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des arts, à leur renaissance. Hamilton jugeait ainsi le Dedale, et il parlait devant des hommes savants, Volpato, Cadès, Folchi et Angelini: « Je ne présume pas assez de mon opinion pour la manifester devant ces messieurs, mais je ne me trompe pas dans mon sentiment: voilà un ouvrage simple et ingénu où l'on observe que le jeune auteur a copié la nature comme il l'a vue; il ne lui manque que d'y ajouter le style et les maximes des maîtres anciens. La voie prise par Antoine est celle qu'out suivie les artistes classiques à toutes les époques; il a étudié la nature; je soupçonne, d'ailleurs, qu'avec le jugement et le choix, il fâchera de se former un goût pur et un style large, qui, en saisissant d'abord la forme la plus noble de la nature, s'attachera à l'embellir, à la perfectioner et à la rendre, ainsi que l'enseignent les anciens, idéale et divine. C'était précisément cet Ideal que Canova poursuivait en accourant de Venise. On parlait de ce qu'il avait pressenti, de ce qui s'était offert à lui dans ses rêves, de ce qu'une prescience indéterminée lui avait comme révélé. Lagre née, directeur de l'école si glorieusement fondée par Louis XIV à Rome, approuvait les réflexions d'Hamilton. Canova s'essaya d'abord à faire une petite statue d'un Apollon qui se couronne, et il la présenta au Sénateur de Rome, Don Abondio Rezzonico, neveu du pape Clément XIII. Comme nous verrons toujours chez eet artiste les qualités du cœur, la sensibilité, la reconnaisance, la générosité, marcher de front avec les conceptions les plus distinguées, il est à propos de dire qu'il résolut de méditer long-temps son nouveau sujet et qu'il se proposait d'aller à Venise

un

achever sa statue du comte Poléni. Dans une course à Possagno, il regretta Betta Biasi qui croissait encore en beauté, mais il ressentit bientôt plus que jamais l'amour de Rome, où il revint en 1782. Cette ville attire, de tous les pays de la terre, les admirateurs des arts. Alors homme s'y rencontra qui passait pour être comme une sorte de missionnaire de l'antiquité, M. Quatremère de Quincy, qui fut depuis l'ami et un second frère de Canova. Je puis parler de leur intimité, car j'ai pendant vingt ans favorisé leur correspondance avec autant de soins que celle de ma famille; je sais à quel point ils s'estimaient; je sais tous les conseils que demandait le grand sculpteur, je sais tous les avis sages, nobles et indépendants que lui envoyait un tel ami. Aujourd'hui, par les mémoires sur Canova qu'il a publiés et dont nous parlerons, l'Europe reconnaît qu'à juste titre il a pu se proclamer T'historien de l'illustre Vénitien, et révéler ses pensées, ses secrets, sa belle ame et sa doctrine dans les arts. M. Quatremère apprit à Rome par la voix publique qu'un jeune Italien, qu'on avait vu souvent dessiuer et mesurer les colosses de MonteCavallo, venait de composer un groupe de Thésée vainqueur du Minotaure, et assis triomphalement sur le corps du monstre. Laissons parler M. Quatremère. « Je ne pus sans surprise voir, de la part d'un jeune inconnu, un ouvrage qui, considéré sous le seul rapport du travail et de l'exécution, semblait annoncer un talent formé et une pratique consommée : mais beaucoup d'autres considérations le recommandaient; celle de la nouveauté n'était pas la moindre. En effet le goût franche

ment adopté et reproduit de l'antique était quelque chose alors d'étrange et d'inoui. Dans le fait, le Thésée, même depuis que Canova s'est mesuré tant de fois avec l'anti

