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avec respect, le soignant avec tendresse. Son plus grand bonheur était de voir l'amitié qu'Antoine portait à Jean-Baptiste, son frère du second lit, qui au moment où madame Sartori dut retourner à Crespano pour des intérêts de famille, s'attacha à Antoine et ne le quitta plus jusqu'à la terrible séparation qui devait rompre une si constante amitié. -Aussitôt que la santé délicate de notre artiste commençait à s'améliorer, il se livrait à de nouveaux travaux. Après le cippe de l'amiral Emo, le plus considérable ouvrage en bas-relieí qu'exécuta Canova fut le monument de la marquise Santa-Cruz. On y voit la réunion d'une famille éplorée autour du lit funèbre, où dort, du sommeil de la mort. une jeune fille, une épouse chérie. La mère de la défunte paraît surtout accablée d'une douleur inexprimable. Au dessous sont écrits ces mots Mater infelicissima filiæ et sibi. Canova a été souvent témoin lui-même des laimes que faisait répandre cet ouvrage touchant qui a été long-temps exposé dans son atelier.-Il ne voulut pas oublier le sénateur Faliéro, son premier bienfaiteur, et il lui éleva à ses frais un tombeau. Dans l'inscription, l'auteur remercie le sénateur de l'avoir engagé à se livrer courageusement à la statuaire Le même sentiment de reconnaissance fit exécuter un monument pour Volpato, autre bienfaiteur de Canova, et qui l'avait choisi pour élever le mausolée de Clément XIV. Il a fait encore d'autres ouvrages funéraires, tels que le cippe du prince Frédéric d'Orange, placé daus la sacristie des ermites de Padoue; celui du comte de Souza, ambassadeur de Portugal à Rome (le père du duc de Palmella); celui qui a été placé à Vicence, en l'hon

neur du chevalier Trento, et enfin un projet de monument pour Nelson, le plus grand qui ait été conçu depuis celui que Michel-Ange avait promis d'entreprendre pour Jules II. Rien n'ayant été déterminé dans les conditions arrêtées, le monument n'a pas été continué. C'est à une époque antérieure à la fin du dernier siècle qu'appartient la première pensée du Persée. Voici l'idée de l'auteur. Persée, fils de Jupiter et de Danaé, expédié par le roi Polydecte contre les Gorgones, a reçu de Mercure des talonnières et des ailes, et de Vulcain une faulx de diamant avec laquelle il a coupé la tête de Méduse qu'il tient dans ses mains. Cette tête que l'on représente toujours avec des contractions hideuses est ici douce, languissante, noble, et elle inspire la compassion. Enfin au lieu du tronc de l'Apollon du Belvédère, on trouve une composition contraire, mais parfaitement analogue au besoin de soutien qu'éprouve une statue en marbre. L'auteur ne doit pas négliger ce soutien, s'il veut que le moindre choc ne renverse pas son ouvrage : la draperie qui tombe derrière Persée a dispensé du tronc de l'Apollon et de la disposition en porte à faux, du jet de la draperie sur son bras gauche. Or cette disposition est tellement défavorable à un travail en marbre, qu'elle a donné à croire que l'original dont l'Apollon actuel serait alors une répétition, aurait dû être en bronze. Le bronze luimême exige encore plus que le marbre ces appuis qui souvent sont des contre-sens, et au moins des inutilités et des causes de lourdeur qui rompent les lignes. entravent l'élan et la pose naturelle du sujet. A cet égard, il faut le dire, Canova n'a pas toujours justifié ses soutiens aussi bien que

dans l'Hercule (2). Il ne suffit pas au pape Pie VII d'avoir ordonné que le Persée fût élevé à la place de l'Apollon Pythien, et d'accorder à Canova vivant un tel honneur à côté du Laocoon; ayant fait appeler l'artiste dans son palais, il l'embrassa, le créa chevalier par un bref des plus honorables, et rétablit pour lui la place d'inspecteur-général des beauxarts à Rome, avec les droits, les prérogatives et les distinctions dont Ra-, phaël avait joui en cette qualité sous Léon X. A cette place était jointe une pension de quatre cents écus romains. Le saint-père ordonna encore que deux pugilateurs, nouvel ouvrage de Canova, seraient placés dans le musée du Belvédère. Ces deux statues ont besoin d'être vues l'une en face de l'autre. Pausanias raconte ainsi le combat que Canova a mis en scène. « Après une longue lutte les deux Pancrasiastes étaient convenus de se porter un dernier coup. Creugas avait asséné à Damoxène un violent coup sur la tête : c'était à son tour à attendre le coup de son rival. Celui-ci profitant de l'attitude de Creugas qui attendait sans être préparé à la défense, lui plongea ses doigts dans le flanc avec tant de violence qu'il le perça et lui fit sortir les entrailles. » — Le jour où il reçut tant d'honneurs, Canova écrivit cette lettre : « Je ne puis répondre autrement que par silence et par les larmes ; c'est le seul tribut non équivoque dont se sentent capables la tendre gratitude et la confusion profonde dont je suis pénétré.» Quant à l'offre de la place qu'avait

