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d'âge lui fit bientôt distinguer Mlle Genest. Elle aimait à chanter les ariettes nouvelles, et surtout celles de Grétry. La lectrice de Madame Victoire, chez qui elle se rendait le plus fréquemment, fut chargée de l'accompagner sur la harpe ou le piano. Cette haute bienveillance était à elle seule une recommandation et une dot. M. Campan, d'une des familles distinguées du Béarn et dont le père avait été secrétaire du cabinet de la reine, devint son époux. Louis XV fit don à la mariée de cinq mille livres de rente, et Marie-Antoinette se l'attacha en qualité de femme de chambre, en lui permettant de continuer auprès de Mesdames ses fonctions de lectrice, et de cumuler ainsi les appointements des deux places. Elle lui promit même de l'élever au rang de première femme. Mme Campan y arriva effectivement au bout de quelques années. Le traitement normal des premières femmes qui n'était que de douze mille francs, mais que le seul produit des bougies de chaque jour portait à cinquante mille et plus, n'était que le moindre avantage de ce poste qui donnait entre autres pérogatives la garde des diamants, le maniement de la cassette de la reine, le paiement des pensions et gratifications, beaucoup d'influence par conséquent sur tout ce qui de près ou de loin dépendait de la bonne volonté de la reine. Pendant vingt ans environ, depuis les fêtes du mariage, jusqu'en 1789, Mme Campan fut dans la confiance de cette princesse et, de toutes ses confidentes, la plus intime et la plus discrète. Sa conduite privée dans ce laps de temps ne fut point totalement exempte de reproches, et l'on parla beaucoup de ses liaisons avec Dubois de Bellegarde.

Mais, après ce que l'on avait vu sous la régence et sous Louis XV, cela ne pouvait pas s'appeler du scandale. Dès l'aurore de la révolution, la première femme de chambre se trouva en relation avec des hommes très-influents du parti constitutionnel, entre autres Théod. Lameth. Probablement Mme Campan par la nature de son esprit, par la multiplicité de ses lectures, était plus favorable à ces principes qu'aux doctrines de la monarchie absolue. Ce qu'il y a de certain, en dépit des dénégations qu'elle n'a cessé de répéter sur ce point sous la restauration, c'est qu'elle passait à la cour pour constitutionnelle; que chaque jour on le répétait au roi, à la reine, qui le croyait très-formellement: ce n'est pas à cette princesse qu'il eût été possible, même avec tout ce que Mme Campan avait d'esprit, de donner le change à cet égard. On sent bien que la confiance de Marie-Antoinette en souffrit. Le moindre penchant pour les doctrines nouvelles n'était pas un de ces griefs qui pussent trouver grâce aux yeux de la reine. On demandera peut-être pourquoi elle ne la renvoyait pas. Chargée des ordres pour les levers, la toilette, les sorties, les voyages; préposée à la caisse, à la parure; confidente obligée de mille détails de salle de bain et de chambre à coucher, la première femme savait trop de menus secrets dcnt la révélation peut-être n'eût rien été en d'autres temps, mais qui en présence de la révolution, d'un parti formidable, et des haines qui déjà rugissaient autour de Marie-Antoinette, eût trouvé des milliers d'échos, et pas un doute. Il fut convenu qu'on dissimulerait avec la femme de chambre. Les caresses, les flatteuses paroles redoublèrent. On affectait de

tenir dans sa chambre des conciliabules, d'y donner des audiences, d'y rédiger ou d'y déposer des projets politiques. Mais rien de grave ou rien de vrai ne se traitait là. « On « vous croit constitutionnelle, disait « Louis XVI, on vous calomnie, ma « pauvre Mme Campan; consolez« yous, ne suis-je pas calomnié tous « les jours? usez de votre influence « sur vos amis, dites-nous ce que « vous apprendrez!» Et Mme Campan faisait au roi et à la reine le rapport des délibérations, des débats, des décrets de l'assemblée nationale. Sa manière facile et nette de résumer les discussions était souvent l'objet des éloges de ses maîtres. Parfois sans doute elle devait leur confier des circonstances un peu moins publiques que celles des délibérations législatives; mais sans doute aussi elle ne disait que ce qu'elle voulait, et supprimait ce qu'il fallait laisser ignorer. Louis XVI était-il dupe de ce manége? était-il sincère lorsque, pour consoler MTMe Campan, il lui disait que la proclamer constitutionnelle c'était la calomnier? On peut le croire. Mais la reine, moins facile à persuader, se tint sur ses gardes. Toutes les personnes dont l'autorité peut faire foi sur cette matière s'accordent pour l'attester (Voy., entre autres, les Mémoires récemment publiés de Me de Créqui). Très-probablement Mme Campan s'aperçut de cette tactique, mais elle fit semblant de croire à la continuation des bontés de Marie-Antoinette; et il ! eut ainsi une espèce de compromis entre la souveraine et la première femme. L'hostilité de Mme Campan, l'animosité personnelle qu'elle dut sentir contre son auguste maîtresse en reconnaissant qu'elle ne la tolérait que par peur, que l'on se cachait d'elle, et