que, ne laisse pas de se placer encore à sá suite avec honneur.» Le dessin en était naturel, c'est-à-dire, ne s'élevait pas tout-à-fait à la hauteur et à la noblesse de l'idéal, mais il en approchait déjà, et il était compatible avec le sujet d'un grand personnage historique. On remarquait que l'auteur avait pris d'autres leçons que celles qu'il avait apportées de Venise. A la première visite que M. Quatremère fit à l'atelier de Canova, ou pour mieux dire à sou Thesée, en 1785, il ne vit pas l'artiste, soit qu'il fût retenu par la modestie, soit qu'il désirât laisser toute liberté à la critique, soit enfin qu'il eût un autre motif, notre Français quitta l'atelier sans connaître l'auteur. A une autre visite, il lui dit que son Thésée était après le Dédale le second exemple de la résurrection du style, du système et des principes de l'antiquité. Cet entretien développa entre eux une sympathie de vues et de doctrines qui ne s'est démentie à aucune époque, et que la correspondance continue des deux amis a perpétuée jusqu'aux derniers instants de la vie de Canova. N'était-ce pas un spectacle propre à exciter un vif intérêt, de voir le Dédale et le Thésee placés l'un en face de l'autre ! On pouvait, en examinant le premier groupe, se convaincre de la vérité des observations d'Hamilton, confirmées et encore expliquées par M. Quatremère, qui les avait si bien lues dans les traités des anciens. Là on pouvait juger de l'effet de la nature simple et prise sur le fait, de la nature banale et vulgaire, qui se

borne à calquer en quelque sorte l'individu et ne s'adresse qu'au sens borné. En se retournant vers le Thésée, on trouvait quelque chose de la nature idéale, autant que l'étude avait pu, du parallèle des individus, faire résulter une idée de perfection, de pureté et de beauté, dont il semble que Dieu n'ait jamais voulu, nulle part, compléter l'image. A l'art seul appartient d'opérer ce complément, précisément parce que l'art n'a qu'un but dans son œuvre. Le développement de ces réflexions plaisait à Canova, et il disait en se frappant le front: «Combien il y a encore à faire, quand on a étudié même le plus beau modèle ! » Zulian l'avait noblement et presque royalement encouragé : lorsque le groupe de Thesée fut terminé, l'artiste alla demander à l'ambassadeur où le groupe devait être placé. Le Mécène magnifique parut étonné, et répondit : « Il n'est pas juste que je reçoive votre travail. Il a été fait par vous et non par moi, il est à vous et non à moi. » Le sculpteur se vit le maître de retirer une somme assez considérable que le baron de Friès de Vienne paya pour acquérir ce monument. Déjà Canova avait le soin de mener de front divers ouvrages de style oppose. Il fit pour la princesse Lubormirsky le portrait du jeune prince Henry Czartorinsky sous les traits de l'Amour. Il en a été fait depuis une répétition pour lord Kawdor. Canova sculpta aussi une Psyché, en statue isolée, qui a la grâce d'une jeune fille de quinze ans. Le buste est nu; les draperies tombent au dessous du sein; elle pose de la main droite dans la gauche le papillon dont les Grecs avaient fait le symbole de l'ame. L'auteur en dédia une répétition au chevalier Zulian qui avait

Domenica, qui s'était fait une réputation par sa beauté et la dignité de ses manières; la bergère de Possagno n'était plus présente, Canova devint éperdument amoureux de Domenica, et il la demanda secrètement en ma riage à son père. Celui-ci examina les convenances, les âges, et parut prêt à donner son consentement. Je sais de Canova lui-même qu'il était excessivement jaloux, et qu'un jour, pour épier les paroles et les moindres actions de sa belle amante, il se déguisa en pauvre, et alla l'attendre devant la porte d'une église. Domenica ne le reconnut pas, et lui douna l'aumône, après l'avoir regardé avec bienveillance, Sur ces entrefaites, le sieur Carlo Giorgi, qui avait dù à Clément XIV un emploi très-lucratif, voulant élever un monument à ce pontife, chargea Volpato de chercher un sculpteur propre à exécuter dignement ce grand ouvrage. Volpato choisit Canova, non parce qu'il allait

quitté Rome, pour aller résider comme Baile à Constantinople. Il n'accepta ce présent qu'après avoir fait frapper une médaille qui repré sentait la même Psyché. On lit au revers: Hieronymus Zulianus eques, Amico. Le lecteur peut bien deviner qu'il ne sera pas possible de rendre un compte chronologique exact des compositions de Canova, tant il se présente de causes fortuites qui font qu'un ouvrage modelé n'est exécuté en marbre que plus tard, par suite de commandes plus pressées. La vraie ma ière de ne pas s'égarer serait de parler des ouvrages à mesure que le modèle est exposé; mais entre le modèle et l'exécution il y a des repentirs, des corrections, des embellissements, peut-être aussi des idées moins heureuses; il faut donc suivre une sorte de distribution un peu libre, et qui d'ail'eurs ne doit pas trouper, quand on prend positivement pour guide un esprit de mét ode relative, de justice et de vérité. J'en-être son gendre, mais parce qu'il treprend ai donc dans ce sens l'examen complet des ouvrages de Canova. On lui attribue souvent les sculptures mises en vente aujourd'hai. Il est convenable que l'article biographique qui lui est consacré contienne la nomenclature vraie et un jugement rapide et franc de chacane de ses œuvres. Après cela, les menteurs et les charlatans ne pourront plus en imposer aux amateurs trop crédules de la belle sculpture moderne. Au nombre des amis de Canova on comptait au premier rang Volpato, l'un des juges appelés par le chevalier Zulian, lorsqu'il avait voulu se former une idée des talents du jeune Vénitien. Volpato, graveur des plus beaux ouvrages de Raphaël, était d'une intégrité exemplaire. Parmi ses enfants on distinguait

