campagne fameuse par les désastres qu'elle occa

Epitres à Turenne.

1671-1675 sionna, et par les malheurs des peuples". Dans cette 41. 50-54 épître, La Fontaine nomme Louis XIV le subjuLa Fontaine gueur de provinces. On a remarqué que nul de nos langue de auteurs classiques n'avoit, plus que La Fontaine, nou- enrichi la langue de mots heureusement créés ou

a enrichi la

beaucoup de

mots

veaux.

Eloge de

Turenne.

Mort de

Turenne, le

empruntés à nos vieux auteurs. Les lexicographes, qui ont voulu ne rien omettre en ce genre 45, ont cependant négligé de recueillir celui-là.

Dans la seconde épître, La Fontaine dit qu'un temps viendra qu'on inscrira ces mots au temple de Mémoire:

Turenne eut tout la valeur, la prudence,
L'art de la guerre et les soins sans repos.
Romains et Grecs, vous cédez à la France;
Opposez-lui de semblables héros.

Mais le poëte, comme s'il étoit saisi d'une crainte
prophétique, avoit dit en commençant son épître :

Eh quoi! Seigneur, toujours nouveaux combats!
Toujours dangers! Vous ne croyez donc pas
Pouvoir mourir? Tout meurt, tout héros passe.
Songez-y bien; si ce n'est pas pour vous-même,
Pour nous, Seigneur....

Le 27 juillet 1675, c'est-à-dire quelques mois 27 juill. 1675. après que La Fontaine eut tracé ces vers, Turenne fut ravi à la France; les ennemis aussitôt en franchirent les frontières, et en ravagèrent le sol. Madame de Une des meilleures amies, et une des plus constantes protectrices de La Fontaine, fut Me de Thianges, soeur de Mme de Montespan et de l'abbesse de Fontevrault. Ces trois filles du duc de Mortemart plaisoient, ainsi que le duc de Vivonne leur frère,

Thianges, l'a

tectrice

de

La Fontaine,

ses sœurs,

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