que dans cette lutte d'esprit et de ruse elle n'avait pas le premier rôle, la rendirent-elle assez ingrate pour qu'elle trahît ce qu'elle savait des secrets du château ? On n'en a certes pas de preuves judiciaires; et différente de quelques notabilités de nos jours, Mme Campan ne s'est point vantée après coup de ses perfidies. Mais l'opinion de la reine à cet égard n'était point douteuse; et Mme Campan mentait très-sciemment en assurant que cette princesse n'avait cessé d'avoir en elle la plus grande confiance. On choisit pour exécuter le voyage à Varennes la semaine où elle n'était pas de service. Suivant son propre récit, arrangé peut-être pour dérober aux lecteurs ce que cette particularité contenait d'offensant pour elle, elle était allée accompagner son beau-père aux eaux du Mont-d'Or, et elle ne revint à Paris que dans les premiers jours d'août, lorsque la reine, ramenée dans la capitale, lui eut mandé de la joindre. Ce fait que Me Campan présente comme une réponse victorieuse aux accusations de ses ennemis, et qui certes ne répondrait à rien, même s'il était exact, n'est pas à l'abri de contestation. Un zélé royaliste le nie formellement dans ses Mémoires secrets et universels des malheurs et de la mort de la reine de France, notice hist. n° 8, p. 384. Au reste, la reine crut ne devoir rien changer à sa tactique habituelle, et tout continua en apparence comme par le passé jusqu'à la matinée du ro août 1792. La veille, Louis XVI avait remis en dépôt à Mme Campan un portefeuille renfermant, non pas, dit-elle, des effets précieux, mais des papiers importants. Tous, à l'exception d'un seul, étaient des pièces de nature à

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compromettre beaucoup le roi et la reine. C'étaient les négociations avec Mirabeau, l'état des pensions et dépenses supportées par la liste civile pour arriver à la destruction du nouvel ordre de choses, la correspondance avec les princes émigrés, divers projets de contre-révolution, etc., etc. Mine Campan avait de plus reçu de la reine, le 9 août dans la soirée, un coffre contenant ses diamants, des dentelles, etc. Toute la nuit elle fut sur pied; et le lendemain, renfermée dans une chambre avec les autres femmes, elle se vit en butte à toutes les insultes de la populace. Les piques et les sabres étaient le vés sur elles, lorsqu'une voix de maître cria aux brigands: « On ne tue pas les femmes,» et que celui qui l'avait saisie par ses vêtements lui dit: Lève-toi, coquine, la nation te fait grâce! » Elle fut alors conduite chez son beau-frère par quatre ou cinq Marseillais; trouva moyen, chemin faisant, de faire délivrer sa sœur; trinqua comme elle avec ses gardes qui certifièrent à la cabaretière que ces dames étaient leurs sœurs et de bonnes patriotes. Le 11, MarieAntoinette demanda Mme Campan, qui cette fois encore parvint près d'elle dans la cellule que cette princesse occupait aux Feuillants. Mais le lendemain, soit que la sévérité des vainqueurs eût pris un subit accroissement, soit que l'affection de la dépositaire des diamants et du portefeuille n'eût pas trouvé moyen de surmonter les obstacles, Mme Campan ne put revoir la reine. Elle fit aussi, assure-t-elle, d'inimaginables tentatives pour obtenir la triste faveur de rejoindre la prisonnière au Temple. Mais tout fut inutile, démarches, sollicitations. Elle dut même s'estimer heureuse de voir son