étail homme de talent. Le nom de celui qui paierait les frais devait rester ignoré; Canova promit de ne pas révéler ce secret. Au milieu de ce bonheur Canova devait éprouver un chagrin; il se déguisa encore, et cette fois il apprit qu'il n'était plus aimé. Domenica avait un autre penchant pour Raphaël Morghen qu'elle a épousé depuis. Volpato, en retirant sa parole de père, confirma les commandes de l'ami, et conseilla au jeune artiste d'aller à Carrare chercher les marbres convenables pour son mouument. A son retour, il commença et il acheva assez rapidement en créta le modèle colossal. La statue de Clément XIV, en habits pontificaux, était assise au dessus d'un sarcophage, accompagnée de deux statues de même proportion, l'une debout qui est

la Modération pleurant; l'autre, la Mansuétude, est vue assise sur le soubassement qui devait se composer avec la porte de la sacristie de l'église des Saints-Apôtres (1). Avant de jeter le modèle en plâtre, il pria son ami Gavino d'amener un jour avec lui le peintre Pompeo Battoni. Celui-ci arriva, vit le groupe et ne dit que ces mots : « Ce jeune homme a un graud talent, mais il suit une mauvaise voie, je lui conseille de la quitter; » et il sortit. Canova resta écrasé par cet arrêt dictatorial; Gavino lui rendit du courage. M. Quatremère survint, et dit à son ami que Battoni avait parlé en partisan des Bernin, des Carle Maratte et de leurs méchantes traditions: « C'est précisément contre leur manière et leur goût d'imitation que vous venez de relever la bannière de l'autiquité; vous devez donc vous applaudir plutôt que vous affliger d'une telle critique. La réponse à de telles opinions est de savoir persévérer dans le système qu'il s'agit de réhabiliter.» Voulant ensuite paraître encore plus un ami véritable, il loua la Mansuétude, où il demanda que l'on corrigeât quelque lourdeur. Quant à la Modération, M. Quatremère alla jusqu'à dire : « Dans l'état où je la vois, elle n'est pas digne de vous.» Canova répliqua avec un accent d'amitié: «Oh grazie tante! » Il jeta à bas cette Modération, et il composa une autre. Huit jours après, la nouvelle statue, haute de onze pieds, était terminée, telle qu'on la voit aujourd'hui. Milizia qui passait pour un aristarque rigide écrivit alors au comte San-Giovanni, que

en

dans ce

(1) Afin de mieux expliquer les ouvrages de Canova, j'ai placé autour de moi toutes les gravures, sans exception, qui forment son œuvre, et je décris les objets sur les gravures mêmes.

mausolée la Mansuétude est aussi douce que l'agneau placé auprès d'elle; qu'autrefois en Grèce et aux plus beaux temps de la Grèce, si l'on avait eu à représenter un pape, on n'aurait pas fait autrement que Canova n'avait fait pour Ganganelli; la composition est d'une simplicité qui paraît la facilité elle-même, et qui au fond est la difficulté. Il ajouta que les jésuites aussi louaient et bénissaient le pape Ganganelli en marbre. Canova travaillait encore à son Thesée vainqueur du Minotaure, lorsque don Abondio Rezzonico le pria d'élever pour Clément XIII un monument sépulcral. Canova en traça surle-champ le modèle. Le pape est à genoux en face du spectateur, et il y a, quant à l'aspect général de la figure, l'expression d'un sentiment si vrai, que l'intérêt se reporte toujours vers lui, en descendant de la figure principale vers celles qui bordent à droite et à gauche le sarcophage. Il faut remarquer la statue de la Religion : ajustement consistant en trois draperies l'une sur l'autre (la dernière un peu trop courte) paraîtrait avoir quelque chose de redondant, et qui approcherait de la pesanteur. Toutefois, comme on le verra, l'artiste a tenu à cette idée, puisqu'il a répété cette figure en grand, avec des réminiscences avouées. En pendant de la Religion est la figure d'un génie sous la forme d'un jeune homme dont la tête annonce la douleur, et qui tient un flambeau renversé. Le lion est un des symboles de Venise, aussi l'auteur a ménagé deux massif, servant de piédes taux à deux lions. L'un semble rugir, et ses ongles sont menaçants; l'autre semble dormir, et ses ongles sont rentrés. Ce grand ouvrage fut placé dans l'église de Saint Pierre. Canova voulant con

