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et prosateurs se disputèrent à l'envi, et qui se présentent au bout de la plume quand la pensée fait défaut à l'esprit. Ajoutez-y quelques autres expressions vagues, celles-ci, par exemple: A cette époque d'ignorance; dans le moyen áge; dans les siècles des ténèbres, comme si l'état de la société se fût continué sans changer d'Augustule à Rodolphe de Habsbourg; c'est le contraire qui est vrai, puisque le moyen âge offrit le spectacle de révolutions fréquentes, ou plutôt ce ne fut qu'une révolution ininterrompue. Ce qui défigura aussi la physionomie des récits, ce furent certaines formules abstraites de notre temps qui n'avaient point de sens au moyen âge, ou qui en avaient un différent : les prérogatives de la couronne, les droits de succession, la légitimité, expressions hétérogènes appartenant à d'autres temps et à des conditions politiques bien diverses.

Pour peu que vous ajoutiez à cela la prétendue gravité historique, qui, repoussant les détails plébéiens, obligeait de tout exposer dans un style professoral, fastueusement inhabile à représenter une société aux éléments si variés et si hétérogènes; pour peu que vous y joigniez un mot sur les superstitions des moines, quelques sarcasmes contre le clergé libertin et guerrier, quelque invective contre les pontifes ambitieux qui ne permettaient pas aux rois de tout faire selon leur bon plaisir, vous aurez une des histoires ordinaires du moyen âge.

Afin que le tableau atteigne sa juste dimension et l'effet voulu, il faut que tout aille s'assombrissant de plus en plus jusqu'à l'an 1000. Alors, et précisément alors, la lumière doit commencer à reparaître peu à peu; il est de nécessité que la patrie barbare de Dante et de Pétrarque soit ramenée au goût des lettres par ces pauvres pédants qui fuient des écoles impuissantes de Constantinople. Nul ne doit avoir touché un pinceau jusqu'à Cimabué, ni mérité le moindre souvenir comme auteur des premiers essais jusqu'à ce que les encouragements de quelque prince favorisent l'essor de la peinture et créent Michel-Ange et Raphaël : il faut que les Italiens aient perdu toute mémoire de leurs anciennes institutions jusqu'à ce que, dans le pillage d'une ville, on retrouve les Pandectes, qui soudain sont enseignées dans les chaires, appliquées à la société, révélées au monde entier. Bien plus, il ne doit s'être écrit et parlé alors qu'un jargon sans règles, afin qu'à l'improviste la langue vulgaire, comme Minerve s'élançant armée du cerveau de Jupiter, surgisse, vierge admirable, pour décrire l'univers entier.

Il n'avait pas manqué toutefois d'esprits éclairés pour appli

quer une doctrine sérieuse à l'histoire du moyen âge. Et nous, Italiens, qui nous sommes ensuite laissé devancer par les autres, nous, taxés d'idolâtrie classique, nous avons été les premiers, ou au nombre des premiers, à remettre en lumière les documents de ce temps, et à en faire bon usage (1). Le cardinal Baronius

(1) Les matériaux historiques de cette époque sont aussi abondants que confus, et pour la plupart inexplorés. On peut les trouver indiqués dans : HANKIUS, de Byzantinarum rerum scriptoribus; Leipzig, 1677. Scriptorum Poloniæ et Prussiæ historicorum virtutibus et vitiis; Cologne,

1723.

De

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Pour faciliter l'étude des monuments:

MABILLON, De re diplomatica; Paris, 1681.

C. DU FRESNE DU CANGE, Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ latinitatis; Paris., ap. F. Didot; ed. Henschel, 1842.

CARPENTIER, Glossarium novum ad scriptores medii ævi, sive supplementum ad Cangii Glossarium; Paris, 1766.

J. C. ADELUNG, Glossarium manuale ad scriptores mediæ et infimæ latinitatis; Halle, 1772-1783.

HALTAUS, Calendarium medii ævi, præcipue germanici; Leipzig, 1729; Chronicon Gottvicense, Prodromus, sive de codicibus antiquis MSS. et de imperatorum et regum germanorum diplomatibus.

LACOMBE, Dictionnaire du vieux langage français (depuis le neuvième jusqu'au quinzième siècle); Paris, 1766, et avec le supplément, 1767.