nom échapper aux longues listes de proscription que chaque jour voyait éclore. Il est permis de penser qu'il lui fallut de puissantes protections et peut-être des services réels ou d'intimes rapports avec des hommes puissants pour obtenir cet oubli. Quels purent être ces services? Des bruits fàcheux lui imputèrent d'avoir livré les papiers de Louis XVI, et le reproche lui en fut adressé un jour en face au milieu du parloir d'Écouen. Le retentissement de cette scène la froissa cruellement, et peu de jours après, en présence de la communauté rassemblée, elle crut se disculper en disant que, soumise à de rigoureuses visites domiciliaires dont la cause unique était le précieux portefeuille, elle le refusa long-temps aux menaces les plus affreuses. Alors les sbires posèrent tous ensemble leurs haïonnettes sur la poitrine de son fils, jurant de tuer cet enfant si elle se taisait : la maternité l'emporta, et son fils fut sauvé. Entre cette version parfaitement dans le goût des mélodrames de ce bon temps (1810), et celle dont douze années plus tard Me Campan orna ses mémoires, le lecteur pourra choisir. Dans cette dernière, la dépositaire tremblante transmet bien vite le portefeuille à un autre personnage qui, inquiet lui-même de tout ce qui se passe et n'osant garder, ne sachant cacher, ces funestes documents, les brûle en présence de Mme Campan et ne garde que la pièce qui peut un jour servir le roi, s'il est mis en arrestation. Ce jour arrive, la pièce n'est pas remise; mais Louis ne l'a point demandée, et puis Mme Campan ne l'a pas entre les mains. Quant aux autres papiers, ils n'ont point été livrés, puisqu'elle les a vu ou cru voir dévorer par les flammes. Si par un désolant hasard elle a été

abusée en cette triste circonstance, au moins son cœur est pur, et ce n'est pas elle qui a vendu le sang du roi ni celui de la reine. Quant aux diamants, jamais voix ne s'est élevée pour lui imputer de les avoir abandonnés aux jacobins; et, sous ce rapport, ses dernières relations avec la cour sont restées dans l'ombre. Quoique tolérée par le gouvernement de la terreur, Mme Campan, pour éviter le tranchant de la hache révolutionnaire, dut aller vivre solitaire à Coubertin, dans la vallée de Chevreuse. Les évènements l'avaient alors placée bien bas : plus d'appointements, ni de riches profits. Les diamants, si elle les avait, ne pouvaient être ni montrés ni aliénés. Au 9 thermidor, elle avait signé 30,000 fr. de dettes pour son mari, el pour toutes ressources ostensibles elle possédait un assignat de cinq cents livres. Il fallait se livrer à quelque travail pour redevenir riche ou pour acquérir du moins le droit de le paraître. Elle imagina d'utiliser ses talents en ouvrant un pensionnat de demoiselles. «Telle était ma pénurie, dit-elle, que bors d'état de faire imprimer des prospectus, j'en copiai cent de ma main et les répandis parmi les gens de ma connaissance qui avaient survécu à la tourmente.» Une réaction royaliste très-forte se faisait alors sentir. Le titre d'ancienne femme de la reine valut bientôt à Mme Campan la plus belle clientelle de Paris. Le ton, les grâcesdevaient s'être réfugiées dans la maison d'une femme dont l'enfance, la jeunesse et l'âge mûr s'étaient passés dans les appartements de Versailles, dans les boudoirs de Trianon. Le nouvel établissement était situé à Saint-Germain. Au bout d'un an, il comptait soixante élèves; l'année suivante, il en avait cent. La directri

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ce avait racheté ses meubles, payé ses dettes. Tous les bonheurs s'enchaî nent. Joséphine, qui n'était encore que Mme de Beauharnais, lui amena sa fille et sa nièce, lui confia la sur veillance de l'éducation d'Eugène, et, un peu plus tard, en partant pour l'Italie où l'appelait Bonaparte devenu son mari, elle lui laissa tout pouvoir sur ses deux élèves. Revenu à Paris, le vainqueur de Wurmser et de Beaulieu se montra fort satisfait des progrès de sa belle-fille, invita Mme Campan à dîner à la Malmaison, assista deux fois chez elle à des représentations d'Esther, et mit ses deux plus jeunes sœurs en pension à Saint-Germain. On comprend combien un tel suffrage plaçait haut dans l'opinion la maison de Mme Campan, et avec quelle rapidité la mode amenait de jour en jour de nouvelles élèves dans le sionnat privilégié. Chaque pas de l'ambitieux général vers la puissance ou vers la gloire élevait d'un cran le nouveau Saint-Cyr; et l'on savait qu'y mettre sa fille, c'était faire sa cour à Joséphine et à son mari. Ce fut bien mieux encore lorsque la prodigieuse fortune du colosse impérial eut transformé toutes ces élèves de Saint-Germain en maréchales, en princesses, en reines : c'était à qui aurait l'honneur d'apprendre la grammaire et la danse sous cette institutrice d'altesses et de majestés, dans cette enceinte où l'on respirait comme une atmosphère de sénatoreries, de grands-duchés et de trônes. Ce n'était peut-être pas là l'impression la plus heureuse à laquelle pussent se livrer de jeunes et frèles imaginations; et Mme Campan semble jusqu'à un certain point s'être occupée d'en défendre ses élèves; mais cette impression était en quelque sorte dans l'air de la maison; et cet enivrement

