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Le nœud d'hymen doit être respecté,
Veut de la foi, veut de l'honnêteté :

Si par malheur quelqu'atteinte un peu forte
Le fait clocher d'un ou d'autre côté,
Comportez-vous de manière et de sorte
Que ce secret ne soit point éventé.
Gardez de faire aux égards banqueroute;
Mentir alors est digne de pardon.

Je donne ici de beaux conseils, sans doute :
Les ai-je pris pour moi même? hélas ! non 11.

Si la femme de La Fontaine n'eut pas tous les défauts odieux qu'on lui a trop légèrement prêtés, il paroît certain qu'elle ne possédoit aucune des qualités aimables qui auroient pu inspirer de l'amour à son mari; on ne voit aucune trace de ce sentiment à son égard dans ce qui nous reste de lui. La Fontaine ne laisse, au contraire, jamais échapper l'occasion de faire la satire de l'état conjugal, et se montre trop vivement affecté des inconvénients qui résultent d'une union mal assortie, pour ne pas donner lieu de penser qu'il en avoit fait lui-même la triste expérience.

Cependant il se persuada, ou plutôt il se laissa persuader un jour, qu'il devoit être jaloux de sa femme; ce qui donna lieu à l'aventure suivante.

1621-1643

El. 1-22

LaFontaine et de 1 oignan.

Il étoit fort lié avec un ancien capitaine de dra- Aventure de gons, retiré à Château-Thierry, nommé Poignan, homme franc, loyal, mais fort peu galant. Tout le temps que Poignan n'étoit pas au cabaret, il le passoit chez La Fontaine, et par conséquent auprès de sa femme, lorsqu'il n'étoit pas chez lui. Quelqu'un s'avise de demander à La Fontaine pourquoi

1621-1643 il souffre que Poignan aille le voir tous les jours; El. 1-22 « Et pourquoi, dit La Fontaine, n'y viendroit-il pas? c'est mon meilleur ami. - Ce n'est pas

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» ce que dit le public; on prétend qu'il ne va

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>> chez toi que pour Mme de La Fontaine. Le public a tort; mais que faut-il que je fasse à >> cela? Il faut demander satisfaction, l'épée à » la main, à celui qui nous déshonore. Hé » bien, dit La Fontaine, je la demanderai. » Il va le lendemain, à quatre heures du matin, chez Poignan, et le trouve au lit. « Lève-toi, lui dit-il, >> et sortons ensemble. » Son ami lui demande en quoi il a besoin de lui, et quclle affaire pressée l'a rendu si matineux. « Je t'en instruirai, répond » La Fontaine, quand nous serons sortis.» Poignan, étonné, se lève, sort avec lui, le suit jusqu'aux Chartreux, et lui demande où il le mène ;

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Tu vas le savoir,» répondit La Fontaine, qui lui dit enfin, lorsqu'il fut derrière les Chartreux : << Mon ami, il faut nous battre. » Poignan, encore plus surpris, lui demande en quoi il l'a offensé, et lui représente que la partie n'est pas égale. « Je >> suis un homme de guerre, lui dit-il, et toi tu » n'as jamais tiré l'épée. - N'importe, dit La Fontaine, le public veut que je me batte avec toi. » Poignan, après avoir résisté inutilement, tire son épée par complaisance, se rend aisément maître de celle de La Fontaine, et lui demande de quoi il s'agit. « Le public prétend, lui dit La Fontaine, » que ce n'est pas pour moi que tu viens tous les

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jours chez moi, mais pour ma femme. - Eh! 1621-1643 » mon ami, je ne t'aurois jamais soupçonné d'une Æt. 1 - 22 » pareille inquiétude, et je te proteste que je ne

» mettrai plus les pieds chez toi. — Au contraire,

>>

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reprend La Fontaine, en lui serrant la main,

» j'ai fait ce que le public vouloit; maintenant, je veux que tu viennes chez moi tous les jours, » sans quoi je me battrai encore avec toi. » Les deux antagonistes s'en retournèrent, et déjeunèrent gaiement ensemble ".

