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autre souverain que celui qu'elle regardait comme légitime. Alors ce marquis d'Argenson, que nous venons de nommer, écrivait ses Considérations sur le gouvernement, livre plein d'idées sages et pures, mais nouvelles, et quelques-unes même hasardées. Alors son frère le comte d'Argenson saisissait toutes les occasions de s'élever contre le despotisme dans le secret de son travail avec le roi, circonstance assez nouvelle sans doute, et qui honorait le maître autant que le serviteur. Alors se lançait dans la triple carrière de la littérature, de la philosophie et de la politique, ce Jean-Jacques Rousseau, qui devait tout outrer, se contredire sur tout, éprouver au même degré le désir de la vérité et celui des paradoxes, charmer par le style lors même qu'il révoltait par la matière, et inspirer le fanatisme de la sédition autant que d'autres inspireraient le fanatisme de l'impiété.

Cependant le roi qui, malade à Metz, avait eu des preuves si exaltées de l'amour de ses peuples; qui avait reçu tour à tour de leur douleur et de leur allégresse le, surnom de bien-aimé; le roi qui avait, vaincu en personne à Fontenoy, qui avait pris en personne Courtrai, Menin, Ypres, Kenocq, Furnes, Fribourg, Tournay, Louvain, Malines, Kier, Arscott, Anvers; le roi,qui avait terminé cette guerre brillante par la paix la plus généreuse, et qui avait consacré les premières années du repos en fondant une école pour les jeunes guerriers à côté de l'asile des braves vétérans; un

tel souverain semblait devoir, sinon supprimer, au moins contenir dans de justes bornes cette tendance vers l'innovation. Malheureusement des courtisans dépravés vinrent encore amollir son ame, et la plongèrent dans des plaisirs dont le danger augmenta, à mesure que la délicatesse même en disparut. C'est une justice due à ce monarque trop calomnié, de dire que ses corrupteurs eurent besoin de longs efforts et de beaucoup de piéges pour triompher de son innocence et du respect qu'il porta d'abord à la foi conjugale. Peutêtre même, si la reine n'eût secondé leurs séductions perfides par ses austérités exagérées, ellé eût retenu dans ses liens l'époux qu'on avait tant de peine à lui enlever. Au moins les premières passions d'éclat auxquelles s'abandonna Louis XV, n'eurent rien de flétrissant. Les femmes qui en étaient l'objet aimaient ce prince pour lui, se faisaient pardonner leurs faiblesses parce qu'elles en rougissaient, s'abstenaient des affaires, entretenaient seulement le roi du bonheur d'être aimé de ses peuples, et le stimulaient encore pour cette gloire si pure dont son cœur était naturellement jaloux. Tout-à-coup une femme leur succéda, qui mit sa vanité à ce qui avait fait rougir les autres ; qui fut avide de richesses et de pouvoir; prétendit disposer du ministère et de l'armée; usurpa des honneurs que la toute - puissance elle-même ne pouvait pas lui conférer, sans violer toutes les lois; compta pour rien de compromettre le prince

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neur, il fallut encore que les divisions des généraux, et les accusations de tous les uns contre les autres, vinssent provoquer des procédures qui furent autant de brandons jetés dans ce foyer de discorde.

Aux pertes immenses que les Français éprouvaient dans leurs colonies des deux Indes, et dans leur commerce, se joignirent la honteuse déroute de Rosbach, qui changea tout-à-coup la face des affaires; la perte des batailles de Minden et de Crevelt; et, plus que tout encore, la dispersion et la défaite sans combat de la belle armée navale du Maréchal de Conflans, destinée à porter des troupes de débarquement sur les côtes de la Grande Bretagne et le public de Paris, comme celui des provinces, ne manquait pas d'attribuer tant de malheurs à l'inconduite des ministres.

Il ne faut pas confondre avec ces ministres si justement livrés à la censure, le comte d'Argenson qui avait les talens de Louvois, et qui avait de plus que lui le don de les faire chérir autant qu'estimer. Le mauvais génie de la France avait voulu qu'au commencement d'une guerre combinée avec les discordes intestines, d'Argenson fût enlevé à la direction des armées, et Machaut à la pacification des troubles. L'un et l'autre avaient été disgraciés, contre l'inclination, contre l'opinion, et surtout contre l'intérêt du souverain : mais, et les armées et le cabinet, tout était alors en proie à une malheureuse intrigue de cour.

L'Inde et l'Amérique perdues, l'île de Gorée au pouvoir des Anglais, la marine française écrasée dans toutes les parties du monde, cinquantesix frégates et trente-sept vaisseaux de ligne pris ou détruits par les Anglais, c'était une faible compensation pour leurs ennemis que quelques victoires remportées çà et là en Allemagne. Sans doute le maréchal de Broglie à Berghem et à Corbach, le marquis de Castries à Clostercamp, le prince de Condé à Joanesberg, se couvrirent personnellement de gloire, et soutinrent l'honneur des armes françaises. Le chevalier d'Assas à lui tout seul honora la France et l'humanité. Mais le fruit de ces victoires était de prévenir des désastres, d'arrêter dans la carrière de leurs triomphes les familles de héros qui régnaient en Prusse ou dans le Brunswick; et l'on en était à batailler en 1762 pour un poste ou un passage dans le Hanovre ou dans la Hesse, lorsque en 1759 la journée d'Hasteinbeck, si l'on eût laissé le maréchal d'Estrées poursuivre sa victoire, aurait mis tous ces pays à la merci de la France. Sans doute ce fut un grand coup d'État ; et c'est la gloire du ministère du duc de Choiseul, que ce pacte de famille qui lia tous les souverains de la maison de Bourbon par un traité d'attaque et de défense communes. La publication de cette alliance ranima des étincelles de patriotisme au milieu de l'affaissement général. La capitale et les pays d'états, des corps administratifs et municipaux, des compagnies de commerce

et de finances, les trésoriers de tous les départemens, le clergé extraordinairement assemblé, rivalisèrent à qui offrirait au roi en présent les plus superbes vaisseaux. Mais tout cela ne remédiait pas à la détresse du moment. L'Espagne, mal-habile lorsqu'elle avait différé à signer le traité, généreuse dans l'instant où elle le signa, sembla ne s'être engagée dans la querelle que pour perdre douze vaisseaux de ligne, les îles dé Cuba et de Manille, et au-delà de cent millions. La France, après une guerre désastreuse, subit une paix humiliante.

Louis XVI, n'ayant encore que dix ans et apprenant la victoire remportée à Lens par le grand Condé, s'était écrié : « le parlement en sera bien » fâché. » En recevant les tristes nouvelles de la guerre de 1756, Louis XV a peut-être dit plus d'une fois : « le parlement va être bien content. » Il serait dur, et sans doute injuste d'articuler aujourd'hui cette accusation contre toute la magistrature française d'alors. En général, on ne forme point la résolution criminelle de causer les malheurs de sa patrie; on n'a point la pensée presqu'aussi coupable d'en jouir. J'ai entendu citer un membre du parlement de Dijon qui, en 1786, venait d'être humilié à Versailles, en commun avec plusieurs autres députés de son corps, et qui disait en rentrant dans sa ville: « Une minorité et deux >> batailles perdues nous remettront à notre place. » Le lendemain du jour où cette saillie était échap

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