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pée à la colère de ce magistrat, lui-même eût formé des vœux pour la conservation de son roi et pour la gloire de son pays. Mais, sans avoir la volonté de créer l'infortune publique, on a le malheur d'y contribuer en détournant l'attention du gouvernement; en semant sa marche de difficultés et d'obstacles; en bataillant sur les subsides quand les besoins sont évidens; en prenant des mois pour délibérer, quand on n'a que des jours pour agir; en remplissant de troubles l'intérieur, quand il faut faire face à des ennemis du dehors.

N'est-ce donc pas là le tableau résumé des troubles intérieurs de la France, depuis l'insurrection des parlemens de Paris et de Rouen contre l'autorité royale en 1752 et 1756, jusqu'à la cassation de tous les parlemens du royaume par le chancelier Maupeou en 1771

?

Le continuateur du président Hénault, qui écrivait à Paris sous la surveillance des censeurs de la librairie et sous celle plus redoutable du parlement lui-même, cherche à pallier, tant qu'il peut, la conduite de cette compagnie pendant la guerre de sept

ans,

et il n'en fait que plus vivement sentir la funeste influence qu'eurent dès lors ces insurrections parlementaires, non-seulement pour le dérangement des finances, non-seulement pour l'issue déplorable d'une guerre d'abord si heureuse, mais ce qui était bien plus grave, et ce que je veux rendre avec les propres expressions de l'historien, pour l'esprit d'indépendance et de murmure répandu

dans le peuple, pour le relâchement des liens du contrat social (1).

Après cette paix douloureuse de 1762, les ministres les plus influens dans le conseil crurent qu'il fallait à tout prix fléchir l'humeur du parlement de Paris. On lui donna les finances à régler, les jésuites à détruire, la conduite du commandant en chef dans l'Inde et les concussions du Canada à juger. II n'y avait pas une seule de ces concessions qui ne dût devenir également funeste à ceux par qui elle était faite et à ceux par qui elle était arrachée, aux individus et au public, au monarque et à la monarchie.

(1) Voici le passage entier. Après avoir successivement retracé le lit de justice tenu par Louis XV le 13 décembre 1756, le règlement de discipline apporté par ce prince lui-même à son parlement, cent quatre-vingts présidens ou conseillers donnant aussitôt la démission de leurs charges, et disputant au souverain le droit de la recevoir, l'historien termine son récit par ce jugement remarquable: << Si la démarche du roi avait étonné le parlement, » celle du parlement ne surprit pas moins le roi. Ce corps ne fut » que tranquille et ferme, mais les propos de Paris étaient em» portés. Ainsi, tandis que l'Europe présentait le front le plus >> menaçant, les dissensions civiles, se joignant aux guerres étran» gères, rendaient la position de la France plus critique et la ma>> chine du gouvernement plus compliquée, répandaient dans le » peuple un esprit d'indépendance et de murmure, concouraient >> au dérangement des finances, et, relâchant les liens du contrat » social, influaient jusque sur les opérations militaires. Tout se » tient dans un vaste empire par des chaînes secrètes qui échap>> pent aux ames vulgaires, mais qui frappent les esprits exercés ; » et l'on ne peut calculer combien les divisions intestines et le dé>>couragement qui en naissent contribuèrent à la mauvaise issue » d'une guerre dont le début avait été si brillant. » Abrégé chronologique de l'histoire de France, 4 part., pag. 304. W.

La destruction des jésuites, monument de puérilité, de jalousie, d'ambition, d'injustice, de barbarie, car tout cela s'y trouve, fit à l'éducation publique une plaie qu'un siècle peut-être ne fermera pas. Elle délivra la phalange matérialiste d'un corps d'adversaires qui la faisaient encore trembler (1).. Elle favorisa de loin la formation des clubs sanguinaires, en faisant disparaître les pieuses, les sages congrégations, où cette féroce populace du faubourg Saint-Antoine était apprivoisée par les disciples d'Ignace et de Xavier. Les Porée et les La Rue, les Vanière et les Jouvenci dans les chaires académiques; les Bourdaloue, les Cheminais, les Neuville, les Lenfant dans les chaires des temples; les Segaud, les Duplessis, les Beauregard sur les marches d'une croix, dans les chemins et les carrefours, pouvaient être aussi précieux pour la tranquillité de ce monde que pour le bonheur de l'autre (2). Voltaire lui-même écrivait avec respect au père de Tournemine. Frédéric, si justement appelé le Grand, mais qui n'en a pas moins payé le tribut à l'humanité par de grandes inconséquences, sen

(1) Ces gens-là ont une rude agonie, disait D'Alembert à un de ses conjurés, avec lequel il avait été entendre le fameux sermon du P. Beauregard contre les apôtres de l'incrédulité.