La Fontaine avoit atteint sa vingt-deuxième 1643-1654 année, et n'avoit pas donné le moindre signe du Et.22-33 penchant qui devoit bientôt l'entraîner vers la poésie. Un officier qui se trouvoit en quartier La Fontaine d'hiver à Château-Thierry, lut un jour devant lui, avec emphase, l'ode de Malherbe sur la mort de Henri IV 3, qui commence ainsi :

Que direz-vous, races futures,
Si quelquefois un vrai discours
Vous récite les aventures

De nos abominables jours?

Il écouta cette ode avec des transports mécaniques de joie, d'admiration et d'étonnement, semblable à un homme qui, né avec le génie de la musique, auroit été nourri dans un désert, et qui entendroit tout à coup un instrument harmonieux savamment touché, résonner à ses oreilles telle fut l'impression que firent sur La Fontaine les vers de Malherbe. Il se mit aussitôt à lire cet auteur; il passa les nuits à l'apprendre par cœur,

prend du goût

pour la poé

anciens.

1643-1654 et il alloit le jour le déclamer dans les lieux soliEt. 22-33 taires. Bientôt il fit des vers dans le genre de ceux de ce poëte, ou plutôt il imita ses défauts, ses expressions ampoulées, et ses froides antithèses. Heureusement un de ses parents, nommé Pintrel, auquel il communiqua les premiers essais de sa Muse, lui fit comprendre que, pour se former le goût et pour développer son talent, il ne devoit pas se borner à lire nos poëtes français, mais qu'il Il étudie les falloit aussi lire et relire sans cesse Horace, Homère, Virgile, Térence et Quintilien 4. Il se rendit à ce sage conseil; et un de ses amis, M. de Maucroix, qui avoit fait une étude particulière des orateurs anciens, contribua aussi à l'affermir dans la route où il s'étoit engagé, et à lui inspirer cette admiration pour l'antiquité, qui dégénéra même en lui en une sorte de préjugé superstitieux. La Fontaine fit surtout ses délices de Platon et de Plutarque, quoiqu'il ne pût les lire que dans des traductions. D'Olivet a tenu les exemplaires qui lui avoient appartenu, et il a remarqué qu'ils étoient notés de sa main presque à chaque page, et que la plupart de ses notes étoient des maximes qu'on retrouve dans ses fables.

La Fontaine a témoigné d'une manière touchante sa reconnoissance envers Pintrel et Maucroix, en publiant, après la mort du premier, sa traduction des Epîtres de Senèque 5, et en prêtant au second, pour faciliter le débit de ses ouvrages, le secours de son nom et de ses poésies.

ses auteurs fa

L'étude des anciens ne fit pas négliger à La Fon- 1643-1654 taine celle des modernes ; mais parmi ceux qui Æt. 22-33 avoient écrit dans sa langue, aucun alors, si on excepte Corneille, n'étoit digne d'être pris pour modèle aussi il se borna à un petit nombre, et s'attacha principalement à Rabelais, Marot et Voiture. L'Astrée de d'Urfé l'amusa long-temps; mais, excepté ces auteurs favoris, il se plaisoit davantage Quels étoient avec les Italiens, surtout avec Arioste, Bocace et voris. Machiavel 16; non pas, dit un habile critique, le Machiavel du Prince et de l'Histoire de Florence, mais celui de la Mandragore, de la Clytie, et de la nouvelle de Belphegor. Il est possible qu'en effet La Fontaine préférât le conteur et l'auteur comique à l'historien et au politique; mais plusieurs passages de ses écrits prouvent cependant qu'il savoit trèsbien apprécier celui-ci 1.·

La Fontaine, quoiqu'éloigné de la capitale, indépendamment des conseils de ses deux Aristarques, Pintrel et de Maucroix, avoit des encouragements dans sa propre famille, qui contribuèrent au développement de ses talents poétiques. Son père aimoit passionnément les vers, quoiqu'il fût incapable de les bien juger, et plus encore d'en faire. Il fut enchanté que son fils devînt poëte, et il fut pour lui un auditeur toujours prêt et toujours indulgent. La Fontaine consultoit aussi avec avantage sa femme et sa sœur, qui toutes deux avoient de l'instruction, de l'esprit, et du goût 13.

Le premier ouvrage que publia La Fontaine, fut

1654

El. 33.

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