occupée Raphael, Canova écrivait : « Je suis hors d'état de remplir la charge à laquelle je suis appelé; mon tempérament délicat, ma santé si faible, ma méthode de vie, ma fibre si facilement irritable, qui, au seul nom des emplois publics,s'agite surle-champ et se contracte, m'empêcheraient d'exercer avec l'activité convenable une charge si importante; je la dépose humblement aux pieds de votre Sainteté, en la priant de m'en dispenser. Je représente avec la franchise la plus respectueuse que cette inspection si flatteuse, outre qu'elle répugne à mon caractère et à ma débile constitution physique, viendrait troubler mes pacifiques opérations, qui m'ont valu un si doux accueil auprès de V. S. Quelle plus douce récompense que celle-là pour un artiste! Canova ne fut pas et ne dut pas étre écouté. Pendant que le roi de Naples, Ferdinand IV, occupait Rome, en 1798, on avait proposé de faire une statue représentant ce prince. Le sculpteur avait donné à cette statue une proportion colossale de 17 palmes de haut; mais il n'aimait pas cette composition. Un jour en me la montrant avec humeur, il lui jeta à la figure le bonnet de papier qui couvrait sa tête : c'étaient là les colères de Canova. Je vis, dans cette action spontanée, que la pensée, la composition et la disposition le ne lui plaisaient pas, et il avait raison. Cet ouvrage est placé à Naples dans le palais appelé Museo Borbonico. Vers la fin de 1802, Cacault, ministre de France à Rome, reçut une lettre de Bourrienne qui le chargeait d'inviter Canova à venir à Paris pour entreprendre le portrait du premier consul. On ne voulait pas qu'il y eût des incertitudes pour teur et soutien, cherche à caresser, en tachant le prix, et les conditions étaient du

(2) Je dirai ici en passant qu'un des trones justifies les plus spirituels est le moyen employé par M. Chaudet dans la statue du berger Phorbas portant OEdipe enfant qu'un ckien, ici ac

de s'élever sur ses pieds jusqu'à l'enfant.

premier mot nobles et déjà impériales. On lui payait les frais de son voyage et du retour. Il recevait en présent une voiture commode; il supportait lui-même tous les frais de marbre et de transport, et on lui donnait, en reconnaissance de tous ses soins, cent vingt mille francs payables presque à sa volonté. Cacault eut beaucoup de peine à le décider à ce voyage. Canova ne pardonà Bonaparte d'avoir livré Venise aux Autrichiens, mais enfin ses répugnances furent vaincues, et il partit pour Paris au commencement d'octobre. Il descendit chez le cardinal-légat, et son premier désir fut de voir son ami Quatremère. Introduit chez le premier consul, Canova fut reçu avec une distinction toutà-fait particulière; la physionomie du héros était douce et riante. L'artiste répondit aux premiers mots : « Je demande la permission de parler avec ma véracité et ma liberté ordinaires. » Alors, à propos de l'Italie, il dit au consul que Rome était ruinée, que les palais avaient été dépouillés, que tout l'état était privé de numéraire et de commerce. «Je restaurerai Rome, répondit le premier consul, j'aime le bien de l'humanité et je le veux; mais en attendant que faut-il pour ce que vous avez à faire? Rien, repartit le sculpteur, me voilà prêt à remplir vos ordres.-Vous ferez ma statue,» répliqua Bonaparte; et il le congédia. Dans un autre entretien, Canova parla avec vivacité de Venise. Cet ardent amour de la patrie, ce ton d'ingénuité ne déplurent pas à Bonaparte: il traitait tous les jours mieux l'artiste. Celui-ci fut agréable au consul, lorsqu'il lui dit avec un sentiment de conviction, en regardant son travail: « Cette physionomie est telle