W.

(2) Cette apologie des jésuites rencontrerait sans doute de nombreux contradicteurs. Les Lettres provinciales, les éloquens Mémoires de Monclar et de La Chalotais, le piquant écrit de D'Alembert sur la destruction des jésuites*, pourraient mêler

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* Un volume in-18. Reimprimé en 1821; chez Baudouin frères.

tait quelquefois le danger de tous ces faux philosophes dont il avait la faiblesse d'aimer les flatteries. Il était dans un de ces momens où la justesse de son esprit l'emportait sur les écarts de son amourpropre, lorsqu'il reçut la nouvelle des jésuites proscrits en France par les dépositaires de l'autorité. << Pauvres gens! dit Frédéric, ils ont détruit les >> renards qui les défendaient des loups, et ils ne >> voient pas qu'ils vont être dévorés. » Quels que fussent les loups dans la pensée du roi de Prusse il est certain que le même parlement qui avait dévoré les jésuites en 1764, voulut dévorer le corps épiscopal en 1765. Il cassa de son autorité les actes de l'assemblée du clergé. Alors se fit cette grande démarche de trente-deux évêques et d'autant de membres du second ordre, formant l'assemblée entière du clergé, allant tous en députation à Versailles, et adressant au roi un discours dont la première phrase était : « Sire, quelle est donc cette » nouvelle puissance qui prétend s'établir à la >> fois sur les débris de l'autel et sur ceux du trône? » Le roi cassa l'arrêt du parlement qui ne respira que vengeance. La querelle s'envenima entre tous les pouvoirs, spirituel et civil, royal et judiciaire, et tout ne respira que désordre.

quelque ombre à ce brillant tableau. L'éloge, quand il est sans restriction, paraît aussi suspect que le blâme lorsqu'il est sans mesure. Quoi qu'il en soit, nous avons dû conserver ce passage comme pièce à l'appui des jugemens de l'histoire.

(Note des nouv. édit.)

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Dans le cours de ces dissensions intérieures dont le simple historique ferait la matière de plusieurs volumes, on avait vu le duc, depuis maréchal de Fitz-James, décrété de prise de corps par le parlement de Toulouse, le marquis Dumesnil par le parlement de Grenoble, et le duc d'Aiguillon dénoncé par M. de La Chalotais (1), procureur-géné ral du parlement de Bretagne. Il n'y avait pas jusqu'à la cour des Aides qui, fière du beau nom de Lamoignon et du génie de Malesherbes qu'elle avait à sa tête, n'eût imaginé d'exiger du roi la punition sévère des commandans qui avaient exécuté ses ordres, et de dénoncer aux peuples les abus de l'autorité royale, sous le nom de l'autorité militaire. Le roi poussé à bout était venu au parlement de Paris tenir la fameuse séance du 3 mars 1766, appelée la flagellation. Tout se précipitait rapidement dans une désunion totale. La magistrature de

(1) Nous devons, à l'occasion de M. de La Chalotais, dont l'auteur vient de parler, donner quelques détails qui pourront éclairer la grande question relative à l'influence des parlemens sur les causes premières de la révolution. Le procès criminel intenté à M. de La Chalotais divisa la cour et les parlemens, occasiona le renversement des grandes magistratures, et fut l'époque de la plus forte résistance faite aite à l'autorité royale. Considéré sous ce rapport, cet événement mérite donc une attention particulière: on en lira les circonstances les plus importantes dans un exposé que son étendue nous a forcés de placer dans les éclaircissemens (note C). A cause de l'intérêt des faits et de leurs résultats, nous invitons le lecteur à ne point poursuivre la lecture de ce chapitre sans avoir jeté les yeux sur ce précis d'un débat qui occupa long-temps les esprits à cette époquels s (Note des nouv. édit.)

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