son

ce que

naître la louange et le blâme, prit les vêtements d'un'abbé déguenillé : le sénateur Rezzonico était là entouré d'une foule d'admirateurs, et il fit un geste d'ennui pour éloigner l'importon. Celui-ci entendit mal parler surtout de la statue de la Religion, mais on comparait le génie à la Grèce avait produit de plus beau. On y trouvait même une expression attendrissante et mélancoli que dont les anciens n'ont pas laissé de modèle. Il ne faut pas croire que depuis l'époque où parut le Thésée jusqu'à celle où fut exposé le monument de Rezzonico, Canova n'ait produit que ces deux monuments; il composa dans cet intervalle une foule d'autres ouvrages moins importants; il modela en grand le groupe d'Adonis assis et de Vénus ornant d'une guirlande de roses les cheveux de son amant. Depuis, il abandonna ces ouvrages, non pas,

ainsi qu'on l'a dit, parce que les statues étaient nues, mais parce que d'autres pensées vinrent occuper son esprit; car Canova ferme désormais dans les principes fondamentaux de Fart, assurait que le nu était le vrai langage du statuaire, et qu'il n'y a jamais ni mauvaise grâce ni indécence dans le nu, si on l'élève aux formes de l'idéal, et si on le compose avec modestie et avec pudeur Nous continuerons d'examiner les ouvrages de Canova en nous rappelant et les premiers vrais principes qu'il avait entendus de la bouche d'Hamilton et de celle de M. Quatremère, et les préoccupations qui le dominaient sans cesse. Celles-ci deviennent à-la-fois l'explication de ses fantasie (je prends a dessein l'expression italienne qui n'a pas d'analogue en français), et le corollaire des pensées tour à tour voluptueuses, terribles, pro

fondes et savantes qu'il va disséminer avec tant de profusion dans ses ouvrages. Ne perdons plus de vue Canova s'érigeant en suprême ministre de la beauté, la cherchant partout, dans les scènes héroïques et dans les délassements de l'innocence, et nous déclarant qu'il entend ainsi nous entraîner à la vertu plutôt qu'au vice. Croyons aussi qu'en suivant, les pas d'un tel guide, nous ne rencontrerons jamais de viles imaginations ni de lâches désirs Pindemonte a bien apprécié ces leçons, quand il a dit de la première Psyché: Casto come l'imago è il gran lavoro. Ces prémisses étant fortement établies, il ne reste plus qu'à décrire. On trouve, si nous nous reportons à ces temps de la vie de Canova, les bas-reliefs représentant la Mort de Priam; Socrate buvant la ciguë et congédiant sa famille; le Retour de Telemaque à Ithaque; Hécube avec les matrones troyennes; la Danse des fils d'Alcinous; l'Apologie de Socrate devant ses juges; Criton fermant les yeux à Socrate. Nous arrivous à la statue d'Hébé qu'il sculpta deux fois, d'abord pour madame Vivante Albrizzi à Venise, ensuite pour l'impératrice Joséphine. La répéti tion, qui depuis est passée en Russie, fut dans son temps exposée au Louvre. M. Quatremère dit de cet ouvrage : « L'idée en est des plus aimables et la composition ingénieuse. Rien de plus achevé que le buste nu et le bras élevé qui porte le vase: la pensée de l'ajustement est pleine d'esprit et de goût. Cependant on désirerait que son étoffe légère eût badiné avec quelques variétés sur les contours du bas des jambes, et ne fût pas coupée là par un ourlet continu, qui ne semble avoir ni vérité ni agrément.» Nous ajouterons « On ne pourra pas

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