J. IBRE, Glossarium Sviogothicum; Upsal, 1769.

F. LYE et O. MANNING, Dict. saxonico et gothico-latinum; Londres, 1772. SCHERZIUS, Gloss. germ. medii ævi, cura J. J. Oberlini; Argentorati,

1781.

rédigea avec une vaste intelligence et un courage indomptable les Annales de l'Eglise, qui alors étaient celles du monde, et mit à profit les documents de la bibliothèque du Vatican; il publia en outre beaucoup de ces documents avec une érudition profonde, un savoir encyclopédique, une méthode, une clarté et une précision reconnues même par ses adversaires. Aussi le protestant Scaliger l'admira, et Fleury s'en servit continuellement; les erreurs dans lesquelles il tomba furent signalées par des critiques catholiques, Pagi et Manso.

Odorico Rainaldi, avec moins de jugement et plus de crédulité, le continua pour des temps moins illettrés et plus abondants en preuves historiques; aussi le travail de ces deux écrivains est-il resté comme l'histoire la plus importante, ou le plus riche répertoire du moyen âge.

Après eux, il faut descendre presque jusqu'à Muratori, qui consacra, dit Manzoni, de longues fatigues, et tout autres que matérielles, à recueillir et à passer au crible les renseignements sur cette époque. Explorateur infatigable, juge circonspect, éditeur libéral, annaliste toujours diligent, souvent heureux à découvrir les faits qui ont un caractère historique et à rejeter les fables les plus accréditées de son temps, collecteur attentif des passages épars dans les documents et les plus propres à donner une idée des coutumes et des institutions du moyen âge, il résolut tant de questions, en posa tant d'autres, en écarta un si grand nombre d'inutiles que son nom, comme ses découvertes, se trouve et doit se trouver sans cesse dans les écrits postérieurs qui traitent de cette époque.

Néanmoins, dans ses Antiquités du moyen âge (1), il dispersa ce qui ne pouvait avoir de signification que par l'unité et par

MAFFEI SCIPIONE, Storia diplomatica; 1727.

A. PILGRAM, Calendarium chronologicum medii potissimum ævi monumentis accommodatum; Vienne, 1681.

C. F. ROESLER, De ann. medii ævi varia conditione; Tubingen, 1788; De arte critica in annales medii ævi diligentibus exercenda. Ibid., 1789; De annalium medii ævi interpretatione; Ibid., 1793.

BIOERN HALDORSON, Lex. islandico-latino-danicum; Copenhague, 1814. DOM CLÉMENT, Art de vérifier les dates des faits historiques (nouvelle édition de Saint-Allais); Paris.

(1) Rerum italicarum scriptores ab a. D. 500 ad 1500, quorum potissima pars nunc primum in lucem prodit, 28 vol. in-fol., Milan, 1723-1751; Antiquitates italicæ medii ævi, 6 vol. in-fol., Milan, 1738-1743; Dissertazioni sopra le antichità italiane, 3 vol. in 4o, Milan, 1751 (traduction de l'ouvrage précédent, sans les pièces à l'appui); Annali d'Italia, 18 vol. in-8°, Milan, 1753-1756; Delle antichità estensi ed italiane, 2 vol. in-fol. Modène, 1771-1740.

l'harmonie. Dans ses Annales, pour ne rien dire de la vulgarité de l'exposition, il classa les événements année par année, les interrompant et les reprenant sans aucune vue d'ensemble, et rendant presque impossible, à leur égard, une idée générale. De plus, pour s'être borné à l'histoire italienne, il se priva de certains renseignements qui l'auraient éclairé ; d'où il résulte que ses applications ne furent pas toujours parfaitement justes, et que parfois il vit les choses d'une manière trop étroite. Mais son sens droit supplée souvent à l'érudition qui lui fait défaut, de sorte qu'il se trompe rarement, même quand il n'est pas assez renseigné.

Nous plaçons à côté de lui Scipion Maffei, qui, dans son Histoire de Vérone, partant des intérêts municipaux pour s'élever à de hautes considérations générales, sut braver les préjugés de son temps et dire des choses, sinon nouvelles, du moins peu connues, sur le nombre des peuples envahisseurs, sur la nature de leurs gouvernements et sur l'origine des langues modernes.