ment favorable à la sculpture, que si on la découvrait dans un antique, on verrait qu'elle appartient à un des plus grands hommes de ces tempslà. Si elle est bien tracée, l'ouvrage réussira, mais ce n'est pas une physionomie faite pour plaire au beau sexe; » et Bonaparte sourit. David, le peintre des Sabines, voulut donner à Canova un grand repas, il y invita tous les artistes français. M. Gérard désira faire son portrait. Canova assista aux séances de l'Institut dont il était associé étranger; il partit, disant qu'il était pénétré d'une singulière admiration pour l'état des arts en France. Il prenait congé du consul le jour où on lui présentait un envoyé de Tunis; Bonaparte dit au sculpteur: « Allez saluer le pape, et dites-lui que vous m'avez entendu recommander la liberté des chrétiens. » Canova se mit en chemin, pensant à la disposition de la statue du premier consul. Déjà il avait reçu la commande du tombeau de l'archiduchesse Christine, épouse du duc Albert de SaxeTeschen, mais c'était vers l'idée de la statue de Napoléon qu'il dirigeait ses principales méditations. Cependant, malgré lui une pensée éminente vint le préoccuper. Venise lui demanda un tombeau pour le Titien. Il traça à la hâte un premier projet: je possède cette précieuse esquisse où l'on voit avec quel talent Canova savait dessiner. Ce monument ne fut pas exécuté. Alors presqu'en même temps parurent dans l'atelier de Canova la statue colossale de Napoléon et le monument de l'archiduchesse Christine. La statue de Napoléon était nue. L'art avait souvent choisi le nu pour son langage. Mais cette question sur le nu, il fallait la laisser juger ni par des jaloux de la gloire de Canova, ni par des ignorants

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de cour, ni même par celui dont l'image était représentée sous des formes qu'il ne comprenait pas bien, par une fausse crainte du ridicule. Napoleon fut lui-même une des causes de l'indifference avec laque le la France vit ce grand ouvrage et le laissa enlever, comme un bloc sans prix, par un vainqueur présomptueux. La gravure de la statue de l'empereur est dédiée par Canova à la république de Saint-Marin qui l'avait inscrit sur le livre de ses patriciens. Pour le tombeau de l'archiduchesse Christine, l'artiste imagina de représenter, sur un food de mur donné, la face d'une pyramide élevée de trois degrés. Au milieu de la face pyramidale, on voit une porte ouverte; c'est vers cette porte que se dirige une foule de personnages allégoriques. La principale figme en tête tient l'urne funéraire, et s'incline un peu pour entrer dans la chambre sépulcrale. En tout, le monument cst composé de neuf figures de grandeur paturelle tout y respire une douce tristesse, excepté dans la partie supérieure, où la félicité semble emporter au ciel l'image de l'archiduchesse. Un génie repose tristement sur un lion couché. Les femmes sont su vies des pauvres que la bienfaisante princesse soulageait dans leur misère. Les âges, les sexes, le nu, les draperies sont rendus avec la plus grande vérité. Le groupe de l'aveugle est une pensée qui, comme taut d'autres de Canova, ne se trouve pas dans les œuvres des anciens; on admire l'air modeste, pudique et résigné des femmes; on sourit surtout à l'affliction d'imitation si naturelle aux enfants. J'ai vu un soir, par un beau clair de lune, ce monument placé à Vienne en Autriche dans l'église des Augustins j'en ai emporté une

