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nobles tracasseries, et, sans le vouloir, elles ont apprêté ainsi à rire à ceux qu'elles ne pouvaient faire pleurer.

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La demoiselle Sainval cadette a écrit à ses chers camarades qu'elle ne pouvait supporter plus long-temps les vexations de la dame Vestris, qui ne lui laissait que trois ou quatre rôles bien doux, très-tendres, bien pleureurs; qui lorsqu'elle lui en laissait jouer quelque autre, avait le soin de ne l'en faire avertir que la veille, à onze heures du soir; qui enfin la traitait comme si elle arrivait à la Comédie pour lui porter la queue.... La demoiselle Sainval finissait par demander sa retraite pour procurer à sa rivale le plaisir de dire Je me suis défaite des deux sœurs. Les chers camarades ont fait donner copie de cette lettre à la dame Vestris. Celle-ci a répondu par un Mémoire apologétique, en forme de lettre, un peu long, un peu lourd, mais assez adroit, où l'on a reconnu la plume du célèbre avocat Gerbier, qui n'est pas moins attaché aujourd'hui à cette cliente aux bras si beaux, à la peau si blanche, que l'était autrefois M. le maréchal de Duras, qui l'a honorée longtemps de la protection la plus intime. Dans cette lettre, madame Vestris répond d'une manière simple et précise à toutes les accusations de mademoiselle Sainval; et après lui avoir prouvé qu'elle n'a fait qu'user très-discrètement de son droit de première actrice, elle consent, avec le désintéressement le plus modeste et le plus adroit,

à ne plus jouer que les rôles que son double voudra bien lui abandonner, à lui céder en un mot sa place et à prendre humblement la sienne, pour ne pas priver le public et ses chers camarades des talens de mademoiselle Sainval.

Cette lettre, répandue dans tout Paris avec profusion, nous a valu en réponse un grand Mémoire à consulter et une consultation pour la demoiselle Sainval, signé Tronçon du Coudray, mais fait par l'avocat Target. Ce Mémoire, écrit avec esprit et piquant surtout par l'ironie avec laquelle on y persifle l'éloquence de madame Vestris et celle de son défenseur, allait amuser le public aux dépens de nos deux Melpomènes, en forçant les tribunaux de se mêler sérieusement d'une contestation digne du Roman Comique; mais la Cour nous a privés de cette gaieté; elle a imposé silence à ces Dames, et le sieur Deshaies, un des imbécilles les plus importans du siècle, parce qu'il a l'honneur d'être maître des ballets du Théâtre français, a cru devoir cimenter cette réconciliation forcée à la face du public, en les obligeant de se donner la main dans la pantomime turque qui termine le Bourgeois Gentilhomme. Cette scène, presqu'aussi hideuse que comique par les grimaces de la demoiselle Sainval au moment où elle a senti la main de sa jolie rivale dans la sienne, a été parodiée sur le champ chez Nicolet, et c'est ainsi que 's'est terminée une querelle dont il n'a pas tenu à nos plus célèbres

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avocats de faire retentir les voûtes augustes du temple de Thémis.

Tous nos Spectacles ont fait des efforts extraordinaires pour intéresser l'attention de M. le comte de Haga. L'Académie royale de Musique a remis, dans l'espace de trois semaines, huit ou dix opéras différens (1), plus qu'on n'en donnait autrefois en deux ou trois ans, plus qu'on n'en pourrait voir durant le Carnaval, en parcourant les principales villes de l'Italie. Les Comédiens français se sont empressés de remettre toutes les pièces qu'il avait paru désirer de voir, le Siége de Calais, le Roi Léar, le Jaloux, le Séducteur, l'Impatient, les Rivaux amis, etc. La première fois que monsieur le Comte honora ce spectacle de sa présence on donnait le Mariage de Figaro; il arriva au moment où le premier acte allait finir. Par un mouvement d'égards et de respect d'autant plus flatteur qu'il ne pouvait être ni prévu, ni préparé, le public ordonna aux Comédiens de recommencer la pièce. Quoiqu'une attention si française, si juste et si bien sentie ait pu coûter aux principaux acteurs, jamais la pièce ne fut mieux jouée, ni plus vivement applaudie. Madame Dugazon, qui relève d'une maladie infiniment dangereuse et que nous avions craint de perdre pour toujours, a reparu la première fois,

(1) Armide, les deux Iphigénies de Gluck, Didon, Atys, Chimène, la. Caravane, Castor, le Seigneur bienfaisant.

pour M. le comte de Haga, dans Blaise et Babet: quelque intérêt qu'elle ait toujours donné à ce rôle, son talent y a déployé un charme plus séduisant encore et des grâces toutes nouvelles. C'est depuis l'arrivée de cet illustre voyageur qu'on s'est hâté de donner à ce Spectacle l'Epreuve Villageoise, dont nous avons déjà eu l'honneur de vous rendre compte, et le Dormeur éveillé de MM. Marmontel et Piccini dont l'analyse se trouvera dans notre prochain envoi. Tous nos Théâtres ont été bien récompensés de leur zèle et de leur empressement par l'affluence de monde que leur attirait la présence de M. le comte de Haga, qui a daigné se trouver souvent le même jour à deux ou tróis spectacles différens.

FIN DU TOME SECOND.

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