Au dehors de l'Italie, l'érudition aussi immense qu'exacte de Du Cange, exposée comme elle l'est sous forme de dictionnaire, peut servir aux doctes, mais profite peu au plus grand nombre, si elle ne lui est pas tout à fait inaccessible. En général, ceux qui entreprirent d'éclaircir une partie ou la totalité du moyen âge, comme Tillemont, Ameilhon, Lebeau, Pagi, Eckhel, Bouquet, furent accablés sous cette masse de choses et d'événements; attentifs à tirer les faits de l'obscurité, ils négligèrent les idées.

Mais ceux qui s'appliquèrent spécialement à la recherche des idées eurent-ils un plus heureux succès ?

La haine, et non l'amour, poussa à méditer sur le moyen âge ceux qui, dans le siècle passé, se proclamaient eux-mêmes écrivains philosophes. La voie leur avait été ouverte par Machiavel, qui les devança dans le temps, comme il les laissa derrière lui pour la puissance de l'intelligence. Dans son Introduction à l'Histoire florentine, il s'éleva au-dessus des détails des faits pour s'attacher à leur généralité, et il peignit ou du moins esquissa un tableau célèbre du moyen âge. Mais, il faut le dire, sous le bon plaisir de ses admirateurs, son regard est ébloui dans ce chaos, où il ne parvient pas à mettre l'ordre; son érudition manque aussi d'étendue, et il est tellement préoccupé de la politique que, vivant dans la ville la plus civilisée des temps intermédiaires, il ne dit pas un seul mot des lettres et des beaux-arts; il ne nomme même Dante que pour rapporter comment il donna à la seigneurie le conseil d'ar

mer le peuple contre la faction rivale; tant il oublie la vie de la pensée pour celle de l'État. Tout à fait païen sous ce rapport, animé qu'il est du désir de toute âme généreuse, l'indépendance de sa patrie, il veut y arriver par tous les moyens même les plus immoraux, tels que ceux dont se servirent les étrangers pour la subjuguer; il ne connaît que la société civile à la manière des anciens, et néglige l'élément moderne qui s'y mêle, fondement des lois et du droit.

Williams Robertson le prit pour modèle dans son Introduction à la Vie de Charles-Quint. Plus riche de matériaux, comprenant comment les autres sciences doivent venir en aide à l'histoire, il élargit son cadre; mais, trop idolâtre aussi de la forme, il alla jusqu'à lui sacrifier le fond. Tout ce qui, dans ces siècles robustes, se présentait à lui comme énergique et caractéristique, il le fit entrer de force dans ce lit de Procuste, qu'il s'était fabriqué. Ce tort diminue, mais ne saurait lui enlever le mérite d'avoir réuni par grandes masses tant d'événements épars, et signalé ceux qui contribuèrent, davantage à changer la face du monde. Il est vrai que son esprit systématique l'entraînait à les généraliser trop, à omettre certains détails qui donnent de la vie aux contours, et révèlent parfois le dernier mot de grandes révolutions: chérissant par-dessus tout les libertés dont jouit son pays, il blâme les temps dans lesquels l'édifice social était à peine ébauché, sans réfléchir que ce fut alors qu'on en jeta les fondements et qu'on en prépara la grandeur.

C'est à Montesquieu que revient le mérite d'avoir indiqué les liens qui existent entre l'histoire et la législation; en éclaircissant l'une par l'autre, il a traité des intérêts publics les plus précieux, et fixé l'attention sur ce qui contribue, plus que les expé-dients de la politique et le caractère personnel des princes, au bonheur ou à la misère des peuples. Mais il n'observe l'homme que sous le rapport des institutions politiques; trop de choses étaient encore ignorées de son temps, et il s'en tint, pour un grand nombre d'autres, aux premières relations de voyageurs qui lui tombèrent sous la main, sans examiner jusqu'à quel point elles étaient vraies, et sans se rendre suffisamment compte de chaque temps et de chaque nation; mais les systèmes mêmes posés par lui, et les méthodes qu'il mit en usage, enseignèrent à en reconnaître les côtés faibles et les erreurs. Möser, Eichorn, Meyer, Grimm, etc., pour la législation allemande; Sismondi, Montlosier, Bernardi, etc., pour la législation française; Savigny, Léo, etc., pour la législation italienne, établirent des théories nouvelles,

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