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impression qui ne s'effacera jamais de ma mémoire. La ville de Florence demandait à Canova une copie de la Venus de Médicis, pour remplacer l'original transporté à Paris. Ne voulant pas faire de copie, il composa une autre Venus. On ne sait pas, je crois, un fait particulier à celle statue : je demandai un jour à Canova qui faisait mettre aux points le marbre de Napoléon comment il avait pris un bloc si enorme; lui montrant qu'on allait faire une perte immense de matière dans toute la partie qui était sous le bras étendu: « Non, reprit-il, sous le bras de Mars, en y pensant, j'ai trouvé une Vénus. » Ainsi la Vénus de Canova, qui est à Florence, est du même bloc qui a servi pour la statue de Napoléon. « C'était une mission hasardeuse, dit M. Quatremère, que celle de remplacer une des célébrités de la sculpture antique, dans le lieu, sur le piedestal mème où depuis plusieurs siècles la déesse de la beauté avait reçu les hommages de l'admiration de toute l'Europe.» Canova évita le danger d'un parallèle trop sensible et trop voisin. Cette Vénus appelée depuis Italique fut répétée pour le roi de Bayière, et pour le prince de Canino, Lucien Bonaparte (celle de ce dernier est passée dans le musée de lord Lansdown); une troisième répétition fut faite pour M Hope. La taille est plus élevée que celle de la Vénus de Medicis, ce qui lui donne plus l'air d'une déesse la physionomie respire l'amour, la chevelure est traitée avec une admirable perfection. Nous devons ici faire meution du buste de l'empereur d'Autriche, et du Palamède exécuté pour M. de Sommariva. Le fils de Nauplius, roi de l'Eubée, porte dans la main gauche les dés et dans la main droite les lettres

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nouveau triomphe au palais Borghèse, où elle fut pendant un certain temps soumise aux jugements du pub ic. L'affluence des amateurs, tant de Rome que de l'etranger, ne cessait de se presser autour d'elle Le jour ne suffisant pas à leur admiration, ils obliorent la faveur de pouvoir la considérer de nuit, et l'on faisait des parties pour revenir la voir à la lueur des flambeaux, qui, comme on le sait, fait découvrir les plus fines nuances du travail, mais en même temps en dénonce les moindres négligences.

de l'alphabet (Voy. PALAMEDE, LV, 250). Madame Letitia, mère de l'empereur, et la princesse Borghese, sa sœur, se trouvaient à Rome: elles désirèrent avoir leur portrait de la raain de Canova Nous devons à ces circonstances deux belles statues. Pour la première, il s'était inspiré de la statue antique d'Agrippine, femme de Germanicus; « mais, écrivait-il à son ami Quatremère, vous n'y trouvez aucune espèce de ressemblance, je n'entends pas seulement dans la tête, mais dans l'ensemble, dans la coif-On fut alors obligé d'établir une enfure, dans le parti général des draperies. » A proprement parler, Canova n'empruntait que la sedia et un pa de la pose : il avait droit et raison d'emprunter celte pose qui donne à sa figure une noblesse plus marquée et une gravité de matrone Il est impossible de ne pas s'arrêter quelque temps à la Vénus victorieuse, où les traits de la princesse Borghese sont si mervei1leusement retracés. Vénus vient d'obtenir la pomme, et elle se repose de son triomphe; le lit sur lequel elle est à moitié étendue sert de plinthe. Ce que l'on admirait dans cette œuvre de Canova, c'est qu'il avait su, grâce aussi aux perfections de son modèle, réunir la fidélité de la ressemblance de la tête, fidélité exigée par la nature du portrait, et ensuite l'idéal dans le développe ment des forines du corps et avec un tel accord, que ce qu'il y a de vérité positive et de vérité imaginative, loin de se combattre, se prétaient un mutuel agrément. La partie où le col se joint aux épaules, les lignes du torse, et le contour des extrémises, et l'emportement d'une violente tés présentent une foule de charmes colère : le courage tranquille et l'inqu'on ne peut se lasser d'admirer. La trépidité héroïque caractérisent le fils Vénus victorieuse vint jouir d'un de Priam ; c'était ce qu'Homère avait

ceinte au moyen d'une barrière, contre la foule qui ne cessait de se presserà l'entour.-La grande renommée du talent d'Alféri méritait le témoignage éclatant de la reconnaissance publique. La comtesse d'Albany, veuve du prétendant CharlesEdouard, voulut conlier à Canova le soin d'élever un monument au Sophocle italien; le sarcophage se trouvé reculé sur un grand soubassement dont le devant est occupé par la statue colossale de l'Italie personnifiée, la téte surmontée de la couronne tourel'ée. et pleurant en se penchant sur le tombeau. L'artiste portait une prédilection particulière à la statue de la princesse Léopoldine Esterhazy Lichtenstein. On a dit que si cette princesse eût vécu du temps de Raphaël il lui eût donné une place dans son Parnasse.-Quel génie infatigable que celui de Canova! est-ce qu'une trompette guerriere vient de l'exciter à représenter des combats? Il ne dort plus qu'il n'ait moulé et exposé les statues d'Ajax et d'Hector. Ajax a des formes lourdes et épa s

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