de grandeur qu'explicitement elle désapprouvait, tout dans ses manières, dans la tenue de son établissement, dans l'idée qu'elle avait d'elle-même, le respirait et l'inspirait. Un champ nouveau s'ouvrit encore à sa vanité comme à ses talents: l'empereur accessible à tout ce qui lui était proposé de grandiose voulut fonder, à l'instar de Mme de Maintenon, un établissement modèle où les sœurs, les filles et les nièces des chevaliers de la Légion-d'Honneur reçussent une éducation distinguée. Dans une cour remplie des élèves de Me Campan, à qui eût-il été possible de songer si ce n'est à Mme Campan? Peut-être était elle pour quelque chose dans cette idée. Ce qui est bien sûr, c'est qu'elle rédigea les statuts de cet établissement placé à Ecouen, qu'elle en eut la direction avec le titre de surintendante, et de,plus qu'à partir de ce jour on dut l'appeler Mme la baronne Campan. A quelques légères imperfections près, l'établissement d'Ecouen a été sans contredit la plus belle créa tion que jusque-là l'expérience et la raison de concert aient élaborée pour l'éducation des femmes; aussi le titre d'élève d'Ecouen a longtemps été regardé dans le monde comme un titre d'honneur. Toutefois les ennemis de Mme Campan lui ont reproché un intolérable despotisme à l'égard de tout ce qui l'entourait, des airs altiers, impérieux, des violences même; et, en repoussant la dernière accusation, on doit reconnaître que ses amis ne l'ont point justifiée. Dureste d'autres imputations plus graves encore ont été dirigées contre la surintendante d'Ecouen: son absolue soumission aux puissances qui régnaient de par Napoléon, l'auraient, a-t-on dit, entraînée à des complaisance's bien coupables chez

la femme qui avait en dépôt l'innocence et l'honneur des familles ; le nom de Murat a été prononcé à cette occasion par des pamphlétaires. Mais nous sommes convaincus que le nom de Mme Campan doit rester pur de cette tache; et nous ne mentionnons ces bruits odieux que parce qu'ils ont été répétés par la presse. Mme Campan était arrivée à son apogée en 1811. Cette année, en créant une succursale d'Ecouen à Saint-Denis, Napoléon, malgré la haute opinion qu'il avait de Mme Campan, ne l'en nomma pas surintendante. Elle eût souhaité ardemment cumuler la direction des deux maisons, et peu s'en fallut que dans cette occasion elle n'accusât l'empereur d'ingratitude. Trois ans après, elle reçut un coup plus funeste. Les Bourbons étaient rentrés. Une ordonnance l'évinça de son pachalik d'Ecouen, supprimant à-la-fois la surintendante et la maison. En vain elle tenta de séréconcilier avec la cour. Ni ses protestations, ni les certificats pompeux de hauts personnages qui peut-être ne connaissaient qu'imparfaitement ses relations avec la reine, ne purent triompher des préventions que les nouveaux habitants des Tuileries avaient conçues. Sa vanité en fut vivement froissée. Quand il fallut qu'elle se le tînt pour dit, elle bouda, se fit libérale, parla par aphorismes et par sentences, imitant beaucoup le style de Mme de Staël: « Jamais l'œil-debœuf de Versailles ne me pardonnera d'avoir eu la confiance du roi et de la reine, » nous avons vu ce qui en était ; et, « Le pouvoir aujourd'hui est daus les lois, partout ailleurs il serait déplacé; mais cette vérité leur échappe, la poussière des vieux parchemins les aveugle...» Déchue ainsi de ses grandeurs anciennes et modernes, Mme Campan quitta Paris pour se retirer

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